Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2020, M. A... B..., représenté par
Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1904231 du 17 février 2020 ;
2°) d'annuler la décision du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud du
28 février 2019 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de lui verser l'intégralité des rappels de traitement résultant de la reconstitution de sa carrière, assortie des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts, dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a retenu que le fait générateur de la créance réside dans le service fait, dès lors que le fait générateur de la créance est, en l'espèce, l'arrêté de reconstitution de carrière ;
- la prescription quadriennale ne peut lui être opposée dès lors qu'il était dans l'ignorance légitime de l'existence de sa créance avant la publication de l'arrêté interministériel du 3 décembre 2015 et de la directive du ministre de l'intérieur du 9 mars 2016 qui a reconnu l'existence de ses droits, ne pouvant avant cette date savoir que les circonscriptions de sécurité publique dans lesquelles il a exercé ses fonctions seraient inscrites au titre des circonscriptions ouvrant droit au bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté ;
- l'application de la prescription quadriennale à une créance existant à l'encontre de l'Etat doit être regardée comme portant atteinte au droit du détenteur de cette créance au respect de ses biens et comme ayant rompu le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général, en méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet ne pouvait opposer la prescription quadriennale sans méconnaître les dispositions de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 dès lors que l'ordonnance n°1506621 du 28 octobre 2015 du tribunal administratif de Marseille avait pour effet de contraindre l'Etat à reconstituer sa carrière après lui avoir reconnu le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté et à lui verser les sommes correspondantes ;
- le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud ne pouvait prendre l'arrêté attaqué sans méconnaître le principe d'égalité de traitement entre agents.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 ;
- le décret n° 95-313 du 21 mars 1995 ;
- l'arrêté du 17 janvier 2001 fixant la liste des secteurs prévue au 1° de l'article 1er du décret du 21 mars 1995;
- l'arrêté du 3 décembre 2015 fixant la liste des secteurs prévue au 1° de l'article 1er du décret du 21 mars 1995 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Une note en délibéré présentée pour M. B... a été enregistrée le
16 décembre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., fonctionnaire de police, affecté à la circonscription de sécurité publique de Marseille du 1er septembre 1995 au 31 août 2005, a sollicité, le 3 février 2015, le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA) avec reconstitution de sa carrière et l'attribution rétroactive des effets pécuniaires de cette reconstitution de carrière par le versement des rémunérations dues au titre des années de service accomplies depuis le 1er septembre 1995 à Marseille. Par ordonnance n° 1506621 du 28 octobre 2015, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Marseille a annulé la décision implicite par laquelle le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a rejeté cette demande, enjoint aux ministres concernés d'examiner si les lieux d'affectation de M. B... durant la période litigieuse se situait dans une circonscription de police ouvrant droit à l'attribution de l'ASA et rejeté le surplus de ses conclusions. Par un arrêté, n° 2018-184 en date du 24 octobre 2018, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a reconnu le bénéfice de l'ASA à l'intéressé et procédé à la reconstitution de sa carrière et, par décision n° 2018-184 B du 28 février 2019, il a opposé à la demande de verser les rémunérations dues au titre de l'ASA, l'exception de prescription quadriennale pour les années 1998 à 2009. M. B... relève appel de l'ordonnance n° 1904231 du 17 février 2020 par laquelle le président de la 4ème chambre du tribunal administratif Marseille, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 février 2019 et à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui verser l'intégralité des sommes résultant de la reconstitution de sa carrière.
2. L'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, modifié par l'article 17 de la loi du 25 juillet 1994, dispose que : " Les fonctionnaires de l'Etat et les militaires de la gendarmerie affectés pendant une durée fixée par décret en Conseil d'Etat dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, ont droit, pour le calcul de l'ancienneté requise au titre de l'avancement d'échelon, à un avantage spécifique d'ancienneté dans des conditions fixées par ce même décret. " Selon l'article 1er du décret du 21 mars 1995 pris pour l'application de ces dispositions législatives, les quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles doivent correspondre " en ce qui concerne les fonctionnaires de police, à des circonscriptions de police ou à des subdivisions de ces circonscriptions désignées par arrêté conjoint du ministre chargé de la sécurité, du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget ". La liste des circonscriptions de police ouvrant droit à l'avantage spécifique d'ancienneté a d'abord été fixée, sur le fondement de ces dispositions, par un arrêté du 17 janvier 2001. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux ayant, par voie d'exception, constaté l'illégalité de cet arrêté par sa décision n° 327428 du 16 mars 2011, les ministres compétents ont pris, le 3 décembre 2015, un nouvel arrêté, publié au Journal officiel de la République française le 16 décembre suivant.
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, (...) sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ".
4. En premier lieu, lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit, le fait générateur de la créance se trouve ainsi dans les services accomplis par l'intéressé et la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés. En l'espèce, le fait générateur de la créance dont se prévaut M. B... est constitué par le service qu'il a effectué dans la circonscription de sécurité publique de Marseille. Les droits sur lesquels cette créance est fondée ont été acquis à compter du 1er janvier 1995.
