Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 août 2016, et des mémoires enregistrés les 29 août et 28 septembre 2016, le Centre Hospitalier Régional Universitaire (CHRU) de Nancy, représenté par MeD..., demande à la Cour :
1°) - d'annuler l'ordonnance du 28 juillet 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;
2°) - de rejeter les conclusions présentées par Mme B...devant le tribunal administratif ainsi que ses conclusions d'appel incident ;
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est insuffisamment motivée ;
- c'est à tort que le premier juge a retenu sa responsabilité et l'a condamné au paiement d'une somme provisionnelle ;
- la créance dont cherche à se prévaloir Mme B...se heurte à une obligation sérieusement contestable ;
- l'utilisation de la Célocurine était pleinement justifiée en l'espèce ;
- le décès du patient relève d'un effet iatrogène de cet anesthésiant ;
- le premier juge ne pouvait considérer que le choix d'une intervention en urgence, compte-tenu des risques connus de la Célocurine, était constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- les demandes indemnitaires de Mme B...sont exorbitantes et injustifiées ;
- il renvoie aux développements contenus dans son mémoire ampliatif en ce qui concerne les conclusions d'appel incident de MmeB... ;
Par un mémoire en défense enregistré le 22 septembre 2016, MmeB..., représentée par MeC..., demande à la Cour :
1°) - de confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle l'a admise au bénéfice d'une indemnité provisionnelle ;
2°) - de réformer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle n'a fait que partiellement droit à ses demandes indemnitaires ;
3°) - de condamner le CHRU de Nancy à lui verser une indemnité provisionnelle de 200 000 euros ;
4°) - de dire que l'indemnité provisionnelle qui doit lui être allouée ne peut être inférieure à celle accordée par le premier juge ;
5°) - de condamner le CHRU de Nancy à lui verser une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- il ne ressort pas des termes et développements de la décision attaquée qu'elle serait entachée d'une insuffisance formelle de motivation ;
- l'expert, désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI), a déposé son rapport après un débat contradictoire avec le médecin conseil du CHRU de Nancy ;
- cet expert est un spécialiste en anesthésie - réanimation et donc particulièrement légitime à porter un avis sur la Célocurine et son utilisation ;
- le CHRU de Nancy devait une information à son patient sur les risques de choc anaphylactiques au curare, fussent-il exceptionnels ;
- la preuve formelle de l'information donnée à M. B...n'est pas apportée ;
- il y a eu une faute dans les conditions de prise en charge de M. B...et dans la précipitation d'un traitement en urgence avec une anesthésie générale, une intubation et l'utilisation d'un produit recensé comme provoquant dans certains cas un accident anaphylactique ;
- la provision allouée a été cantonnée à 12 500 euros par suite de l'application d'un pourcentage de 25 % de perte de chance de survie, ce qui paraît contestable dans la mesure où la perte de chance a été totale ;
- le premier juge a totalement perdu de vue l'ensemble des impacts affectifs, moraux, psychologiques, économiques, patrimoniaux et financiers du décès de M.B... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 2 avril 2012, M.B..., alors âgé de 34 ans, a été admis au service des urgences du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy en raison d'un abcès de la face postéro-interne de la cuisse gauche. Au cours de l'intervention nécessaire au traitement de cet abcès, réalisée en urgence, M. B...est décédé des suites d'un choc anaphylactique. Mme B... a saisi, le 6 octobre 2014, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) qui a diligenté une expertise. L'expert a déposé son rapport le 10 juillet 2015. Par un avis du 14 septembre 2015, la CRCI a estimé que la réparation des préjudices subis par Mme B...incombait à l'assureur du CHRU à hauteur de 100 % et que ces préjudices consistaient dans le préjudice d'affection de la requérante et les frais d'obsèques. En raison du refus de la SHAM, assureur du centre hospitalier, de suivre cet avis, Mme B...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'allocation d'une provision. Le CHRU interjette appel de l'ordonnance du 28 juillet 2016 par laquelle le juge des référés l'a condamné à verser à Mme B...une indemnité provisionnelle de 12 500 euros. Par la voie de conclusions d'appel incident, Mme B...demande la réformation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle n'a fait que partiellement droit à ses réclamations indemnitaires.
Sur la régularité de l'ordonnance :
2. Contrairement à ce que soutient le CHRU de Nancy, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a indiqué précisément les motifs sur lesquels il s'est fondé pour estimer que l'existence de l'obligation invoquée par Mme B...pouvait être regardée comme non sérieusement contestable. Dès lors, l'ordonnance attaquée est suffisamment motivée.
Sur le bien-fondé de la demande de provision :
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. (...) ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.
