Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 31 juillet 2019, M. C... E..., représenté par Me A..., après déconstitution de Me B..., qui avait introduit sa requête, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Drôme du 11 juin 2019, l'obligeant à quitter le territoire français sans délai et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale, étant fondée sur une décision de retrait de sa carte de résident elle-même illégale, dès lors qu'un tel titre ne peut être retiré au motif que son détenteur représente une menace pour l'ordre public ;
- le préfet ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, refuser de lui accorder un délai de départ volontaire au motif qu'il constitue une menace pour l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2019, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête de M. E....
Il soutient que la requête est irrecevable dès lors qu'elle n'est pas signée par son auteur et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- l'accord franco-tunisien modifié du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 11 juin 2019, le préfet de la Drôme a retiré à M. E..., ressortissant tunisien, la carte de résident, valable du 14 novembre 2015 au 13 novembre 2025, dont il était titulaire, l'a obligé à quitter le territoire sans délai et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. E... relève appel du jugement du
2 juillet 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cet arrêté en tant qu'il l'obligeait à quitter sans délai le territoire français et lui interdisait d'y retourner durant trois ans.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le préfet de la Drôme :
2. Aux termes de l'article R. 414-1 du code de justice administrative : " Lorsqu'elle est présentée par un avocat, un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public, la requête peut être adressée à la juridiction par voie électronique au moyen d'une application informatique dédiée accessible par le réseau internet. Les caractéristiques techniques de cette application garantissent la fiabilité de l'identification des parties ou de leur mandataire, l'intégrité des documents adressés ainsi que la sécurité et la confidentialité des échanges entre les parties et la juridiction. Elles permettent également d'établir de manière certaine la date et l'heure de la mise à disposition d'un document ainsi que celles de sa première consultation par son destinataire. Un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, définit ces caractéristiques et les exigences techniques qui doivent être respectées par les utilisateurs de l'application. " et aux termes de l'article R. 611-8-4 du même code : " Lorsqu'une partie ou son mandataire adresse un mémoire ou des pièces par voie électronique, son identification selon les modalités prévues par l'arrêté mentionné à l'article R.414-1 vaut signature pour l'application des dispositions du présent code. (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsqu'une partie adresse à la juridiction administrative un mémoire ou des pièces par l'intermédiaire de l'application informatique dénommée Télérecours, son identification selon les modalités prévues pour le fonctionnement de cette application vaut signature pour l'application des dispositions du code de justice administrative.
3. Il ressort des pièces du dossier que la requête de M. E... a été transmise par son avocate, Me B..., le 31 juillet 2019, par l'application " Télérecours ". Cette transmission valant signature, la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Drôme tirée de ce que cette requête serait irrecevable en application de l'article R. 431-4 du code de justice administrative à défaut de signature manuscrite de ce document, doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Il ressort des termes de l'arrêté du 11 juin 2019 que la décision obligeant M. E... à quitter le territoire français a pour unique fondement le retrait de sa carte de résident, lequel a été décidé au motif que sa présence en France constituait une menace à l'ordre public. Par suite, le moyen invoqué à l'encontre de la première décision, tiré de l'illégalité de la décision de retrait de sa carte de résident, est opérant.
5. Aux termes de l'article 10 de l'accord franco-tunisien susvisé : " 1. Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) ". Aux termes l'article 11 du même accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ".
6. M. E... soutient que la décision de retrait de sa carte de résident est entachée d'une erreur de droit, dès lors qu'aucune disposition ni stipulation ne permet le retrait d'un titre de séjour fondé sur les stipulations précitées de l'article 10 de l'accord franco-tunisien au motif que son détenteur représente une menace pour l'ordre public. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué que la décision litigieuse a été prise au visa de l'article L. 314-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui, s'il dispose que " La carte de résident peut être refusée à tout étranger dont la présence constitue une menace pour l'ordre public. " ne permet pas de retirer une telle carte. En outre, si le détenteur d'une carte de résident peut voir son titre retiré s'il fait l'objet d'une mesure d'expulsion, dès lors que les conditions de celle-ci sont réunies, ni l'accord franco-tunisien, ni aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile traitant des points non traités par l'accord ne permet de retirer une carte de résident à son détenteur au motif qu'il constitue une menace pour l'ordre public. La décision de retrait de la carte de résident de M. E... étant entachée d'une erreur de droit, ce dernier est fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français prise par suite de cette décision illégale est elle-même illégale et doit être annulée, ainsi que, par suite, la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et la décision lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.
7. Il résulte de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Drôme en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire sans délai et lui interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.
8. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile, que le préfet de la Drôme réexamine la situation de M. E... dans un délai qu'il convient de fixer à un mois, et le munisse, le temps de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour. Il y a en conséquence lieu de faire application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et d'enjoindre au préfet de lui remettre sans délai une telle autorisation.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 2 juillet 2019 est annulé.
Article 2 : Les décisions du préfet de la Drôme du 11 juin 2019 obligeant M. E... à quitter le territoire français, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Drôme de réexaminer la situation de M. E... dans un délai d'un mois, et de le munir, le temps de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., au préfet de la Drôme et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à dispositions du greffe, le 23 février 2021.
N° 19MA03605 2