Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2014 et un mémoire enregistré le 29 septembre 2015, Mme B..., représentée par Me Lextrait, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 19 juin 2014 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral n° 14/84/042 du 6 février 2014 ;
3°) d'annuler l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre par le préfet de Vaucluse ;
4°) d'enjoindre aux services préfectoraux de lui délivrer, dès la notification du jugement à intervenir, une autorisation provisoire de séjour, et, à défaut, sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;
5°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 1 500 euros en application de
l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
6°) de condamner l'Etat aux entiers dépens.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas fait l'objet d'un contradictoire préalable ;
- elle est insuffisamment motivée au regard de la loi du 11 juillet 1979 ;
- elle est entachée d'un défaut de base légale ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 3-1 et 9 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination n'a pas fait l'objet d'un contradictoire préalable ;
- elle est, en outre, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par ordonnance du 31 juillet 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2015.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 septembre 2014.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2000-231 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gonzales.
1. Considérant que Mme B..., née le 25 novembre 1994 en Italie, a été interpellée par la gendarmerie le 6 février 2014 et a fait l'objet, le jour même, d'un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire et fixation du pays de destination ;
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
3. Considérant que Mme B... a déclaré être entrée en France en 2010 ; qu'elle vit avec un ressortissant croate, M. A... C... ; qu'elle est mère d'une enfant née en janvier 2013, souffrant d'une cardiopathie complexe et qui est accueillie dans une pouponnière à caractère sanitaire depuis le 26 février 2013 ; que M. C... a sollicité son admission au séjour en France sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en qualité d'accompagnant d'un enfant malade ; que par arrêté en date du 3 décembre 2013, le préfet lui a délivré une autorisation provisoire de séjour valable du 1er mars 2014 au 30 août 2014, eu égard à la santé de son enfant ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'enfant de Mme B... est porteur d'une pathologie grave nécessitant un traitement au long cours ; que le préfet, en délivrant une autorisation provisoire de séjour à M. C... en qualité d'accompagnant d'un enfant malade, reconnaît la nécessité de la présence de cet enfant en France pour recevoir les soins adaptés à son état ainsi que celle de son père ; que l'arrêté contesté aurait pour effet de priver cet enfant de la présence également indispensable, eu égard à son très jeune âge, de sa mère ; que, par ailleurs, il résulte du dossier que Mme B... ne possède aucune attache familiale en Croatie ; qu'ainsi la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et du citoyen ; qu'elle encourt l'annulation pour ce motif ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, de la décision fixant un pays de destination ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ; qu'aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. " ; qu'aux termes de l'article L. 512-4 du code de l' entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l' obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) " ;
7. Considérant que l'annulation par le présent arrêt de l'arrêté du 6 février 2014 faisant obligation à Mme B... de quitter le territoire français implique seulement que le préfet de Vaucluse procède à un réexamen de la situation de l'intéressée et lui délivre, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ; qu'il y a lieu, dès lors, d'enjoindre à cette autorité de réexaminer la situation de Mme B... dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de sa nouvelle décision ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions relatives aux dépens :
8. Considérant que la présente affaire n'a donné lieu à aucun dépens ; que, par suite, les conclusions présentées par Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Considérant que Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lextrait, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Lextrait.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 19 juin 2014 du tribunal administratif de Nîmes et l'arrêté du 6 février 2014 par lequel le préfet de Vaucluse a fait obligation à Mme B... de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Vaucluse de réexaminer la situation de Mme B... dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de sa nouvelle décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à Me Lextrait, avocat de Mme B..., la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Lextrait renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B..., au ministre de l'intérieur et à Me Lextrait.
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 23 février 2016, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller
Lu en audience publique, le 15 mars 2016.
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N° 14MA03160