Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 février 2020 et par un mémoire complémentaire enregistré le 19 février 2021, la société Total Quadran, représentée par Me Gelas, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 19 décembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2018 du préfet de l'Aude ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de l'Aude de lui délivrer le permis de construire sollicité, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont insuffisamment motivé, en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative, leur réponse au moyen tiré de ce que l'avis conforme de la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC) était mal fondé ;
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé en droit et en fait ;
- il méconnaît l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache au jugement définitif n°1601603 du 26 janvier 2018 du tribunal administratif de Montpellier en l'absence de circonstances de droit ou de fait nouveau ;
- il a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la nouvelle consultation de la DGAC n'était pas nécessaire dans le cadre de la seconde instruction de la demande de permis de construire ;
- le second avis de la DGAC émis le 24 avril 2018 est irrégulier car celle-ci dessaisie, et en tout état de cause elle ne pouvait rendre un avis contraire à un avis précédent alors que les circonstances de droit et de fait n'avaient pas changé ;
- par voie de conséquence, l'illégalité de cet avis entraîne celle de l'arrêté de refus en litige ;
- le préfet s'est cru à tort en situation de compétence liée par cet avis défavorable et infondé de la DGAC ;
- les moyens tirés du respect par le projet des articles R. 111-2 et R. 111-27 du code de l'urbanisme n'étaient pas inopérants ;
- le projet n'est pas de nature à porter atteinte à la sécurité publique au sens de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- il ne méconnaît pas non plus l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme ;
- la Cour examinera sa demande d'injonction au préfet de lui délivrer le permis de construire à la date de la décision en litige du 26 septembre 2018, en application de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- le jugement attaqué est régulier ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code des transports ;
- le code de l'urbanisme ;
- la circulaire du 12 janvier 2012 de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement relative à l'instruction des projets éoliens par les services de l'aviation civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la Cour a décidé, par décision du 24 août 2021, de désigner M. Portail, président assesseur, pour statuer dans les conditions prévues à l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carassic,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me Boudrot pour la société Total Quadran.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 29 janvier 2016, le préfet de l'Aude a refusé de délivrer à la société Quadran Energies Libres un permis de construire pour l'implantation d'un parc éolien de sept aérogénérateurs d'une hauteur totale en bout de pales de 74 m et d'un poste de livraison de 15 m² sur le territoire de la commune de Barbaira. Par jugement n° 1601603 du 26 janvier 2018, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté de refus et a enjoint au préfet de l'Aude de procéder à un nouvel examen de la demande de permis de construire. En exécution de cette injonction, le préfet de l'Aude, par le nouvel arrêté en litige du 26 septembre 2018, a à nouveau refusé de délivrer le permis de construire pour le même projet. Par le jugement dont la société Quadran Energies Libres, devenue la société Total Quadran, relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 septembre 2018.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Contrairement à ce que soutient la société requérante, les premiers juges ont suffisamment répondu, au point 10 du jugement attaqué, au moyen tiré de ce que le projet en litige était de nature à porter atteinte à la sécurité publique, en citant l'avis du 24 avril 2018 de la DGAC (Direction générale de l'Aviation civile) du ministère de la transition écologique et solidaire et en mentionnant que le projet d'installation de ces éoliennes d'une hauteur de 74 mètres se situait dans un périmètre de protection des itinéraires de vol à vue protégés et à l'intérieur de l'enveloppe de protection de l'itinéraire de vol à vue situé entre certains points de la zone de contrôle de Carcassonne. La critique de la réponse apportée à ce moyen par le Tribunal relève du bien-fondé du jugement. Par suite, le jugement attaqué n'est pas irrégulier au motif qu'il serait entaché d'une insuffisance de motivation sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, la société requérante se borne en appel à réitérer le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en litige sans critiquer utilement la réponse des premiers juges sur ce point en se bornant à soutenir que l'insuffisance de l'étude paysagère retenue comme motif de la décision en litige ne reposerait sur aucun fondement légal et que l'énumération des enjeux patrimoniaux mentionnée dans ce refus ne serait pas accompagnée d'une analyse circonstanciée de l'atteinte portée par le projet à ces lieux. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 2 et 3 du jugement attaqué.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".