5. En deuxième lieu, il appartenait à M. B..., s'il s'y croyait fondé, de solliciter le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté au titre de services accomplis antérieurement à l'entrée en vigueur de l'arrêté du 3 décembre 2015, en se prévalant de son affectation à une circonscription de police, ou une subdivision d'une telle circonscription, où se posaient des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, au sens et pour l'application des dispositions de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 modifiée, ainsi au demeurant que s'en était prévalu le fonctionnaire de police auteur du pourvoi examiné par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux par sa décision n° 327428 du 16 mars 2011, pour solliciter le bénéfice de cet avantage à raison de son affectation dans une circonscription de police pour la période allant du 1er janvier 1995 au 31 août 1998. Dès lors, M. B... ne saurait utilement prétendre avoir ignoré l'existence de sa créance jusqu'à la date d'entrée en vigueur de l'arrêté interministériel du 3 décembre 2015 ou à la date de publication de la directive du ministère de l'intérieur du 9 mars 2016, publiée au bulletin officiel du ministère de l'intérieur le 15 avril 2016, comportant, en son annexe 2, la liste des circonscriptions de police éligibles au bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté au titre de la période comprise entre le 1er janvier 1995 et le 16 décembre 2015. Dans ces conditions, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud pouvait, à la date de présentation de la réclamation de M. B..., le 3 février 2015 opposer la prescription des créances relatives à l'avantage spécifique d'ancienneté antérieures au 1er janvier 2010.
6. En troisième lieu, aux termes du second alinéa de l'article 7 de la loi susvisée du 31 décembre 1968 : " En aucun cas, la prescription ne peut être invoquée par l'Administration pour s'opposer à l'exécution d'une décision passée en force de chose jugée. ". M. B... soutient que le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud ne pouvait, sans méconnaître ces dispositions, opposer aux créances antérieures au 1er janvier 2010 l'exception de prescription quadriennale, dès lors que l'ordonnance n°1506621 du 28 octobre 2015 avait eu pour effet de contraindre l'Etat à reconstituer sa carrière après lui avoir reconnu le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté et à lui verser les sommes correspondantes. Il ressort, toutefois, des termes même de cette ordonnance que le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Marseille a seulement enjoint aux ministre chargés de la sécurité, de la ville, de la fonction publique et du budget, d'examiner si le lieu d'affectation de M. B... à Marseille pour la période du 1er septembre 1995 au 1er avril 2008 se situe dans une circonscription de police au sens et pour l'application de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 modifiée et de l'article 1er du décret du 21 mars 1995 pris pour son application, et au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation de M. B... pour l'attribution de l'ASA pour la période du 1er septembre 1995 au
1er avril 2008. Par suite, la prescription n'a pas été opposée par l'arrêté du 20 février 2019 afin de faire échec à l'exécution d'une décision passée en force de chose jugée.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ".
8. Il résulte de l'instruction que les indemnités demandées par M. B..., à raison du caractère insuffisant de rémunérations n'ayant pas intégré un avantage spécifique d'ancienneté, ont la nature d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances détenues, notamment, sur l'Etat, ont été adoptées en vue de permettre à l'Etat de ne pas être indéfiniment débiteur de créances qui n'auraient pas été réclamées par leurs titulaires. Le délai de quatre années, laissé aux créanciers afin de faire valoir leurs droits, est suffisant pour leur permettre de recouvrer leur créance. Par suite, le seul fait que les prétentions d'un fonctionnaire au versement de telles indemnités puissent être soumises, en vertu des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, à un délai de prescription de quatre ans, qui ne présente pas en tant que tel, et en l'espèce, un caractère exagérément court, n'est pas incompatible avec ces stipulations.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1968 : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi. / Toutefois, par décision des autorités administratives compétentes, les créanciers de l'Etat peuvent être relevés en tout ou en partie de la prescription, à raison de circonstances particulières et notamment de la situation du créancier. (...) ". Par suite, M. B..., auquel la prescription quadriennale a été régulièrement opposée, ne saurait utilement se prévaloir de la situation non conforme à ces dispositions, dont ont bénéficié d'autres agents auxquels l'administration s'est abstenue de l'opposer, pour établir que l'opposition de la prescription à son égard constitue, une méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires. Il en va de même de la situation de certains agents ayant introduit leur demande avant que le ministre adopte, en 2019, des instructions préconisant la mise en oeuvre systématique de la prescription, et qui ont obtenu le versement de l'ASA alors que leur créance était atteinte par la prescription.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Marseille n'a pas fait droit aux conclusions de sa demande tendant au versement des sommes correspondant à sa reconstitution de carrière pour la période antérieure au 1er janvier 2010. Ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent par voie de conséquence être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président de chambre,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2020.
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N° 20MA01662