Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 20NC00468 le 21 février 2020, complétée par un mémoire enregistré le 20 août 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 janvier 2020, y compris la condamnation de l'Etat à verser à Me E..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle, une somme de mille euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- son arrêté du 8 juillet 2019 ne méconnaît pas les stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ni celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et ne porte pas au droit de Mme C... veuve B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ;
- aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait qu'il accorde le droit au séjour à l'intéressée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 août 2020, Mme A... C... veuve B..., représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet de Meurthe-et-Moselle ne sont pas fondés.
Mme C... veuve B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 25 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et ses avenants ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... C... veuve B..., née le 21 mai 1946, de nationalité algérienne, est entrée en France le 29 septembre 2018 sous le couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour. Le 14 mai 2019, elle a sollicité sa régularisation en faisant valoir sa vie privée et familiale. Par un arrêté en date du 8 juillet 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui accorder le droit au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet fait appel du jugement du 30 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à Mme C... veuve B... un certificat de résidence algérien sur le fondement du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, dans un délai de trente jours.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 susvisé : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...) 5° Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser le séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus. (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle en date du 8 juillet 2019, au motif qu'il était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle et familiale de Mme C... veuve B..., dès lors notamment que l'état de santé de sa fille, qui souffre d'un syndrome dépressif après le décès récent de son mari et d'une pathologie de l'estomac à l'origine de troubles anorexiques et d'asthénie, et éprouve par ailleurs des difficultés pour l'accompagnement quotidien de ses trois enfants mineurs et pour la tenue du domicile, nécessite la présence d'un tiers à domicile.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... veuve B... est entrée en France le 29 septembre 2018, à l'âge de soixante-douze ans, après le décès de son mari survenu le 1er août 2018 en Algérie. Elle ne résidait ainsi sur le territoire français que depuis neuf mois à la date de l'arrêté préfectoral contesté. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à son arrivée très récente en France. De plus, elle n'établit pas, par les pièces qu'elle produit, avoir entretenu jusqu'ici des liens intenses avec les membres de sa famille résidant régulièrement en France, en particulier avec ses trois enfants, ses petits-enfants, l'un de ses frères. Enfin, si elle affirme que l'état de santé de sa fille, âgée de 53 ans, nécessite sa présence à ses côtés, il ne ressort des pièces du dossier, ni que l'état de santé de sa fille, qui par ailleurs n'est pas isolée en France, nécessiterait l'assistance constante d'un tiers, ni que la requérante, aujourd'hui âgée de soixante-treize ans, disposerait de compétences particulières pour assurer les fonctions d'aide à domicile et que sa fille, qui bénéficie notamment de l'allocation pour adulte handicapé, ne serait pas en mesure d'accéder à un service d'aide à domicile. A cet égard, ni les certificats médicaux en date des 25 avril 2019 et 1er octobre 2019, établis à la demande de l'intéressée sur un papier sans en-tête et peu circonstanciés, ni le certificat médical établi le 21 novembre 2019 par le médecin traitant de la requérante, qui comporte des fautes d'orthographe, des phrases incomplètes et n'est pas circonstancié, ne permettent d'établir que l'état de santé de sa fille nécessiterait la présence de Mme C... veuve B... à ses côtés. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressée.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy s'est fondé sur une telle erreur manifeste d'appréciation pour annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 8 juillet 2019.
6. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... veuve B... tant devant le tribunal administratif de Nancy que devant la cour en appel.
Sur les autres moyens soulevés par Mme C... veuve B... :
7. En premier lieu, le préfet de Meurthe-et-Moselle a, par un arrêté du 27 juin 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 28 juin 2019, donné délégation à Mme Marie-Blanche D..., secrétaire générale, pour signer tous les arrêté, décisions, circulaires, rapports, documents et correspondances relevant des attributions de l'Etat dans le département de Meurthe-et-Moselle, à l'exception des arrêtés de conflit. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de Mme D..., signataire de la décision attaquée, doit être écarté.
8. En deuxième lieu, l'arrêté contesté du préfet de Meurthe-et-Moselle en date du 8 juillet 2019 mentionne les textes dont il fait application, notamment l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, et précise que Mme C... veuve B... ne démontre, ni qu'elle disposerait de compétences particulières pour assurer des fonctions d'aide à domicile, ni que l'état de santé de sa fille nécessiterait sa présence constante à ses côtés. Il souligne également que l'intéressée n'est entrée que très récemment sur le territoire français, qu'elle a vécu la majorité de sa vie hors de France et qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine. Il comporte, dès lors, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cet arrêté doit être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".
10. L'arrêté contesté a été pris en réponse à la demande de titre de séjour présentée le 14 mai 2019 par Mme C... veuve B.... La procédure contradictoire préalable ne lui est donc pas applicable. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
11. En quatrième lieu, si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
12. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
13. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.
14. Enfin, selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.
15. Si Mme C... veuve B... soutient qu'elle a été privée du droit d'être entendue que lui reconnaît le droit de l'Union européenne, elle ne se prévaut d'aucun élément pertinent qu'elle aurait été privée de faire valoir et qui aurait pu influer sur le contenu de l'arrêté contesté. Le moyen ainsi soulevé doit donc être écarté.
16. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de Mme C... veuve B... avant de prendre l'arrêté litigieux, ni qu'il se serait estimé en situation de compétence liée pour refuser de prolonger le délai de départ volontaire. Dès lors, les moyens tirés de ce que préfet n'aurait pas procédé à un tel examen et aurait méconnu l'étendue de sa compétence doivent être écartés.
17. En sixième lieu, eu égard aux circonstances analysées au point 4 que l'arrêté attaqué n'a méconnu ni les stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ni celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 8 juillet 2019 et lui a enjoint par voie de conséquence de délivrer à l'intéressée un certificat de résidence algérien sur le fondement du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, dans un délai de trente jours.
Sur les frais liés à l'instance :
19. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
20. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de Mme C... veuve B... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 janvier 2020 est annulé, y compris la condamnation de l'Etat à verser à Me E... une somme de mille euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 2 : La demande de Mme A... C... veuve B... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de Mme A... C... veuve B... tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... veuve B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 20NC00468