Par une requête, enregistrée le 14 mars 2019, et un mémoire, enregistré le 23 avril 2019, M. D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 novembre 2018 du magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2018 par lequel le préfet du Gard a décidé sa remise aux autorités danoises, responsables de sa demande d'asile ;
3°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le magistrat désigné du tribunal a méconnu son office en ne vérifiant pas l'existence du courrier du 5 juillet 2013 par lequel le Danemark aurait décidé d'appliquer le règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- ce magistrat a méconnu le principe du contradictoire en se fondant sur ce courrier qui ne lui a pas été communiqué ;
- en s'estimant lié par le critère de l'absence de défaillance systémique pour mettre en oeuvre son pouvoir d'appréciation résultant de l'article 17 ou encore de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 33 de la convention de Genève, le premier juge a entaché sa décision d'une erreur de droit ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée en droit dès lors qu'elle vise exclusivement le règlement Dublin III qui ne s'applique pas au Danemark, qu'elle ne mentionne pas que le Danemark a rejeté définitivement sa demande d'asile et que l'arrêté de délégation de signature datant de 2018 n'est pas visé ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen réel et complet de sa demande dès lors que sa demande d'asile a été rejetée par les autorités danoises et qu'il va être renvoyé en Afghanistan ;
- la procédure d'instruction de sa demande en France est irrégulière dès lors qu'il a été assisté par un interprète en langue pachtou alors qu'il parle le dari ;
- le Danemark n'a jamais appliqué les dispositions du règlement Dublin III précité ;
- appartenant à l'ethnie des Hazaras, la décision contestée est entachée par une erreur manifeste d'appréciation dès lors que l'Afghanistan connait une situation de violence généralisée du fait d'un conflit armé entre les Talibans et les Hazaras et que le Danemark le renverra dans ce pays ;
- les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 17 du règlement européen du 26 juin 2013 et l'article 33 de la convention de Genève ont été méconnus.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2019, le préfet du Gard conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. D... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 janvier 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant afghan né le 20 août 1994, déclare être entré en France le 28 février 2018 en provenance du Danemark. Le 20 avril suivant, il a demandé l'asile. Après interrogation du fichier Eurodac, le Danemark a expressément accepté, le 7 mai 2018, la demande de la France visant à la réadmission de l'intéressé. Par un arrêté du 22 octobre 2018, le préfet du Gard a décidé sa remise aux autorités danoises, responsables de sa demande d'asile. Par un jugement du 5 novembre 2018 dont l'intéressé relève appel, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'aide juridictionnelle provisoire :
2. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 25 janvier 2019, avant même l'introduction de l'instance. Ses conclusions à fin d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle étaient, par suite, dépourvues d'objet.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, dès lors qu'il s'est fondé notamment sur le fait que le Danemark a expressément accepté, le 7 mai 2018, la demande de la France visant à la réadmission de l'intéressé dans le cadre du règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013, le premier juge n'a ni méconnu son office en ne vérifiant pas l'existence du courrier du 5 juillet 2013 notifié à la Commission européenne par lequel ce pays a décidé d'appliquer ce règlement ni méconnu le principe du contradictoire en ne communiquant pas ce courrier aux parties.
4. En second lieu, en se bornant à indiquer que le premier juge a méconnu son office en s'estimant lié par l'absence de défaillance systémique " pour mettre en oeuvre son pouvoir d'appréciation résultant de l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013 ou encore de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 33 de la convention de Genève " sans autre précision, l'intéressé ne permet pas au juge d'appel d'apprécier le bien-fondé de ce moyen.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. En premier lieu, l'arrêté contesté vise notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève du 28 juillet 1951, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle mentionne par ailleurs les conditions d'entrée en France de l'intéressé, la date à laquelle il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile, précise que les autorités danoises ont été saisies le 25 avril 2018 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé et que cette demande a reçu un accord explicite le 7 mai suivant. Le fondement de la demande de reprise en charge adressée au Danemark est ainsi mentionné, d'autant que l'arrêté litigieux vise l'article 18 du règlement Dublin III. Il est également fait état de la situation familiale de l'intéressé et de ce qu'aucun élément ne permet de faire application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013. La décision est par suite suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et révèle que le préfet a procédé à un examen réel et sérieux de la situation de M. D....
