Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2020, M. B... A..., représenté par Me Abdelli, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001128 du tribunal administratif de Besançon du 13 octobre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, dans les deux cas dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son avocat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à tort que le préfet, sans procéder à une vérification auprès des autorités ivoiriennes de l'authenticité des pièces d'état civil qu'il a fournies à l'appui de sa demande, a estimé que cette dernière était entachée de fraude ;
- le refus de séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2021, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
L'instruction a été close le 22 juillet 2021.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- loi ivoirienne n° 64-374 du 7 octobre 1964, relative à l'état civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, président,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant ivoirien entré en France le 8 décembre 2017, a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Doubs le 11 janvier 2018. Le 29 novembre 2019, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 17 février 2020, le préfet du Doubs a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.
2. M. A... relève appel du jugement du 13 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".
4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Enfin, aux termes de l'article 42 de la loi ivoirienne du 7 octobre 1964, relative à l'état civil : " L'acte de naissance énonce : / l'année, le mois, le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui sont donnés ; / les prénoms, noms, âges, nationalités, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. (...) ". Et aux termes de l'article 52 de cette loi : " (...) Les dépositaires des registres sont tenus de délivrer à tout requérant des extraits indiquant, sans autres renseignements, l'année, le jour, l'heure et le lieu de naissance, le sexe, les prénoms et le nom de l'enfant tels qu'ils résultent des énonciations de l'acte de naissance ou des mentions contenues en marge de cet acte et reproduisant la mention prévue au dernier alinéa de l'article 70. / Les extraits précisant en outre les prénoms, noms, professions et domiciles des père et mère ne peuvent être délivrés que dans les conditions prévues à l'alinéa premier, à moins que la délivrance n'en soit demandée par les héritiers de l'enfant ou par une administration publique ".
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour, M. A... a présenté un extrait du registre des actes de l'état civil et un certificat de nationalité ivoirienne, mentionnant qu'il est né le 1er janvier 2002. Le préfet a rejeté sa demande au motif qu'elle est entachée de fraude, après avoir estimé que l'extrait du registre des actes de l'état civil est un faux au sens de l'article 441-2 du code pénal. Cette appréciation est fondée sur un procès-verbal établi le 17 janvier 2020 par un analyste en fraude documentaire et à l'identité de la police aux frontières, dont il ressort que l'extrait du registre des actes de l'état civil produit par M. A... a été édité sur un papier ordinaire à l'aide d'une imprimante toner, alors que les documents d'état civil ivoiriens présentent des fonds d'impression et/ou des textes pré-imprimés en " offset ", que les cachets humides sont de très mauvaise qualité, avec des formes irrégulières, que le texte présente des fautes d'orthographe et de frappe, et que certaines des mentions obligatoires prévues par l'article 42 de la loi ivoirienne du 7 octobre 1964, relative à l'état civil, à savoir l'année, le mois, le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui sont donnés, ainsi que les prénoms, noms, âges, nationalités, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant, n'y figurent pas.
7. Toutefois, les énonciations mêmes de l'extrait du registre des actes de l'état civil produit par M. A... à l'appui de sa demande contredisent les constats du procès-verbal du 17 janvier 2020, puisque les mentions relatives aux mois, jour, heure et lieu de sa naissance, à son sexe et aux prénoms qui lui sont donnés y figurent. Quant aux prénoms, noms, âges, nationalités, professions et domiciles des père et mère de l'intéressé, il résulte des dispositions précitées des articles 42 et 52 de la loi ivoirienne du 7 octobre 1964 que leur mention n'est obligatoire que dans les actes de naissance, mais non dans les extraits du registre des actes de l'état civil. Cette méprise de l'auteur du procès-verbal sur la nature du document analysé remet également en cause son appréciation de la conformité de son support papier et de ses modalités d'édition. Il ne ressort ainsi pas de ce procès-verbal, ni d'aucune autre pièce du dossier, que les caractéristiques de ce document ne correspondraient pas aux formes usitées en Côte-d'Ivoire en ce qui concerne les extraits du registre des actes de l'état civil. En outre, si le procès-verbal relève une faute d'orthographe dans le document, la mention dans laquelle il indique que figure cette faute est absente de ce document. Dans ces conditions, compte tenu de ces erreurs et approximations, et en dépit de la mauvaise qualité des cachets humides figurant sur le document en cause, son caractère falsifié ne peut être tenu pour établi.
8. Par ailleurs, si l'auteur du procès-verbal a émis un doute sur l'authenticité du certificat de nationalité ivoirienne présenté par M. A..., il n'a pas pour autant conclu, comme il l'a fait pour l'extrait du registre des actes de l'état civil, à une contrefaçon, mais s'est borné à indiquer qu'il est " irrecevable selon l'article 47 du code civil ". Or, à supposer, comme l'a relevé l'auteur du procès-verbal, que ce document comporte des références inexactes et des informations ne figurant pas dans l'extrait du registre des actes de l'état civil sur la base duquel il aurait, selon lui, été établi, cela ne suffit pas à établir qu'il n'a pas été rédigé dans les formes usitées en Côte-d'Ivoire, qu'il est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Du reste, le préfet ne s'est pas fondé sur ce document pour retenir la fraude.
9. Enfin, M. A... produit un passeport qui lui a été délivré le 23 septembre 2020, qui confirme les informations figurant dans l'extrait du registre des actes de l'état civil et le certificat de nationalité ivoirienne qu'il a présenté à l'appui de sa demande, et dont l'authenticité n'est pas contestée par le préfet.
10. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le préfet a estimé que sa demande présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile était entachée de fraude et qu'il l'a, pour ce motif, rejetée. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, M. A... est fondé à demander l'annulation tant du jugement attaqué, que du refus de séjour contesté et, par voie de conséquence, de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination qui assortissent ce refus de séjour.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Eu égard au motif d'annulation mentionné au point précédent, le présent arrêt implique seulement qu'il soit procédé au réexamen de la demande d'admission au séjour présentée par M. A.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Doubs de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, et de délivrer à M. A..., dans l'attente de ce réexamen, et au plus tard huit jours après cette notification, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais de l'instance :
12. M. A... est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Abdelli de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2001128 du tribunal administratif de Besançon du 13 octobre 2020 et l'arrêté du préfet du Doubs du 17 février 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de procéder au réexamen de la demande d'admission au séjour présentée par M. A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, et de délivrer à M. A..., dans l'attente de ce réexamen, et au plus tard huit jours après cette notification, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Abdelli, avocat de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Abdelli renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Abdelli et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
N° 20NC03553 4