5. L'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif d'un jugement, devenu définitif, annulant un refus de permis de construire ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit notamment à nouveau refusé par l'autorité administrative pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le tribunal administratif.
6. Aux termes de l'article R. 423-50 du code de l'urbanisme : " L'autorité compétente recueille auprès des personnes publiques, services ou commissions intéressés par le projet, les accords, avis ou décisions prévus par les lois ou règlements en vigueur ". Aux termes de l'article R. 423-51 du même code, dans sa rédaction en vigueur : " Lorsque le projet porte sur une opération soumise à un régime d'autorisation prévu par une autre législation, l'autorité compétente recueille les accords prévus par le chapitre V du présent titre ". Aux termes de l'article R. 425-9 du même code : " Lorsque le projet porte sur une construction susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou le permis d'aménager tient lieu de l'autorisation prévue par l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile dès lors que la décision a fait l'objet d'un accord du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. ". Aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile : " (...) l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense (...) ". L'article 1er de l'arrêté du 25 juillet 1990 relatif aux installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation dispose que : " Les installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre chargé des armées comprennent : / a) En dehors des agglomérations, les installations dont la hauteur en un point quelconque est supérieure à 50 mètres au-dessus du niveau du sol ou de l'eau (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire doit, lorsque la construction envisagée en dehors d'une agglomération peut constituer un obstacle à la navigation aérienne en raison d'une hauteur supérieure à 50 mètres, saisir de la demande le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense afin de recueillir leur accord, et qu'à défaut d'accord de l'un de ces ministres, l'autorité compétente est tenue de refuser le permis de construire.
8. Le tribunal administratif de Montpellier, dans son jugement définitif du 26 janvier 2018, avait annulé le premier refus du 26 janvier 2016 du préfet de l'Aude de délivrer le permis de construire à la société requérante, au motif notamment que le préfet avait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation au regard des exigences de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, dès lors que le projet d'implantation du parc éolien n'était pas de nature à porter atteinte à la sécurité publique des usagers de la route passant à proximité de ce parc, ainsi qu'il l'a estimé pour les motifs exposés aux points 3 et 4 de son jugement qui constituent le support nécessaire à ce jugement. Si le nouveau refus en litige du 26 septembre 2018 du préfet, saisi du même projet d'implantation du parc éolien, se réfère à nouveau à l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, l'administration a estimé cette fois que ce projet portait atteinte à la sécurité aérienne en se fondant sur le nouvel avis conforme du 24 avril 2018 de la DGAC, cette fois-ci défavorable au projet pour les motifs indiqués au point 2, qui constitue un changement de la situation de droit, même en l'absence de modification de la consistance ou de l'implantation du projet. Eu égard à ce changement de circonstances de droit postérieures au jugement du 26 janvier 2018, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir de l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache au jugement du tribunal administratif de Montpellier du 26 janvier 2018.
9. En troisième lieu, si lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de l'avis, qui s'analyse en réalité comme un refus d'accord de la DGAC, peut être utilement invoqué par la société Total Quadran à l'appui de son recours exercé contre le refus de permis de construire qui lui a été opposé par le préfet de l'Aude.
10. Il résulte des dispositions précitées citées que le préfet de l'Aude était tenu de recueillir l'accord de la DGAC pour délivrer le permis de construire du parc éolien en litige d'une hauteur de 75 m et situé à l'extérieur d'une zone grevée d'une servitude aéronautique, ainsi que le mentionne le premier avis de la DGAC du 9 janvier 2014. Il ressort des pièces du dossier que, avant de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire de la société Total Quadran, le préfet de l'Aude a procédé à une nouvelle consultation de la DGAC. Si la société requérante soutient que cette nouvelle consultation était irrégulière compte tenu du fait que la DGAC avait déjà rendu son avis le 9 janvier 2014 dans le cadre de la précédente instruction de sa demande de permis de construire, aucun principe général du droit ni aucune disposition législative ou règlementaire ne faisaient obstacle à ce que le service instructeur procédât aux consultations qu'il estimait nécessaires à la prise d'une nouvelle décision, après l'annulation du premier refus de permis de construire du 29 janvier 2016 du préfet de l'Aude. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, la décision en litige n'est pas intervenue au terme d'une procédure irrégulière.
