Par un jugement n°1703410 du 10 mars 2020, après dépôt du rapport d'expertise le 19 juillet 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier Unisanté + à verser d'une part à Mme C... I... la somme de 156 351,90 euros ainsi qu'une rente trimestrielle de 4 542,30 euros, ainsi qu'une somme de 843,57 euros sur présentation d'un justificatif d'achat d'un lit médicalisé et des sommes de 107,28 euros à compter de la souscription de l'abonnement à une téléalarme et de 84 euros au titre du système Astelia.
Procédure devant la cour :
I- Par une requête n° 18NC02653, enregistrée le 28 septembre 2018, et des mémoires enregistrés les 4 et 13 février 2020, le centre hospitalier intercommunal des Hôpitaux de Forbach et de Saint-Avold, à l'enseigne Unisanté +, représenté par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1703410 du tribunal administratif de Strasbourg en date du 31 juillet 2018 ;
2°) d'ordonner avant dire droit une contre-expertise contradictoire et de surseoir à statuer sur les demandes respectives des parties ;
3°) subsidiairement de débouter les consorts I... et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de leurs demandes ;
Il soutient que :
- la responsabilité d'Unisanté + n'est pas contestée mais elle est partagée avec le SAMU 57 et donc le centre hospitalier (CHR) de Metz-Thionville dont il dépend ; Unisanté + ne peut être condamné qu'à hauteur de 30% ;
- le tribunal a commis une erreur en mettant hors de cause le CHR de Metz-Thionville ;
- le SAMU 57 a commis une faute en n'orientant pas Mme I... vers une unité neurovasculaire ;
- le CHR de Metz-Thionville avait été appelé à la cause devant le tribunal ; il avait même été conclu avant dire droit à une expertise contradictoire avec le CHR de Metz-Thionville ;
- d'ailleurs les experts ont tenu à écouter la bande son de l'appel téléphonique au SAMU 57 et ont demandé à la présidente du tribunal de pouvoir entendre les représentants du SAMU et les ont convoqué le 13 mai 2019, demontrant la nécessité de mettre en cause le CHR de Metz-Thionville.
Par un mémoire en défense, enregistré les 22 février 2019, Mme C... I..., et ses fils M. E... I... et M. B... I..., représentés par Me D... G..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros pour Mme I... et 2 000 euros chacun pour M. E... I... et M. B... I... soit mise à la charge du CHI Unisanté + au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que:
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité du CHI Unisanté + à hauteur de 30% des dommages subis ;
- l'expertise explique précisément les causes du dommages et le lien de causalité entre les manquements et l'acte de prise en charge.
Par des mémoires enregistrés les 4 et 30 avril 2019, 14 et 22 août 2019, 7 et 28 janvier 2020, 20 février 2020 et 30 mars 2020 présentés par Me F..., le centre hospitalier régional de Metz-Thionville (CHR) conclut au rejet de la requête et de la demande de la CPAM de Meurthe et Moselle.
Il soutient que :
- la mesure d'expertise sollicitée est inutile dès lors que les experts se sont clairement prononcés sur les causes des préjudices subis par Mme I... en lien exclusif avec les manquements du CHI Unisanté+ ;
- ni les consorts I..., ni le CHI Unisanté+ n'ont présenté en première instance des conclusions à l'encontre du CHR de Metz-Thionville ; de telles conclusions présentées pour la première fois en appel sont irrecevables ;
- pour les mêmes raisons, la demande de la CPAM présentée pour la première fois en appel est également irrecevable ; la caisse ne saurait en tout état de cause solliciter le remboursement de débours qu'elle aurait dû nécessairement engager ;
- rien ne vient étayer une éventuelle faute commise par le SAMU 57 ;
- par un jugement du 10 mars 2020 le tribunal administratif de Strasbourg s'est à nouveau prononcé pour rejeter la demande d'expertise du CHI Unisanté + et a mis hors de cause le CHR ; le CHI Unisanté + a interjeté appel de ce jugement et les opérations d'expertise sont en cours ;
- le comportement des experts le convoquant à des opérations d'expertise alors qu'il est mis hors de cause semble manifester un défaut d'impartialité, ces experts ne devront pas être désignés en cas de nouvelle expertise ordonnée en appel ;
Par des mémoires enregistrés les 14 août 2019 et 20 janvier 2020, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Meurthe-et-Moselle, représentée par Me A..., conclut :
- au rejet du recours du CHI Unisanté+ ;
- à la condamnation du même CHI à lui verser une somme de 180 667,11 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la première demande affectée par le taux de perte de chance ainsi qu'une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
- à la condamnation du même CHI à lui verser une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
- à titre subsidiaire à la condamnation solidaire du CHR de Metz-Thionville et du CHI Unisanté+ à lui verser l'ensemble de ces sommes.
Elle fait valoir que :
- la cour confirmera l'analyse retenue par les premiers juges ;
- sa créance est justifiée par le relevé des débours et l'attestation d'imputabilité du médecin conseil ;
- les frais futurs sont également justifiés.
