Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 septembre 2019, le 30 septembre 2019, le 5 mai 2020 et le 25 octobre 2020, M. A..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Montpellier du 19 juillet 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 30 000 euros, en réparation du préjudice résultant de son exposition à des poussières d'amiante à l'occasion de son activité professionnelle au sein du service des phares et balises, avec intérêts de droit à compter de la demande préalable et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016, qui ont pour effet d'instituer un nouveau délai de forclusion sont illégales en tant que le pouvoir réglementaire n'était pas compétent pour leur donner une portée rétroactive ;
- ces dispositions méconnaissent le principe de sécurité juridique en ce qu'elles ont omis de fixer un délai raisonnable d'un an à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet de demande d'indemnité ;
- en tout état de cause, seul ce délai d'un an lui était opposable ;
- le délai de recours prévu à l'article R. 421-2 du code de justice administrative ne lui est pas opposable dès lors qu'il n'a pas reçu d'accusé de réception de sa demande préalable d'indemnité ;
- les dispositions de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration, combinées avec celles de l'article L. 112-6 du même code et celles de l'article R. 421-3 du code de justice administrative, contreviennent aux stipulations des articles 6-1, 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elles ont pour effet de créer au détriment des agents publics une discrimination non justifiée ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée pour faute du fait de sa carence à édicter une réglementation relative à l'exposition à l'amiante ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée pour faute en qualité d'employeur ;
- le préjudice moral subi et les troubles dans les conditions d'existence doivent être réparés à hauteur de 15 000 euros pour chacun de ces deux chefs de préjudice.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 mai 2020 et le 3 juin 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête de M. A....
Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct, enregistré le 10 juin 2020, M. A... a demandé à la Cour de transmettre au Conseil d'État, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration.
Par ordonnance du 8 juillet 2020, la présidente de la Cour a transmis au Conseil d'État la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration.
Par une décision n° 441747 du 7 octobre 2020, le Conseil d'État statuant au contentieux a jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour.
Par ordonnance du 9 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 octobre 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 ;
- le décret n° 2015-1145 du 15 septembre 2015 ;
- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., contrôleur des travaux publics de l'Etat, a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 30 000 euros, en réparation du préjudice résultant de son exposition à des poussières d'amiante à l'occasion de son activité professionnelle au sein du service des phares et balises. Il fait appel de l'ordonnance du 19 juillet 2019 par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". S'agissant du délai de recours contre les décisions implicites, l'article R. 421-2 du même code dispose, dans sa rédaction issue du décret de modification du code de justice administrative du 15 septembre 2015 : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ". Cette dernière règle comporte toutefois deux exceptions, fixées par l'article R. 421-3 du même code, qui prévoit, dans sa rédaction issue du décret du 2 novembre 2016, que seule une décision expresse est de nature à faire courir le délai de recours contentieux " (...) 1° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ", ainsi que " 2° Dans le cas où la réclamation tend à obtenir l'exécution d'une décision de la juridiction administrative ". Ce même décret du 2 novembre 2016 a, par son article 10, supprimé à cet article R. 421-3 une troisième exception, qui prévoyait que le délai de recours de deux mois ne courait qu'à compter d'une décision expresse " en matière de plein contentieux ".
3. La nouvelle règle, issue du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, selon laquelle, sauf dispositions législatives ou règlementaire qui leur seraient propres, le délai de recours de deux mois court à compter de la date où les décisions implicites relevant du plein contentieux sont nées, est applicable à ces décisions nées à compter du 1er janvier 2017. S'agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait - et n'aurait pu légalement faire - courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées. Toutefois, les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016, qui prévoient l'application de la nouvelle règle à " toute requête enregistrée à compter " du 1er janvier 2017, ont entendu permettre la suppression immédiate, pour toutes les situations qui n'étaient pas constituées à cette date, de l'exception à la règle de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dont bénéficiaient les matières de plein contentieux. Un délai de recours de deux mois court, par suite, à compter du 1er janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette même date. Cette règle doit toutefois être combinée avec les dispositions de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration, aux termes desquelles, sauf, en ce qui concerne les relations entre l'administration et ses agents, les délais de recours contre une décision tacite de rejet ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception prévu par l'article L.112-3 du même code ne lui a pas été transmis ou que celui-ci ne porte pas les mentions prévues à l'article R. 112-5 de ce code et, en particulier, dans le cas où la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, la mention des voies et délais de recours.
4. Ainsi qu'il a été exposé au point 3, les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016 ont eu pour effet de faire courir un délai de recours de deux mois, à compter du 1er janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette même date. Elles ne revêtent donc pas une portée rétroactive alors même qu'elles s'appliquent à des situations qui n'étaient pas constituées à cette date. Dès lors, le moyen tiré de l'illégalité de ces dispositions en ce que le pouvoir réglementaire n'aurait pas été compétent pour leur donner une portée rétroactive doit en tout état de cause être écarté.
5. En deuxième lieu, il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016 méconnaitraient le principe de sécurité juridique ne peut qu'être écarté. Pour le même motif, le moyen tiré de ce que le premier juge aurait omis de faire application de ce principe ne peut être accueilli.
6. En troisième lieu, M. A... soutient que les dispositions de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration, combinées avec celles de l'article L. 112-6 du même code et celles de l'article R. 421-3 du code de justice administrative, contreviennent aux stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui prohibent les discriminations dans la mise en oeuvre des droits garantis par cette convention, au nombre desquels figure le droit à un procès équitable rappelé par son article 6-1 ainsi que le droit d'accès au juge mentionné par son article 13. S'il fait valoir que ces dispositions ont pour effet de créer au détriment des agents publics une discrimination non justifiée, la nature des relations qu'un agent employé par une personne publique, entretient, en cette qualité, avec son employeur, est différente, même lorsqu'il a perdu cette qualité, de celle entretenue par l'administration avec le public, y compris l'agent en sa qualité de citoyen ou d'usager. En excluant l'application aux relations entre l'administration et ses agents des dispositions des articles L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration, qui ont pour objet de régir les relations du public avec l'administration, sans viser à intervenir dans les relations entre l'administration et ses agents, les dispositions de l'article L. 112-2 du même code ne procèdent dès lors pas de distinctions injustifiées entre les administrés et les agents de l'administration et assurent aux justiciables des garanties propres à chacune des différentes natures de litiges qui sont susceptibles de les opposer à l'administration. Par suite, ce moyen doit être écarté.
7. Enfin, il résulte de l'instruction que la demande d'indemnité adressée par M. A... à son administration a été reçue le 22 août 2016. Cette demande, qui tend à la réparation du préjudice subi par l'intéressé résultant de son exposition à des poussières d'amiante à l'occasion de son activité professionnelle au sein du service des phares et balises, n'était pas détachable des relations entre l'administration et cet agent. Par suite, l'administration n'était pas tenue de délivrer à l'intéressé l'accusé de réception de cette demande prévu par l'article L.112-3 du code des relations entre le public et l'administration dans la mesure où les dispositions de l'article L. 112-2 du même code, excluent l'application de cette formalité dans les relations entre l'administration et ses agents.
8. La demande d'indemnité adressée par M. A... au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ayant été reçue le 22 août 2016, une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le ministre plus de deux mois suivant cette date, soit le 22 octobre 2016. Un délai de recours de deux mois a couru à compter du 1er janvier 2017, en application de la règle rappelée aux points 2 et 3. La demande de M. A..., qui a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 19 juillet 2017, était, en conséquence, tardive et ainsi irrecevable.
9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que par l'ordonnance attaquée, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. D..., président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
N° 19MA04342 2