En ce qui concerne la responsabilité :
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise dressé par le docteur Berquet, expert en réanimation médicale, que le traitement chirurgical de l'abcès dont souffrait M. B...s'imposait. Une intervention chirurgicale en urgence ayant été décidée alors que le patient n'était pas à jeun, l'anesthésie générale, justifiée dans la mesure où le contexte septique local et périphérique contre-indiquait une anesthésie rachidienne, ne pouvait avoir lieu que sous couvert d'une intubation orotrachéale isolant les voies aériennes et les mettant à l'abri d'une régurgitation gastrique. Cette anesthésie générale nécessitait le recours à la procédure d'induction en séquence rapide (ISR) et l'utilisation de la Célocurine, produit de la famille des curares. L'injection de ce produit a déclenché un choc anaphylactique qui, malgré une réanimation intensive faite selon les règles de l'art, a entrainé le décès de M.B....
5. La procédure ISR ne peut se faire qu'avec la Célocurine, seul curare recommandé dans ce cas, très efficace, mais présentant un taux d'accidents anaphylactiques potentiellement graves, bien connus, qui pose la question de la balance bénéfices-risques de son emploi devant être arbitré par le degré d'urgence de l'intervention.
6. Si l'indication opératoire de l'abcès était justifiée, la symptomatologie existait depuis 48 heures, les analyses sanguines préalables ne révélant pas de syndrome général et, hormis la douleur dont M. B...se plaignait, qui pouvait être traitée par la prescription d'antalgiques à des paliers supérieurs, le pronostic vital et fonctionnel n'était, selon l'expert, pas engagé. Alors même que, selon le rapport critique de l'expert mandaté par le CHRU, l'urgence du drainage de l'abcès aurait été justifiée par des risques de voir apparaitre des signes de gravité locaux (cellulite) et des signes généraux (fièvre, voire choc septique) dont il n'est pas justifié qu'ils auraient pu engager le pronostic vital, il n'en est pas de même de l'emploi de la Célocurine dont les risques d'utilisation ont été décrits au point précédent. La prudence imposait, eu égard à la balance bénéfices-risques évoquée au point 5, de reporter au lendemain l'intervention qui aurait pu se pratiquer sur un patient totalement à jeun, sous anesthésie générale, éventuellement sans le recours à une intubation. Par suite, le décès de M. B... est imputable à un accident fautif de nature à engager la responsabilité du CHRU de Nancy. Dès lors, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a estimé que l'obligation dont se prévalait Mme B...à son encontre revêtait un caractère non sérieusement contestable.
En ce qui concerne la fraction du préjudice réparable :
7. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter ce dommage. La réparation doit alors être évaluée par le juge à une fraction du dommage corporel déterminé en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
8. La faute commise par le CHRU de Nancy, en ne reportant pas l'intervention au lendemain, a fait perdre à M. B...une chance de survie et à Mme B...d'éviter les préjudices matériel, d'affection et patrimonial que son décès lui a causés. Compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention et, d'autre part, le fait que l'emploi de Célocurine dans le cas de M.B..., lequel, selon le rapport d'expertise, avait été destinataire d'une information correcte, a été fait en conformité avec les indications restrictives codifiées par l'AMM, le juge des référés du tribunal administratif n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, commis d'erreur manifeste d'appréciation en fixant la perte de chance de survie de M. B...à 25 %.
9. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le premier juge a considéré que l'obligation du CHRU de Nancy présentait un caractère non sérieusement contestable dans la proportion de 25 %.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
10. Mme B...est en droit de prétendre à une provision sur les préjudices matériel, patrimonial et d'affection qu'elle a subis.
11. Le préjudice matériel consiste en frais d'obsèques qui sont justifiés à hauteur de 4 946,07 euros.
12. Le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien compte tenu de ses propres revenus. Si Mme B...présente des documents permettant de déterminer les revenus du foyer avant et après le décès de son conjoint, il résulte de l'instruction qu'elle continue à exercer une activité professionnelle rémunérée, qu'elle n'a personne à charge et qu'elle fait état de l'existence d'un capital décès versé par la caisse primaire d'assurance maladie dont le montant n'est pas précisé.
13. En condamnant le CHRU à verser à Mme B...une indemnité provisionnelle d'un montant de 12 500 euros, compte tenu de la fraction de 25 % retenue au point 9, à valoir sur la réparation de ses préjudices matériel, patrimonial et moral, le juge des référés du tribunal administratif n'a pas fait, compte tenu des éléments soumis par les parties, une inexacte appréciation de la part revêtant un caractère de certitude suffisant de l'obligation que détient la requérante à l'encontre de cet établissement.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement de ces dispositions, de mettre à la charge du CHRU le versement à Mme B...d'une somme de 1 500 euros.
ORDONNE :
Article 1er : La requête du CHRU de Nancy est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de Mme B...sont rejetées.
Article 3 : Le CHRU de Nancy versera à Mme B...une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au Centre hospitalier régional universitaire de Nancy, à Mme A...B...et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.
Fait à Nancy, le 4 octobre 2016.
La présidente de la Cour
Signé :
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme
Le Greffier,
6
16NC01793