Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 14 janvier 2019, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 octobre 2018 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 mars 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, selon le motif d'annulation, soit de lui délivrer un certificat de résidence portant mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé ce délai et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt sous la même condition d'astreinte, soit de réexaminer sa demande sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt sous la même condition d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 la somme de 1 500 euros, qui sera versée à Me E... en contrepartie de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- cette décision est insuffisamment motivée en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa demande ;
- ce refus méconnaît l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
- le préfet aurait dû faire usage de son pouvoir général de régularisation ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- par la voie de l'exception, cette décision d'éloignement est dépourvue de base l'égale ;
- elle ne pouvait pas faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
En ce qui concerne le pays de renvoi :
- le préfet s'est cru à tort lié par l'avis de l'office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ;
- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été transmise au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 21 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., de nationalité algérienne, a demandé le 23 mai 2017 au préfet des Bouches-du-Rhône son admission au séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale. Par l'arrêté du 21 mars 2018 en litige, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de l'admettre au séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par le jugement dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Mme A..., née le 11 mai 1997 et alors âgée de dix-sept ans, est entrée pour la dernière fois en France le 21 décembre 2014 munie d'un visa C Schengen délivré par les autorités françaises valable du 10 juillet 2014 au 5 janvier 2015, pour fuir une situation de danger à son domicile familial en Algérie selon le rapport de l'aide sociale à l'enfance. Il est constant qu'elle séjourne habituellement en France depuis cette date. Elle a été confiée, par un jugement du juge des enfants du tribunal de grande instance de Marseille du 10 février 2015, aux services de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à la date de sa majorité le 11 mai 2015, puis elle a été hébergée successivement, eu égard à son isolement et en l'absence d'hébergement, dans deux centres d'hébergement et de réinsertion sociale à Marseille. Le 27 novembre 2015, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande d'admission au séjour sans assortir ce refus d'une obligation de quitter le territoire français. Après avoir suivi un stage d'apprentissage de la langue française, elle a suivi une formation auprès du centre d'innovation pour l'emploi et le reclassement social (CIERES) du 20 septembre au 31 décembre 2016 avec beaucoup de sérieux selon le responsable de cet organisme. Elle a ensuite intégré, à compter du 16 janvier 2017, un dispositif d'accès à la qualification de coiffeuse au sein d'un lycée professionnel, son tuteur de stage attestant qu'elle fait preuve d'une grande conscience professionnelle envers la clientèle et de " talent ". L'ensemble de l'équipe pédagogique atteste de son implication en cours et de sa motivation pour réussir son projet professionnel qui exige une formation professionnelle qualifiante et donc l'obtention d'un titre de séjour l'autorisant à travailler en France. La requérante s'est aussi engagée fortement comme bénévole au sein d'associations d'aide aux plus démunis. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard à son âge lors de son arrivée en France, à la durée de sa présence et à l'intégration de la requérante en France, l'arrêté en litige doit être regardé comme entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme A..., alors même que celle-ci n'établit pas être dépourvue de toute attache avec son pays d'origine et qu'elle est célibataire sans charge de famille.
3. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Elle est, dès lors, fondée à demander tant l'annulation de ce jugement que de l'arrêté en litige du 21 mars 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône portant refus de délivrance d'un certificat de résidence en France. Par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français en litige et la décision fixant le pays de destination sont dépourvues de base légale et doivent, dès lors, être annulées.
Sur les conclusions aux fin d'injonction et d'astreinte :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-2 du même code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
5. Le présent arrêt, qui annule la décision de refus de titre de séjour du préfet des Bouches-du-Rhône et les décisions subséquentes d'obligation de quitter le territoire français et de fixation du pays de renvoi, implique nécessairement, eu égard au motif sur lequel il se fonde, que le préfet délivre le titre sollicité par la requérante au titre de sa vie privée et familiale. Il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date du présent arrêt, des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose à la demande de Mme A... une décision de refus. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme A... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E..., avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'instance engagée.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 2 octobre 2018, du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 21 mars 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme A... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au ministre de l'intérieur et à Me E....
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près du tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 6 janvier 2021, où siégeaient :
- M. Chazan, président de chambre,
- Mme B..., présidente assesseure,
- Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021.
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N° 19MA00217