Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 20NC00338 le 7 février 2020, M. B... D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 11 décembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du préfet du Bas-Rhin du 13 décembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, d'autoriser le regroupement familial de sa famille ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me A... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à la condition de ressources.
La requête a été communiquée au préfet du Bas-Rhin, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 14 mai 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et ses avenants ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... D..., ressortissant algérien né le 23 février 1941, réside sur le territoire français depuis 2000 et est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2025. Il a présenté le 17 novembre 2017 une demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de leur fille adoptive. Par une décision du 13 décembre 2018, le préfet du Bas-Rhin a rejeté sa demande, au motif, d'une part, que les revenus mensuels de l'intéressé étaient inférieurs aux ressources minimales requises, d'autre part, que les caractéristiques du logement occupé par M. D... ne satisfaisaient pas aux conditions exigées par l'article 4 de l'accord franco-algérien et, enfin, qu'un refus de regroupement familial ne porterait pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé, lequel a vécu séparé de son épouse depuis 2002. M. D... fait appel du jugement du 11 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur la légalité de la décision du 13 décembre 2018 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. S'il ressort des pièces du dossier que M. D... réside en France depuis l'année 2000, qu'il est marié depuis le 19 décembre 2002 à une ressortissante algérienne, avec laquelle il a adopté, par kafala, la jeune C... née le 5 septembre 2004, il est constant, d'une part, que le requérant n'a présenté sa demande de regroupement familial que le 17 novembre 2017 et qu'il vit séparé de son épouse depuis 2002 et, d'autre part, que la jeune C..., âgée de quatorze ans à la date de la décision attaquée, réside en Algérie, auprès de sa mère adoptive, depuis sa naissance. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé serait dans l'impossibilité de se rendre régulièrement en Algérie pour voir son épouse et sa fille, ni que celles-ci ne pourraient pas lui rendre visite régulièrement en France. Par ailleurs, le requérant n'établit pas, par la seule production d'un certificat médical daté du 7 novembre 2017, que son état de santé nécessiterait la présence de son épouse à ses côtés. Par suite, nonobstant la circonstance qu'il est bien intégré et qu'il a combattu dans les rangs de l'armée française, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et a ainsi méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
5. Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
6. Ainsi qu'il a été dit plus haut, la jeune C... réside en Algérie, auprès de sa mère adoptive, depuis sa naissance le 5 septembre 2004. Désormais âgée de 16 ans, elle n'a jamais vécu avec son père et ce dernier n'a réclamé le bénéfice du regroupement familial au bénéfice de sa fille adoptive qu'en 2017. En outre, alors que le requérant soutient avoir recueilli la jeune C... alors qu'elle était encore un nouveau-né, l'acte de kafala en cause est daté de septembre 2016. Enfin, la décision contestée n'a ni pour objet ni pour effet de séparer la jeune C... de sa mère, qui l'a élevée seule jusqu'à ce jour. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " (...) Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; 2 - le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " Les prestations familiales comprennent : (...) / 4°) l'allocation de logement ; (...). ". Il résulte de ces dispositions que l'allocation de logement n'est pas prise en compte dans le calcul des ressources réalisé en application du 1°) de l'article 4 de l'accord franco-algérien.
8. M. D... admet ne disposer mensuellement que de 960 euros au titre de sa pension de retraite et ne conteste pas que cette somme est inférieure aux ressources minimales requises par les dispositions précitées. S'il affirme que sa pension de retraite sera revalorisée si son épouse et sa fille le rejoignent en France, il n'établit pas que ses revenus mensuels seraient suffisants du fait de cette revalorisation, dont il n'est pas justifié du montant. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision litigieuse est entachée d'une erreur d'appréciation quant à la condition de ressources.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet du Bas-Rhin du 13 décembre 2018. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Bas-Rhin, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, d'autoriser le regroupement familial de sa famille ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation, doivent par voie de conséquence être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de M. D... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 20NC00338