Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée, sous le n° 18NC02891, le 25 octobre 2018, M. C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 12 avril 2018 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 500 euros au titre des articles L. 7611 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la communication du sens des conclusions du rapporteur public du tribunal administratif de Strasbourg n'a pas répondu aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;
- le jugement attaqué n'est signé ni par le président, ni par le rapporteur, ni par le greffier, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- eu égard aux conditions de travail des détenus, dénoncées par plusieurs institutions spécialisées, l'administration pénitentiaire ne pouvait pas légalement le déclasser pour insuffisance professionnelle au motif qu'il contestait ses conditions de travail et de rémunération aux ateliers pénitentiaires ;
- il ne pouvait faire l'objet d'une déclassement en l'absence de faute commise dans l'exercice de son travail ;
- il est fondé à demander l'indemnisation de sa perte de revenus, qui s'établit à 13 636,08 euros ;
- il subit par ailleurs un préjudice moral, dès lors que sa situation d'inactivité le pénalise dans son parcours d'exécution de peine ; qu'il est fondé à demander une indemnisation à hauteur de 5 000 euros en réparation de ce préjudice.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2020, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête ;
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 23 août 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 20 mars 2014, prise en commission pluridisciplinaire unique de la maison centrale de Clairvaux, M. C... a été déclassé de l'emploi qu'il occupait au sein de l'atelier de couture de cet établissement pénitentiaire. Par un jugement n° 1401364 du 21 avril 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cette décision comme affectée d'un vice de forme à défaut d'indication des mentions prévues au second alinéa de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000. M. C... a sollicité en vain du ministre de la justice l'indemnisation des préjudices, économique et moral, qu'il estimait avoir subis du fait de l'illégalité affectant cette décision. Il relève appel du jugement du 12 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 18 636,08 euros en réparation de ces préjudices.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".
3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 7611 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le rapporteur public a, avant l'audience publique du tribunal administratif de Strasbourg du 15 février 2018, indiqué le sens de ses conclusions dans l'affaire concernant M. C..., en faisant porter, sur le site Sagace, la mention " Rejet au fond ". Contrairement à ce que soutient le requérant, qui ne saurait utilement se prévaloir de la circulaire du 9 janvier 2009, dépourvue de valeur réglementaire, cette mention répondait suffisamment aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative.
5. En deuxième lieu, M. C... a soutenu devant les premiers juges que le 17° de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale, faute de définir la notion de tapage, méconnaissait le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines et l'article 7 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Pour écarter ce moyen, le tribunal a relevé que la rédaction de cet article ne méconnaissait ni l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la norme ni le principe de légalité des délits et des peines et que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 7 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne pouvait ainsi qu'être écarté. Eu égard à la nature de l'argument avancé à l'appui du moyen invoqué par le requérant, la réponse du tribunal était suffisamment motivée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. Si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise.
7. D'une part, aux termes de l'article D. 432-4 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque la personne détenue s'avère incompétente pour l'exécution d'une tâche, cette défaillance peut entraîner le déclassement de cet emploi. / Lorsque la personne détenue ne s'adapte pas à un emploi, elle peut faire l'objet d'une suspension, dont la durée ne peut excéder cinq jours, afin qu'il soit procédé à une évaluation de sa situation. A l'issue de cette évaluation, elle fait l'objet soit d'une réintégration dans cet emploi, soit d'un déclassement de cet emploi en vertu de l'alinéa précédent ". L'article R. 57-7-34 du même code prévoit notamment, parmi les sanctions disciplinaires susceptibles d'être prononcées à l'encontre des personnes détenues majeures, " le déclassement d'un emploi ou d'une formation ", " lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours ou à l'occasion de l'activité considérée ".
8. D'autre part, il résulte des dispositions des articles D. 89 à D. 91 du code de procédure pénale que les avis de la commission pluridisciplinaire, qui revêtent un caractère consultatif, ont pour objet d'éclairer le choix du chef d'établissement dans l'édiction des décisions qui relèvent de sa compétence.
9. La décision du 20 mars 2014 portant déclassement de M. C... de l'emploi qu'il occupait au sein de l'atelier couture de la maison centrale de Clairvaux doit être regardée comme ayant été prise, sur avis de la commission pluridisciplinaire unique, par le directeur de la maison centrale, président de cette commission. Il résulte de l'instruction, notamment des mentions portées sur cette décision, éclairées par le courrier adressé par le chef de détention à M. C... le 21 mars 2014, que le déclassement d'emploi pris à l'encontre de l'intéressé avait en particulier pour motif son refus d'accepter les cadences de travail demandées par l'administration pénitentiaire. Si M. C... soutient que l'administration pénitentiaire ne pouvait pas conclure à son insuffisance professionnelle au seul motif qu'il avait contesté, selon lui à juste titre, ses conditions de travail et de rémunération aux ateliers pénitentiaires, il ne saurait ainsi utilement invoquer son absence d'insuffisance professionnelle alors que la décision de déclassement d'emploi prise à son encontre n'était pas fondée sur son incompétence dans l'exercice de son emploi ou son inadaptation à cet emploi. Par ailleurs, en se bornant à soutenir n'avoir commis aucune faute dans son travail, sans contester son refus de se conformer aux cadences fixées par l'administration pénitentiaire, ni démontrer l'illégalité des mesures ayant fixé ces cadences, le requérant n'établit pas que la décision en cause n'aurait pas pu, dans le cadre d'une procédure régulière, être légalement prise. Par suite et alors que le préjudice qu'aurait subi le requérant du fait de l'illégalité de cette décision de déclassement d'emploi ne peut être regardé comme la conséquence du vice dont cette décision était entachée, M. C... n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ce préjudice.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
12. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. C... au titre des frais non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
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N° 18NC02891