Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 19NC03699 le 20 décembre 2019, Mme D... A..., épouse B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 novembre 2019 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 8 novembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, ainsi qu'un formulaire de demande d'asile, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me C... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- elle n'a pas bénéficié d'un entretien individuel effectif, en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la décision de transfert contestée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale en raison de l'illégalité de l'arrêté de transfert.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 juillet et 12 août 2020, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme A..., épouse B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 7 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... A..., épouse B..., ressortissante kosovare, est entrée sur le territoire français le 19 septembre 2019, selon ses déclarations. La comparaison du relevé décadactylaire de ses empreintes avec le fichier VIS ayant révélé qu'elle était titulaire d'un visa délivré par les autorités suédoises et valable jusqu'au 30 septembre 2019, le préfet du Bas-Rhin a saisi les autorités suédoises, le 25 octobre 2019, d'une demande de prise en charge de l'intéressée, en application des dispositions combinées des articles 12 et 21 du règlement UE n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités suédoises ont fait connaître leur accord à cette prise en charge le 30 octobre suivant. Par deux arrêtés en date du 8 novembre 2019 le préfet du Bas-Rhin a alors ordonné le transfert de l'intéressée aux autorités suédoises et prononcé son assignation à résidence. Mme A..., épouse B..., déclarée en fuite le 18 mars 2020, fait appel du jugement du 20 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la décision de transfert :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., épouse B... a bénéficié, le 10 octobre 2019, d'un entretien individuel auprès des services de la préfecture du Bas-Rhin. Cet entretien a été conduit en langue albanaise, dont il est constant que l'intéressée la parle et la comprend. La requérante, qui s'est vu remettre avant l'édiction de l'arrêté contesté les brochures A et B rédigées en langue albanaise, a ainsi été mise en mesure de présenter toutes informations utiles, notamment sur sa situation personnelle et familiale, pour permettre à l'administration de déterminer l'Etat membre responsable de sa demande d'asile et, plus généralement, de formuler toutes les observations qu'elle souhaitait. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien individuel dont elle a bénéficié, qui comporte les principales informations fournies par l'intéressée et fait notamment état d'un visa suédois ayant expiré le 30 septembre 2019, n'aurait pas été réalisé selon les formes et les conditions posées par les dispositions précitées et, notamment, qu'il n'aurait pas été mené par une personne qualifiée de la préfecture du Bas-Rhin. Si la requérante affirme que les informations contenues dans le résumé de l'entretien, qu'elle a par ailleurs signé, seraient partiellement erronées, elle ne l'établit pas. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement précité du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ". Et aux termes de l'article L. 742-7 du même code : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ".
5. Si Mme A..., épouse B... soutient qu'elle doit être admise au séjour en France en application de l'article 17 du règlement précité du 26 juin 2013, dès lors qu'elle présenterait une pathologie rénale sérieuse nécessitant un suivi médical, il ne ressort pas des pièces du dossier que le traitement réservé en Suède aux demandeurs d'asile dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale ne serait pas équivalent à celui dont ils bénéficieraient en France. Du reste, l'appelante n'allègue pas qu'il existerait des défaillances du système de soins en Suède. En outre, si une tumeur au rein droit avec lésion hépatique d'allure métastatique a été diagnostiquée en septembre 2019, la requérante a bénéficié en France, en décembre 2019, d'une néphrectomie totale droite ouverte par laparotomie, et il ressort des pièces du dossier que son état de santé ne nécessite plus qu'une surveillance médicale et la prise de médicaments antalgiques et anticoagulants, disponibles en Suède. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé de l'intéressée serait d'une gravité telle qu'il l'empêche de voyager et s'oppose à son transfert. Par suite, Mme A..., épouse B... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :
6. Il résulte de ce qui précède que Mme A..., épouse B... n'est pas fondée à soulever, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision de transfert à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'assignant à résidence.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A..., épouse B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 8 novembre 2019. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, ainsi qu'un formulaire de demande d'asile, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard doivent par voie de conséquence être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de Mme A..., épouse B... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A..., épouse B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., épouse B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 19NC03699