Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 25 avril 2019, M. C..., représenté par la Selarl d'avocats BS2A Bescou et Sabatier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 27 mars 2019 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 février 2019 du préfet de l'Aude ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 la somme de 1 200 euros, qui sera versée à la Selarl d'avocats BS2A Bescou et Sabatier, en contrepartie de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- les premiers juges ont omis de statuer sur les moyens tirés du défaut d'examen particulier de sa demande, de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision en litige sur sa situation personnelle et de l'erreur de droit commise par le préfet en appliquant l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- le préfet devait le réadmettre en Espagne, et non le renvoyer en Algérie, en application de l'article 5.1. du traité de réadmission signé à Malaga le 26 novembre 2002 entre la France et l'Espagne, qui prime sur l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen préalable individualisé ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Sur le refus d'accorder un délai de départ volontaire :
-la décision en litige méconnaît l'article L. 511-1 II 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
-elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur le pays de renvoi :
- par la voie de l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sans délai, cette décision est dépourvue de base légale.
Sur l'interdiction de retour :
- par la voie de l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sans délai, cette décision est dépourvue de base légale ;
- le préfet n'a pas pris en compte l'ensemble des critères prévus par le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la durée de cette interdiction est disproportionnée.
La requête a été transmise au préfet de l'Aude qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2004-226 du 9 mars 2004 portant publication de l'accord entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Malaga le 26 novembre 2002 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité algérienne, a été interpellé le 13 février 2019 par les services de police, muni d'un passeport en cours de validité avec un visa russe ne lui permettant ni une entrée régulière ni un séjour régulier en France, alors qu'il circulait à bord d'un TGV reliant Barcelone à Paris. Par l'arrêté en litige du même jour, le préfet de l'Aude lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Le requérant relève appel du jugement du 27 mars 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le premier juge au point 4 du jugement attaqué n'a pas répondu aux moyens du requérant tiré de ce que le préfet de l'Aude, qui avait la faculté soit de remettre M. C... aux autorités compétentes de l'Espagne d'où il provenait, soit de lui faire obligation de quitter le territoire français, n'aurait pas procédé à un examen sérieux de sa situation en ne s'interrogeant pas sur l'opportunité d'une mesure de réadmission vers l'Espagne et que le choix retenu par l'administration de lui faire obligation de quitter le territoire français était entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ce choix sur sa situation personnelle. Ces moyens n'étaient pas inopérants. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité pour ce motif et à en demander l'annulation.
3. Il y a lieu d'évoquer et, par là, de statuer en qualité de juge de première instance sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nîmes.
Sur la légalité de l'arrêté du 13 février 2019 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, l'arrêté du 13 février 2019 a été signé par Mme E... B..., chef du bureau de l'immigration et de la nationalité, qui a reçu délégation de signature par arrêté du préfet de l'Aude du 13 septembre 2018 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs du département. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort des dispositions des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) relatives à l'OQTF et des articles L. 531-1 et suivants du même code relatives aux procédures de remise aux Etats membres de l'Union européenne (UE) ou parties à la convention d'application de l'accord de Schengen, que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 531-2, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'UE ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre. Toutefois, si l'étranger demande notamment à être éloigné vers l'Etat membre de l'UE ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.
6. Il ressort des termes de la décision en litige que le préfet, après avoir procédé à un examen particulier de la situation du requérant en provenance directe d'Espagne, a décidé de mettre en oeuvre les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de lui faire obligation de quitter le territoire français pour rejoindre le pays dont il a la nationalité ou tout autre pays non membre de l'Union européenne où il est légalement admissible, plutôt que de recourir à la procédure de réadmission auprès des autorités espagnoles prévue par l'article L. 531-1 du même code, comme il pouvait légalement le faire ainsi qu'il a été dit au point 5. Il n'est pas établi, ni même allégué que M. C... a demandé expressément et préalablement à être éloigné vers l'Espagne d'où il provenait. Dans ces conditions, il ne peut utilement soutenir que le choix retenu par le préfet de lui faire obligation de quitter le territoire français avec interdiction de retour sur le territoire serait entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ce choix sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire :
7. Dès lors que M. C... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'arrêté en litige en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire n'est pas dépourvue de base légale.
8. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " (...) II. - Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...); f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il (...) ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale(...) ".
9. La décision en litige d'obligation de quitter le territoire français sans délai est fondée sur les a) et f) du 3° de l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si le requérant soutient que le préfet ne pouvait pas se fonder sur le fait qu'il ne justifiait pas être entré régulièrement en France et qu'il n'avait pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour au motif selon lui de la particularité de sa situation et de son entrée toute récente en France par le train ce qui ne lui permettait pas d'accomplir les démarches nécessaires, il ne conteste ni son entrée irrégulière en France, ni ne pas être en possession d'un document en cours de validité l'autorisant à séjourner en France lors de son interpellation. Ces motifs sont par eux-mêmes de nature à justifier la mesure d'éloignement sans délai en litige. Si le requérant soutient en outre qu'il disposait d'un domicile chez son frère en région parisienne chez lequel il se rendait justement par le train, il ne peut en tout état de cause être regardé ainsi comme justifiant d'une résidence effective et permanente affectée à son habitation principale au sens du f) du 3° de l'article L. 511-1 II de ce code. Par suite, le préfet ne s'est pas fondé sur des faits matériellement inexacts en estimant qu'il existait un risque que M. C... se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français, alors même que ce dernier n'aurait pas exprimé sa volonté de rester en France en cas de décision d'éloignement le concernant et n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne le pays de destination :
10. Dès lors que M. C... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'arrêté en litige en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le pays de renvoi n'est pas dépourvue de base légale.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
11. Dès lors que M. C... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'arrêté en litige en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans n'est pas dépourvue de base légale.
12. Aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence des cas prévus au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans. (...)La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
13. Il résulte des termes mêmes des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
14. En l'espèce, l'interdiction de retour en litige mentionne la présence du requérant en France sans qu'il ait sollicité un titre de séjour, sa participation à une filière d'immigration illégale, l'absence de lien suffisamment ancien, stable et intense avec la France et la résidence de sa famille dans son pays d'origine. Elle atteste ainsi la prise en compte par le préfet de l'ensemble des critères prévus par la loi. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision prononçant une interdiction de retour à l'encontre de M. C... serait insuffisamment motivée au regard des dispositions précitées de l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Eu égard à l'ensemble de ces critères, la durée de deux ans d'interdiction de retour en France en litige n'est pas disproportionnée.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 13 février 2019 du préfet de l'Aude. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 27 mars 2019 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : La demande de M. C... et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et à Selarl d'avocats BS2A Bescou et Sabatier.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.
Délibéré après l'audience du 13 avril 2021, où siégeaient :
- M. Chazan, président de chambre,
- Mme Simon, président assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 4 mai 2021.
7
N° 19MA01929