Procédure devant la Cour :
Par un recours enregistré le 14 avril 2014, le ministre de la défense demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 7 février 2014 ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. C....
Il soutient que :
- le tribunal, en ne se prononçant pas sur le renversement de la présomption de causalité et le droit à réparation de M. C..., a méconnu l'étendue de sa compétence ;
- la méthode de calcul de la probabilité de causalité n'est pas utilement contestée ;
- l'appréciation portée sur les faits ayant conduit le tribunal à considérer que le lien entre les essais nucléaires et la maladie de M. C... n'était pas négligeable et justifiait l'indemnisation demandée est erronée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 mai 2015 et le 23 décembre 2016, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
- de rejeter le recours du ministre ;
- d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires pour que celui-ci procède à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont il a souffert et propose une indemnisation tenant compte des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;
- de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que c'est à bon droit que le tribunal a jugé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la leucémie dont il a souffert ne peut être regardé comme négligeable.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 modifiée ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renouf,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., substituant MeD..., représentant M. C....
1. Considérant que le ministre de la défense fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a annulé, à la demande de M. C..., sa décision du 28 mai 2013 par laquelle il a rejeté la demande d'indemnisation au titre des dispositions applicables aux victimes des essais nucléaires français présentée par l'intéressé ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français modifiée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes du I de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " Les demandes d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) " et qu'aux termes du II de ce même article : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction également applicable au litige : " Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;
4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;
5. Considérant qu'il est constant que M. C... a séjourné en Polynésie française à deux reprises dans les lieux et aux dates définies par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'il a été atteint d'une leucémie, maladie qui figure au nombre des maladies radio-induites limitativement énumérées à l'annexe du décret pris en application de l'article 1er de cette loi ; qu'ainsi, M. C... entre dans le champ d'application des dispositions précitées et doit bénéficier de l'indemnisation qu'elles prévoient, sauf à ce que le ministre de la défense établisse que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de sa maladie est négligeable ;
6. Considérant, en premier lieu, qu'il est constant que le premier séjour de M. C... en Polynésie française a débuté le 28 mai 1980, six années après le dernier essai nucléaire aérien, et s'est achevé le 11 juin 1981 ; qu'il était alors affecté en qualité de maître marin mécanicien à bord du bâtiment de débarquement de chars (BDC) " Trieux ", lequel a, à plusieurs reprises, mouillé à Mururoa ; qu'il résulte de l'instruction que les tirs souterrains qui ont eu lieu à Mururoa pendant le séjour de l'intéressé à bord du " Trieux " ont été maîtrisés et n'ont notamment pas donné lieu à des échappements dans l'atmosphère ; qu'à cette période, l'activité de mécanicien de l'intéressé ne l'exposait pas, alors même qu'il participait à l'entretien des bouilleurs d'eau de mer, à un risque particulier nécessitant que soient réalisées des mesures de surveillance personnelles ; que, s'agissant du risque de contamination externe, le ministre de la défense produit les relevés de dosimètres couvrant l'ensemble de la période et qui sont tous négatifs ; que s'il est constant que, le 22 mars 1981, un cyclone a provoqué divers dégâts susceptibles d'entraîner une contamination des personnes séjournant alors à Mururoa, M. C... a bénéficié d'une anthropogammamétrie le 5 juin 1981, c'est-à-dire à une date à laquelle une contamination éventuelle consécutive aux effets du cyclone serait nécessairement apparue ; qu'ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que les mesures de surveillance des contaminations interne et externe éventuelles lors du séjour de M. C... à bord du " Trieux " ont été, en ce qui le concerne, insuffisantes ;
7. Considérant de même, que le second séjour de M. C... en Polynésie française s'est déroulé du 27 juin 1983 au 28 juin 1986 ; que l'intéressé était alors affecté en qualité de mécanicien à bord de l'escorteur aviso (AE) " Balny " ; que 9 ans s'étaient écoulés depuis les derniers essais atmosphériques réalisés dans la zone ; que les essais souterrains qui ont eu lieu ont été maîtrisés ; que l'activité de M. C... ne l'exposait pas à des risques particuliers de contamination ainsi que cela a été précisé au point précédent ; qu'en outre, le " Balny " ne s'est que rarement rendu à Mururoa et à des dates auxquelles aucun événement particulier ne justifiait des mesures de surveillance ; qu'ainsi, bien que le ministre de la défense ne produise aucun justificatif de mesures de surveillance pendant cette période, il résulte de l'instruction que lesdites mesures de surveillance n'étaient alors pas nécessaires ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la méthode retenue par le CIVEN pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires s'appuie sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique, notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prend en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou, en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence, fondée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 2 et 3, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont souffre l'intéressé ;
9. Considérant, enfin, que la méthode utilisée par le CIVEN n'étant, ainsi qu'il a été dit, pas utilement contestée, il est constant qu'en application de cette méthode, les résultats des mesures de surveillance dont M. C... a bénéficié, à savoir des relevés de dosimétrie nuls et un examen anthropogammamétrique ayant révélé un résultat normal, permettent de conclure que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la leucémie dont M. C... a souffert 17 années après la fin de son dernier séjour en Polynésie française, est négligeable ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que le ministre de la défense est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Toulon a annulé sa décision du 28 mai 2013 et lui a enjoint de réexaminer la demande de M. C... en vue de lui proposer une indemnisation ; que, par suite, les conclusions de M. C... à fin d'injonction ainsi que ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 7 février 2014 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Toulon est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de M. C... à fin d'injonction et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense, à M. A... C...et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Délibéré après l'audience du 9 février 2017, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président assesseur,
- M. Coutel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2017.
N° 14MA01766