Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 octobre 2017, Mme E... C..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler les décisions du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 13 octobre 2016 portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination ;
3°) d'enjoindre à titre principal au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'administration de prendre une nouvelle décision dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous peine de la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de séjour est insuffisamment motivé ;
- l'avis du médecin de l'agence régionale de santé est irrégulier ;
- cet avis n'a pas été transmis au préfet sous couvert du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) ;
- les dispositions du 11°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues compte tenu de son état de santé et de l'absence de soins appropriés dans son pays d'origine ;
- les dispositions de l'article L. 313-14 du code précité ont été méconnues ;
- l'obligation de quitter le territoire est privée de base légale et entachée d'une erreur de droit ;
- l'administration a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision ;
- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée ;
- en prenant cette décision, le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence et, partant, une erreur de droit.
Une mise en demeure a été adressée le 25 septembre 2018 au préfet des Bouches-du-Rhône, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 septembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coutel a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme C..., ressortissante kosovare, a sollicité le 14 juin 2016 son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'elle a demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation de l'arrêté du 13 octobre 2016 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ; que le tribunal a rejeté sa demande par jugement en date du 28 juin 2017 ; que Mme C... demande l'annulation de ce jugement et des décisions du 13 octobre 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...). Le médecin de l'agence régionale de santé (...) peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d'État. " ; qu'aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général (...) / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. Quand la commission médicale régionale a été saisie dans les conditions prévues à l'article R. 313-26, l'avis mentionne cette saisine. / Le préfet peut, après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, prendre en considération une circonstance humanitaire exceptionnelle pour délivrer la carte de séjour temporaire même s'il existe un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 9 novembre 2011 susvisé : " L'étranger qui a déposé une demande de délivrance ou de renouvellement de carte de séjour temporaire est tenu de faire établir un rapport médical relatif à son état de santé par un médecin agréé ou par un médecin praticien hospitalier visé au 1° de l'article L. 6152-1 du code de la santé publique. " ; qu'aux termes de l'article 3 du même arrêté : " Au vu des informations médicales qui lui sont communiquées par l'intéressé ou, à la demande de celui-ci, par tout autre médecin, et au vu de tout examen qu'il jugera utile de prescrire, le médecin agréé ou le médecin praticien hospitalier mentionné à l'article 1er établit un rapport précisant le diagnostic des pathologies en cours, le traitement suivi et sa durée prévisible ainsi que les perspectives d'évolution. Il transmet ce rapport médical, sous pli confidentiel, au médecin de l'agence régionale de santé dont relève la résidence de l'intéressé, désigné à cet effet par le directeur général de cette agence (...) " ; qu'aux termes de l'article 4 dudit arrêté : " Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis précisant : /- si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ;
/- si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / - s'il existe dans le pays dont il est originaire, un traitement approprié pour sa prise en charge médicale ; /- la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / Cet avis est transmis au préfet sous couvert du directeur général de l'agence régionale de santé. Celui-ci, s'il estime, sur la base des informations dont il dispose, qu'il y a lieu de prendre en compte des circonstances humanitaires exceptionnelles susceptibles de fonder une décision d'admission au séjour, transmet au préfet un avis complémentaire motivé. / Par ailleurs, dès lors que l'intéressé porterait à la connaissance du préfet des circonstances humanitaires exceptionnelles susceptibles de fonder une décision d'admission au séjour, le préfet saisit pour avis le directeur général de l'agence régionale de santé, qui lui communique son avis motivé dans un délai d'un mois. " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que Mme C... présente une mélancolie stuporeuse avec mise en évidence d'éléments dissociatifs passés inaperçus, un syndrome hallucinatoire et un délire de persécution à bas bruit et fait l'objet d'une prise en charge médicale par le suivi d'un traitement psychotrope et un suivi thérapeutique mensuel depuis 2014 ; que son état de santé l'expose à un risque de passage à l'acte suicidaire en cas de retour dans son pays d'origine ; que si le médecin de l'agence régionale de santé, rendu destinataire du dossier médical de la requérante, a estimé que le défaut de prise en charge de la pathologie de l'intéressée ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ces appréciations, imprécises au regard des prescriptions de l'arrêté ministériel du 9 novembre 2011, ne sont pas, en tout état de cause, de nature à remettre en cause le diagnostic pratiqué à deux reprises par le DrB..., psychiatre agréé ; qu'ainsi, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que, contrairement à ce qu'a retenu l'administration, compte tenu de la pathologie précisément définie de Mme C..., l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que, d'autre part, il ressort des certificats établis le 5 novembre 2015 et le 30 juin 2016 par le Dr B..., que Mme C... bénéficie d'un traitement anxiolytique, antidépresseur et hypnotique régulier ; que ce traitement est réservé notamment aux états dépressifs majeurs ; qu'il ressort des pièces du dossier et des renseignements recueillis que le système de santé au Kosovo n'est pas, eu égard notamment à l'insuffisance des infrastructures et des personnels qualifiés, en mesure de prendre en charge la pathologie de Mme C..., compte tenu de sa gravité, de la périodicité de son traitement et de l'assistance quotidienne qui est nécessaire à l'intéressée ; qu'ainsi, Mme C..., qui réside habituellement en France depuis son entrée sur le territoire en septembre 2013, est fondée à soutenir qu'en prenant la décision de refus de séjour en litige, le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu les dispositions du 11°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4. Considérant qu'il résulte ce qui vient d'être dit, que la décision portant obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement sont privées de base légale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour en date du 13 octobre 2016 ; qu'il y a lieu de les annuler pour ce motif ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 octobre 2016 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant que la présente décision implique que le préfet des Bouches-du-Rhône réexamine la situation de Mme C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, au regard de son état de santé à la date de sa décision ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement au conseil de Mme C... de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1701271 du 28 juin 2017 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 13 octobre 2016 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de la situation de Mme C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Il est mis à la charge de l'État le versement à Me D... de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C..., au préfet des Bouches-du-Rhône, au ministre de l'intérieur et à Me D....
Délibéré après l'audience du 16 octobre 2018, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Coutel et M. A..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 13 novembre 2018.
N° 17MA04104 2