11. Il résulte de l'instruction que les services de la DGAC du ministère de la transition écologique et solidaire se sont fondés, pour refuser de donner leur accord le 24 avril 2018, sur la circulaire du 12 janvier 2012 de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement relative à l'instruction des projets éoliens par les services de l'Aviation civile et plus précisément sur son annexe 3 sur les règles de calcul applicables pour les itinéraires à vue. Les recommandations contenues dans cette circulaire constituent des lignes directrices destinées à guider le pouvoir d'appréciation des autorités compétentes pour l'instruction des autorisations sollicitées par les développeurs éoliens. Ces lignes directrices demandent à ces autorités de s'assurer que l'implantation d'éoliennes ne risque pas de constituer un obstacle à la navigation aérienne le long des itinéraires à vue et de protéger les points VFR (visuel flight rules) de toute implantation d'un parc éolien dans le périmètre des itinéraires à vue. Ainsi, il appartenait à la DGAC au regard de ces lignes directrices, d'apprécier si le projet envisagé était de nature à gêner significativement la navigation aérienne à vue. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la DGAC ne pouvait pas se fonder sur la circulaire non réglementaire selon elle du 12 janvier 2012 pour refuser de délivrer l'autorisation spéciale nécessaire. Cette décision de la DGAC mentionne que le projet est situé à l'intérieur de l'enveloppe de protection de l'itinéraire des vols à vue située entre les points NC (Conques sur Orbiel) et ES (Capendu) de la zone de contrôle de Carcassonne. Contrairement à ce que soutient la société Total Quadran, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que cette zone de contrôle soit identifiée sur une carte jointe à l'arrêté de refus de permis de construire en litige. Si la décision par laquelle le ministre de l'aviation civile s'oppose à un tel projet, doit, en tant que mesure de police, être adaptée, nécessaire et proportionnée, ni les dispositions citées au point 7 du code de l'urbanisme et du code de l'aviation civile, qui se fondent seulement sur l'existence d'un " obstacle à la navigation aérienne ", ni la jurisprudence ne subordonnent son édiction à l'existence d'"un risque avéré à la sécurité publique", contrairement à ce que prétend la société Total Quadran. En subordonnant la délivrance des permis de construire qu'elles visent notamment à l'accord préalable du ministre de l'aviation civile, les dispositions des articles L. 425-1 et L. 425-9 du code de l'urbanisme autorisent ce ministre, s'il s'y estime fondé au vu des caractéristiques du projet, à refuser de délivrer un tel accord sans être tenu d'assortir son accord de prescriptions spéciales pour supprimer ou réduire l'impact du projet en ramenant par exemple la hauteur des pales des éoliennes. Ainsi, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions ne permettent pas au ministre de l'aviation civile de refuser toute autorisation au projet qui lui est soumis. Dans ces conditions, la société requérante, qui n'apporte aucun élément concret de nature à remettre en cause l'appréciation du risque aéronautique par la DGAC, n'est pas fondée à soutenir qu'il n'est pas démontré que l'implantation du parc éolien litigieux porterait atteinte, au sens de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, à la sécurité aérienne dans la zone, ainsi que l'a retenu à bon droit le préfet dans sa décision suffisamment motivée de refus de délivrer le permis de construire sollicité en litige.
12. Dès lors que le refus d'autorisation spéciale de la DGAC, saisie sur le fondement des article R. 425-9 du code de l'urbanisme et R. 244-1 du code de l'aviation civile, était fondé, le préfet était tenu de refuser le permis de construire en litige. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait fait une appréciation erronée de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme est sans incidence sur la légalité de la décision en litige, contrairement à ce que soutient la société requérante.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Total Quadran n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction de la société Total Quadran doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme à verser à la société Total Quadran au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Total Quadran est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Total Quadran et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera adressée au Préfet de l'Aude.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2021, où siégeaient :
- M. Portail, président par intérim, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Carassic, première conseillère,
- M. Point, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 28 septembre 2021.
2
N° 20MA00545