Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2020, M. B... A..., représenté par Me Elsaesser, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2003059 du tribunal administratif de Strasbourg du 11 août 2020, en tant qu'il a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 24 mars 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 24 mars 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement de première instance est entaché d'irrégularité dès lors que, en méconnaissance des droits de la défense, du principe du contradictoire et du droit d'être entendu en audience publique, les premiers juges n'ont pas fait droit à sa demande de report d'audience ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée en droit et en fait ;
- la décision en litige est entachée d'un vice de procédure, dès lors que, en méconnaissance du droit d'être entendu garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne, il n'a pas été mis à même de présenter ses observations ;
- la décision est entachée d'un défaut d'examen particulier, réel et sérieux de sa situation personnelle ;
- elle est également entachée d'erreurs de fait substantielles ;
- la décision en litige, qui méconnaît son droit fondamental de solliciter l'asile, est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
- elle méconnaît son droit d'accès à un juge et de présentation en justice pour faire valoir ses droits en qualité de victime d'une agression physique à l'arme blanche avec circonstances aggravantes ;
- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait substantielle ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier, réel et sérieux de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît son droit de solliciter l'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle et du contexte sanitaire actuel ;
- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- la décision est entachée d'un défaut d'examen particulier, réel et sérieux de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'un an est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée et entachée d'une erreur de fait substantielle ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit, dès lors que le préfet du Haut-Rhin s'est estimé à tort en situation de compétence liée pour prononcer à son encontre une interdiction de de retour sur le territoire français d'un an ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen dès lors que le préfet du Haut-Rhin n'a pas examiné si des circonstances humanitaires pouvaient faire obstacle au prononcé d'une interdiction de retour ;
- elle est entachée d'un erreur manifeste d'appréciation et porte atteinte à son droit fondamental de solliciter l'asile ;
Un mémoire du préfet du Haut-Rhin a été reçu le 12 septembre 2021 postérieurement à la clôture de l'instruction fixée le 22 juillet 2017.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Meisse, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... est un ressortissant afghan né le 1er février 1993. Il a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français le 10 avril 2018 à la suite du rejet de sa demande d'asile par les autorités autrichiennes. Le 27 avril 2018, le requérant a de nouveau sollicité l'asile auprès des services de la préfecture du Bas-Rhin. Les recherches entreprises dans le fichier " Eurodac " ayant révélé que l'intéressé était enregistré comme demandeur d'asile en Autriche, une demande de reprise en charge a été adressée aux autorités autrichiennes, qui l'ont explicitement acceptée le 9 mai 2018. Par un arrêté du 14 août 2018, dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 1805431 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg le 11 septembre 2018, le préfet du Bas-Rhin a décidé de transférer M. A... à destination de l'Autriche. Les 4 décembre 2019, 9 janvier et 25 février 2020, le requérant a délibérément fait obstacle à l'exécution de cette mesure en refusant d'embarquer dans l'avion prévu à cet effet. Les 10 janvier et 10 mars 2020, il a été successivement condamné pour ces faits, par le tribunal correctionnel de Strasbourg, puis par celui de Mulhouse, à deux peines d'emprisonnement de deux mois et de trois mois qu'il a effectuées respectivement au sein des maisons d'arrêt de Strasbourg et de Mulhouse. Constatant que l'accord de reprise en charge des autorités autrichiennes était échu depuis le 10 mars 2020, le préfet du Haut-Rhin, par un arrêté du 24 mars 2020, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant un an. Puis, la levée d'écrou de sa seconde incarcération à la maison d'arrêt de Mulhouse étant intervenue le 6 mai 2020, l'autorité préfectorale, par un second arrêté du même jour, a prononcé son assignation à résidence dans le département du Haut-Rhin pour une durée de six mois renouvelable une fois. M. A... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux des 24 mars et 6 mai 2020. Il relève appel du jugement de ce tribunal du 11 août 2020 en tant qu'il a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 24 mars 2020.
2. Le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. S'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit, en principe, autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'article L. 742-3 de ce code prévoit que l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat qui est responsable de cet examen en application des dispositions du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Aux termes du deuxième paragraphe de l'article 29 de ce règlement : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. Il n'est pas contesté que l'accord de reprise en charge des autorités autrichiennes est arrivé à expiration le 10 mars 2020 et que la France est devenue, à compter de cette date, l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. A... le 27 avril 2018. Il ressort des énonciations de l'arrêté en litige du 24 mars 2020 que le préfet du Haut-Rhin a prononcé à son encontre une obligation de quitter sans délai le territoire français au motif que, pour s'être opposé à trois reprises à l'exécution de la mesure de transfert le concernant en refusant d'embarquer dans l'avion prévu à cet effet et avoir été condamné à ce titre à deux peines d'emprisonnement de deux et de trois mois, le comportement de M. A... est de nature à menacer l'ordre public d'une manière actuelle, réelle et grave. Toutefois, à supposer même que le comportement de l'intéressé présente un tel caractère, un tel motif n'est pas au nombre de ceux susceptibles de justifier légalement son éloignement sans que sa demande d'asile n'ait été examinée par les autorités compétentes. Par suite, et alors que, au demeurant, le requérant, invité par l'administration le 19 mars 2021 à présenter ses observations préalables, a réitéré son souhait de voir sa demande d'asile examinée en France et qu'au surplus, postérieurement à l'arrêté en litige, il a été mis en possession d'une attestation de demande d'asile en procédure normale, valable du 25 août 2020 au 24 juin 2021, la mesure d'éloignement contestée, qui fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français avant que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile ne statuent sur sa demande, est entachée d'une erreur de droit et doit être annulée pour ce motif. Par voie de conséquence, les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pendant un an, qui sont dépourvues de base légale, doivent également être annulées.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de requête, que M. A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 24 mars 2020. Par suite, il est également fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en tant qu'elle est dirigée contre cet arrêté.
Sur les frais de justice :
5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2003059 du tribunal administratif de Strasbourg du 11 août 2020 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. A... dirigée contre l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 24 mars 2020.
Article 2 : L'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 24 mars 2020 est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
N° 20NC03725 5