Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 juin 2017, M.A..., représenté par Me Chartier, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 février 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 25 avril 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer, sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard, un titre provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle et, si l'aide juridictionnelle ne lui est pas accordée, à lui verser ladite somme.
Il soutient que :
- le tribunal a insuffisamment répondu au moyen tiré du défaut d'examen complet de sa situation par le préfet et n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ce dernier n'a effectivement pas procédé à un examen réel et complet des données propres de son dossier ;
- l'arrêté en litige méconnaît les dispositions des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête en faisant valoir qu'aucun des moyens n'est fondé.
M. B...A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 septembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Simon a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 25 avril 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté la demande de titre de séjour que lui avait présentée le 22 mars précédent M.A..., ressortissant turc, sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a assorti cette décision d'une invitation à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. M. A...fait appel du jugement du 21 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. En l'espèce, d'une part, M.A..., présent de manière habituelle sur le sol français depuis le mois d'avril 2014, s'est marié le 20 décembre 2014 avec une compatriote avec laquelle il vit en concubinage depuis le mois de mai 2014, soit presque trois ans à la date de l'arrêté querellé, compatriote entrée en France à l'âge de dix ans et titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2025. D'autre part, il ressort du certificat établi le 2 mars 2016 par un médecin de neurochirurgie de l'hôpital européen que l'épouse de l'appelant garde, à la suite de son accouchement de leur enfant le 25 février 2015, un trouble de la marche avec des pertes d'équilibre et chutes qui l'empêchent de marcher en tenant son bébé dans ses bras, la péridurale effectuée ayant entrainée un déficit L5 gauche sévère avec une paralysie des muscles releveurs du pied. Dans ces conditions, la présence de M.A..., qui a transféré en France le centre de ses intérêts familiaux, auprès de son épouse est nécessaire pour s'occuper de leur enfant ainsi que pour assurer les tâches de la vie quotidienne. Il suit de là que le préfet des Bouches-du-Rhône, en prenant l'arrêté en litige, a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale eu égard aux buts en vue desquels il a été pris, et a, par suite, méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, d'annuler tant le jugement du 21 février 2017 que l'arrêté du 25 avril 2016.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
4. Aux termes de l'article L.911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution. " et aux termes de l'article L.911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L.911-1 et L.911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. " ;
5. M. A...doit être regardé comme demandant à ce qu'il soit enjoint de lui délivrer une titre de séjour temporaire. Eu égard à son motif, et dès lors qu'il n'est fait état d'aucun changement dans les circonstances de droit et de fait concernant la situation de l'intéressé, l'annulation par le présent arrêt de l'arrêté du 25 avril 2016 implique nécessairement la délivrance à l'intéressé d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de délivrer à l'appelant ce titre de séjour dans un délai de un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction du prononcé d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Chartier, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chartier de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 février 2017 et l'arrêté du 25 avril 2016 du préfet des Bouches-du-Rhône refusant à M. A...la délivrance d'une carte de séjour temporaire sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. A...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Chartier, avocat de M.A..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au ministre de l'intérieur, au préfet des Bouches-du-Rhône et à Me Chartier.
Copie pour information en sera adressée au Procureur de la République près du tribunal de grande instance de Marseille.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2018, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- Mme Simon, président-assesseur,
- MmeC..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2018.
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N° 17MA02850