Par une ordonnance du 17 avril 2020, l'instruction a été close au 11 mai 2020.
Par un courrier en date du 13 novembre 2020, les parties ont été informées de ce que la cour était, en application des dispositions de l'article R. 611 7 du code de justice administrative, susceptible de soulever d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la CPAM de Meurthe-et-Moselle en ce qu'elle ne présente aucune conclusion ni aucun moyen contre le jugement attaqué, ni même aucune explication sur la différence entre la somme qu'elle demande en appel et celle admise par les juges de première instance.
La CPAM a présenté un mémoire en réponse le 13 novembre 2020.
II- Par une requête enregistrée le 3 avril 2020 sous le n° 20NC00878 et un mémoire enregistré le 14 mai 2020, le centre hospitalier intercommunal des Hôpitaux de Forbach et de Saint-Avold, à l'enseigne Unisanté +, représenté par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1703410 du tribunal administratif de Strasbourg en date du 10 mars 2020 ;
2°) de surseoir à statuer jusqu'à la décision à intervenir sur le jugement du 31 juillet 2018 et de lui réserver le droit de conclure ensuite sur le fond ;
3°) subsidiairement, de confirmer le jugement.
Il soutient que :
- il avait été demandé dans la première requête d'appel un sursis à statuer dans l'attente de la nouvelle expertise demandée, le jugement contesté a refusé ce sursis à statuer ;
- les montants alloués ne sont pas contestés ;
- une nouvelle expertise a été demandée pour déterminer la part de responsabilité du SAMU 57.
Par un mémoire enregistré le 25 juin 2020, Mme C... I..., et ses fils M. E... I... et M. B... I..., représentés par Me D... G..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de du CHI Unisanté + au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils ne sont pas concernés par l'appel ;
- ils ont dû être assistées et intervenir ce qui génère des frais d'avocats.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2020, le centre hospitalier régional de Metz-Thionville (CHR) conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient qu'aucune conclusion n'est dirigée à son encontre.
Par un mémoire enregistré le 13 novembre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Meurthe-et-Moselle, représentée par Me A..., s'en rapporte à la sagesse de la cour.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme J..., présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
- et les observations de Me H... pour le centre hospitalier intercommunal hôpitaux de Forbach et Saint-Avold Unisanté +.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes susvisées n° 18NC02653 et n° 20NC00878, présentées pour le CHI Unisanté + présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. En 1998, Mme I... a été victime de deux accidents vasculaires cérébraux et est depuis lors sous traitement. Le 15 août 2013, Mme I..., âgée de 56 ans, a été admise aux urgences du centre hospitalier Unisanté + à Forbach entre 21h20 et 21h40 en raison de nausées, vomissements et vertiges et présentait une hémiplégie droite sans paralysie faciale mais avec des propos difficilement compréhensibles. Un scanner réalisé alors a été interprété comme ne montrant pas d'accident ischémique aigu. Un diagnostic de crises convulsives sur cicatrices d'AVC a été posé et Mme I... a été transférée au service de gastro-entérologie de l'hôpital de Saint-Avold le lendemain. Les symptômes de nausées, vomissements, troubles de l'élocution et hémiparésie gauche persistant, le médecin responsable du service, compte tenu des informations données par le fils de la patiente, a prescrit une IRM qui a été réalisée aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg le 16 août 2013. Le diagnostic d'AVC cérébelleux statique et dynamique a été immédiatement retenu et l'intéressée a été hospitalisée jusqu'au 17 septembre 2013, date à laquelle elle a été transférée dans un service de rééducation. Depuis lors, Mme I... présente une atteinte motrice droite sévère avec des troubles sensitifs de l'hémicorps gauche, des tremblements de la mobilisation, une dysarthrie sévère et une incapacité à la station debout sans appui. Mme I... et ses deux fils recherchent la responsabilité du centre hospitalier Unisanté + pour la faute de diagnostic qui a été commise dans sa prise en charge.
3. Par jugement avant dire droit du 31 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier intercommunal Unisanté + à verser d'une part à Mme I... la somme de 15 965,81 euros au titre de frais d'assistance, de frais d'aménagement de la salle de bains et des WC, de dépenses de santé, du déficit fonctionnel, des souffrances endurées et du préjudice esthétique avant consolidation, ainsi que du préjudice sexuel, la somme de 1 670,21 euros sous forme d'une rente annuelle au titre des frais de santé futurs et d'autre part à Messieurs. I... la somme de 5000 euros chacun au titre du préjudice moral. Le tribunal a également mis à la charge du centre hospitalier Unisanté + les sommes de 24 429,20 euros et 1 066 euros à verser à la CPAM de Meurthe-et-Moselle. Enfin, le jugement a diligenté une expertise pour la fixation du déficit fonctionnel permanent et la nécessité de recourir à une tierce personne.