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013: " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type (...) ".
7. M. D... soutient que l'entretien a été mené en langue pachtou alors qu'il ne comprend que la langue dari. Il ressort cependant des pièces du dossier, et notamment du compte rendu de cet entretien signé par l'intéressé le 20 avril 2018, que ce dernier a été mené avec l'assistance d'un interprète, que la seule langue comprise mentionnée est le pachtou et que l'appelant y confirme avoir compris tous les termes de cet entretien. Dans ces conditions, en l'absence de preuve contraire, l'entretien est réputé avoir été mené dans une langue comprise par M. D....
8. En troisième lieu, en vertu du protocole n° 22 annexé au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le Danemark ne participe pas à l'adoption par le Conseil des mesures proposées relevant du titre V de la troisième partie de ce traité, relatif à l'espace de liberté, de sécurité et de justice et, en particulier, aux politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l'asile et à l'immigration, et aucune des dispositions du titre V de la troisième partie du traité, aucune mesure adoptée en application de ce titre, aucune disposition d'un accord international conclu par l'Union en application de ce titre et aucune décision de la Cour de justice de l'Union européenne interprétant ces dispositions ou mesures ou toute mesure modifiée ou modifiable en application de ce titre ne lie cet Etat ou n'est applicable à son égard. Au demeurant le considérant 42 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit " règlement Dublin III ", ne fait que rappeler ces dispositions en prévoyant que : " Conformément aux articles 1er et 2 du protocole n° 22 sur la position du Danemark annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le Danemark ne participe pas à l'adoption du présent règlement et n'est pas lié par celui-ci ni soumis à son application ". Toutefois, en vertu d'un accord international conclu avec la Communauté européenne et approuvé par une décision du Conseil du 21 février 2006, le Danemark s'est engagé à participer aux mécanismes prévus par les règlements (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, dit " règlement Dublin II ", et (CE) n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système " Eurodac " pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin, dit " règlement Eurodac ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 de cet accord : " Le Danemark notifie à la Commission sa décision d'appliquer ou non toute modification des règlements adoptée. La notification est effectuée lors de l'adoption des modifications ou dans un délai de trente jours à compter de celle-ci ". Or par un courrier du 5 juillet 2013, le Danemark a notifié à la Commission sa décision d'appliquer le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit " règlement Dublin III ", procédant à la refonte du règlement Dublin II. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que cet Etat applique le règlement Dublin III. En tout état de cause, les autorités danoises ont accepté par une décision explicite du 7 mai 2018 la réadmission de M. D.... Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet a commis une erreur de droit en fondant son arrêté sur le règlement précité.
9. En quatrième lieu, d'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Il appartient en particulier aux autorités françaises, sous le contrôle du juge, de faire usage de cette possibilité lorsque les règles et les modalités en vertu desquelles un autre Etat examine les demandes d'asile méconnaissent les règles ou principes que le droit international et interne garantit aux demandeurs d'asile et aux réfugiés. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
10. M. D... fait valoir qu'en cas de transfert vers le Danemark, cet Etat est susceptible de le renvoyer en Afghanistan où il dit encourir des risques pour sa vie en raison de son appartenance à l'ethnie Hazaras qui est persécutée par les Talibans. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que les autorités danoises ont effectivement rejeté sa demande d'asile, l'intéressé n'établit pas qu'il aurait épuisé les voies de recours contre cette décision de refus, ni qu'il serait sous le coup d'une mesure d'éloignement exécutoire. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet du Gard aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté. Par ailleurs, M. D... ne démontre pas à l'instance qu'il risquerait d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de transfert au Danemark.
11. Enfin, aux termes du 1 de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : " Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ". Le principe de non-refoulement, énoncé à l'article 33 de la convention de Genève est inopérant à l'encontre d'une mesure de transfert, qui n'a, par elle-même, ni pour objet ni pour effet de contraindre M. D... à regagner son pays d'origine.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., au ministre de l'intérieur et à Me B... A....
Copie en sera adressée pour information au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président,
- Mme E..., première conseillère,
- M. C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
N° 19MA01234 6