Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 18 avril 2018, Mme C..., représentée par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1504274 du 20 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 septembre 2015 par lequel le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie à compter du 13 mars 2014 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie à compter du 13 mars 2014 dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un médecin expert psychiatre à cet effet ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
sa requête est recevable ;
l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé en droit et en fait ;
elle est victime de harcèlement ;
l'arrêté est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation alors que son état de santé dépressif à compter du 14 mars 2014 est en lien direct et certain avec l'exercice de ses fonctions, de sorte qu'il doit être reconnu imputable au service ;
si la Cour s'estimait insuffisamment informée, il conviendrait de désigner un médecin expert psychiatre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
les conclusions de la requête sont irrecevables faute de moyens d'appel ;
les moyens de la requête de Mme C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. Jorda,
et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., gardien de la paix titulaire, a été affectée à la brigade spécialisée de terrain au sein du commissariat de police de la Seyne-sur-Mer à compter du 1er février 2011. Par la présente requête, elle fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté son recours pour excès de pouvoir de l'arrêté du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud du 24 septembre 2015 portant refus de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie à compter du 13 mars 2014.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a présenté devant la cour administrative d'appel de Marseille une requête qui conclut à l'annulation du jugement du 20 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions sans constituer la reproduction littérale du texte de sa requête introductive de première instance, enregistrée le 18 décembre 2015 au greffe du tribunal, alors que cette requête comprend des développements de plusieurs pages sur les propos supposément subis en service. Une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-1 visé du code de justice administrative. Dès lors, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que la requête d'appel de Mme C... serait insuffisamment motivée au regard des dispositions précitées et qu'elle serait, par suite, irrecevable.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes du deuxième alinéa du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " (...)si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) ". Le droit, prévu par ces dispositions, de conserver l'intégralité du traitement est soumis à la condition que la maladie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions.
5. En l'espèce, Mme C... soutient que le syndrome dépressif dont elle est atteinte et qui a justifié ses arrêts de travail depuis le 14 mars 2014 a été contracté en service, après qu'elle a fait l'objet quotidiennement entre janvier et septembre 2012, dans l'exercice de ses fonctions de gardien de la paix à la brigade spécialisée de terrain du commissariat de police de la Seyne-sur-Mer, d'attaques verbales injurieuses et obscènes et de propositions à caractère sexuel de son supérieur hiérarchique, adjoint au chef de cette unité de police puis, lorsqu'elle a fait l'objet de la part de ce chef d'unité, en dernier lieu le 13 mars 2014, d'un manque de soutien, de reproches et de dénigrements. Par un arrêt n° 17MA00578 prononcé ce même jour, la cour administrative d'appel de Marseille estime que Mme C... apporte à l'appui de ses dires des éléments suffisants pour faire présumer de la matérialité des faits d'attaques au titre du harcèlement sexuel puis du harcèlement moral dont elle a été victime alors que l'administration ne renverse pas une telle présomption à la date de la décision attaquée.
Par ailleurs, il ressort des conclusions de l'expertise réalisée le 24 août 2014 par le Dr B... G..., médecin psychiatre agréé, que " le diagnostic qui pourrait être évoqué chez Madame C...est celui d'un trouble de l'adaptation avec à la fois anxiété et humeur dépressive " qui " semble " cependant avoir évolué en une " symptomatologie de nature interprétative, avec vécu persécutoire et réponses procédurières, sans rapport avec les critères diagnostiqués d'un trouble de l'adaptation ", de nature à " faire évoquer (...) à titre de comorbidité le diagnostic de trouble de la personnalité ". En présence de cette impossibilité d'émettre un unique diagnostic, il ressort notamment des certificats médicaux produits par Mme C... en première instance, établis le 14 mars 2014 et le 17 juillet 2014 par un médecin généraliste, le Dr E..., ainsi que des conclusions des deux examens effectués par le
DrA..., médecin inspecteur régional de l'administration à la demande de l'intéressée les 14 avril et 12 mai 2014, que la requérante n'était pas apte à une reprise prévisible à la suite d'un état dépressif réactionnel sans antécédent présenté par une patiente sportive de haut niveau. Par ailleurs, Mme C... produit pour la première fois en appel un autre certificat médical en date du 1er juillet 2014, établi par le DrD..., en charge des maladies du système nerveux et de psychothérapies, indiquant que " cet état est totalement réactionnel à des faits qui se seraient produits sur son lieu de travail ". Il s'ensuit que l'état pathologique de Mme C... à partir du 13 mars 2014 et ses arrêts de travail depuis le 14 mars 2014 sont en relation directe et certaine avec un tel accident de service, à supposer qu'ils ne le soient pas de manière exclusive. À cet égard, il ne résulte pas de l'instruction que Mme C... aurait présenté une fragilité psychologique préexistante. Dans ces conditions, en dépit de l'avis défavorable rendu par la commission de réforme interdépartementale à l'issue de sa séance du 17 septembre 2015, Mme C... démontre le lien direct de sa pathologie avec les conditions d'exercice de sa profession à la date de la décision attaquée. Sa pathologie survenue lors de l'exercice de ses fonctions doit donc être regardée comme imputable au service au sens du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme C... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté en cause.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions en annulation de l'arrêté en cause.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
8. L'annulation de l'arrêté du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud en date du 24 septembre 2015 portant refus de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme C... à compter du 13 mars 2014 implique nécessairement cette reconnaissance. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à l'État de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service du trouble dépressif développé par Mme C... à partir du 13 mars 2014, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. L'article L. 761-1 de ce code dispose : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1504274 rendu le 20 février 2018 par le tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 24 septembre 2015 par lequel le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme C... à compter du 13 mars 2014 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service du trouble dépressif développé par Mme C... à partir du 13 mars 2014, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Mme C... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... C...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 18 décembre 2018, où siégeaient :
M. Gonzales, président,
M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
* M. Jorda, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 janvier 2019.
N° 18MA01733 2