4. Par un jugement en date du 10 mars 2020, après le dépôt du rapport d'expertise, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier Unisanté + à verser à Mme I... la somme de 156 351,90 euros au titre de la tierce personne jusqu'au jour du jugement et du déficit fonctionnel permanent, une rente trimestrielle de 4 542,30 euros au titre de la tierce personne à compter du jour du jugement, ainsi qu'une somme de 843,57 euros sur présentation d'un justificatif d'achat d'un lit médicalisé, une somme de 107,28 euros à compter de la souscription de l'abonnement à une téléalarme et une somme de 84 euros au titre du système Astelia.
5. Le CHI Unisanté+ demande l'annulation de ces deux jugements au motif que le tribunal n'a pas admis un partage de responsabilité avec le CHR de Metz-Thionville gérant le SAMU 57 qui a pris en charge Mme I....
Sur le bien-fondé des jugements :
6. Il résulte de l'instruction et notamment des rapports versés au dossier des deux expertises, l'une diligentée par la CRCI de Lorraine et déposée le 12 janvier 2016 par les Docteurs Belair et Berquet et l'autre ordonnée par le jugement du 31 juillet 2018, confiée aux mêmes experts et déposée le 19 juillet 2019 que les symptômes de Mme I... auraient dû orienter au vu de ses antécédents et de son traitement vers un diagnostic de possible accident vasculaire cérébral et vers la réalisation en urgence d'une IRM avec transfert de la patiente vers une unité permettant ce type d'examen et la prise en charge de cette pathologie. Selon les experts, le protocole recommandé pour la prise en charge des suspicions d'AVC n'est pas intégré dans la pratique courante au sein du CHI Unisanté+. Les experts indiquent également que l'hospitalisation en neurologie vasculaire implique une amélioration de la prise en charge symptomatique permettant une amélioration de la survie et des conditions de survie de 30%. Ainsi, les soins, investigations et actes annexes donnés à Mme I... lors de sa prise en charge au CHI Unisanté+ le 15 août 2013 n'ont pas été conduits conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science et sont dès lors constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité de ce centre hospitalier. Les experts estiment que le retard a entraîné une perte de chance de 30% de non aggravation de l'état antérieur de la patiente en tenant compte de l'imprévisibilité des séquelles même en cas de procédure adéquate. En conséquence, il y a lieu, ainsi que l'ont fait les premiers juges, de retenir un retard de diagnostic fautif lors de la prise en charge de Mme I... au CHI Unisanté + le 15 août 2013 et une perte de chance à hauteur de 30% de non aggravation de son état antérieur.
7. S'il s'y croyait fondé, il appartenait à l'appelant non pas seulement de conclure à ce qu'une expertise soit ordonnée en présence du CHR de Metz-Thionville mais, compte tenu de l'office du juge administratif et de la nature de la procédure administrative contentieuse, de présenter lui-même des conclusions à l'encontre de ce CHR tendant à ce que ce dernier le garantisse totalement ou partiellement des condamnations mises à sa charge. Or il ressort des écritures de première instance que le CHI Unisanté + n'a pas présenté de conclusions d'appel en garantie à l'encontre du CHR de Metz-Thionville.
8. En conséquence et alors que, d'ailleurs, le CHI Unisanté + ne demande pas davantage en appel à être garanti par le CHR de Metz-Thionville de tout ou partie des condamnations prononcées à son encontre, le CHI Unisanté + n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas engagé la responsabilité du CHR de Metz-Thionville.
9. Il résulte de ce qui précède que le CHI Unisanté+ n'est pas fondé à demander l'annulation des jugements du tribunal administratif de Strasbourg des 31 juillet 2018 et 10 mars 2020.
Sur les conclusions de la CPAM de Meurthe et Moselle :
10. Si la CPAM, qui conclut au rejet des recours, soutient qu'une somme supplémentaire doit lui être allouée au regard des frais futurs, elle se borne à renvoyer aux pièces produites, sans assortir cette demande de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. En conséquence, ses conclusions en ce sens ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du CHI Unisanté+ le versement aux consorts I... de la somme de 2 000 euros. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce que le CHI Unisanté+, qui n'est pas la partie perdante à l'égard de la CPAM de Meurthe-et-Moselle, paie à cette dernière une somme au titre des frais exposés pour l'instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes du centre hospitalier intercommunal des hôpitaux de Forbach et Saint-Avold exerçant sous l'enseigne Unisanté+ sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de la CPAM de Meurthe-et-Moselle sont rejetées.
Article 3 : Le centre hospitalier intercommunal des hôpitaux de Forbach et Saint-Avold exerçant sous l'enseigne Unisanté+ versera à Mme C... I..., M. E... I... et M. B... I... une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... I..., à M. B... I..., à M. E... I..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, au Centre hospitalier intercommunal Unisanté + et au Centre hospitalier régional de Metz-Thionville.
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N° 18NC02653-20NC00878