Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 mars 2020, Mme B... D..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) de surseoir à statuer dans l'attente de la décision sur sa demande d'aide juridictionnelle ;
3°) d'annuler le jugement n° 1903643 du 10 mars 2020 du tribunal administratif de Nancy ;
4°) d'annuler l'arrêté du préfet des Vosges du 25 novembre 2019 ;
5°) d'enjoindre au préfet des Vosges de lui délivrer un titre de séjour, ou à tout le moins une autorisation provisoire de séjour ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le tribunal n'a pas entièrement statué sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté ;
En ce qui concerne les moyens communs à toutes les décisions :
- l'arrêté est entaché d'incompétence ;
- les décisions ont été prises en méconnaissance des articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de son droit à être entendue ;
En ce qui concerne le refus de séjour :
- il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'erreur de fait ;
- il porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet n'a pas envisagé la possibilité de l'admettre au séjour à titre exceptionnel ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
En ce qui concerne la décision relative au délai de départ volontaire :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- le préfet n'a pas tenu compte de sa vulnérabilité et n'a pas envisagé la possibilité de lui accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours ;
- il a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle ne peut pas retourner en Turquie, pays qu'elle a dû quitter en raison de ses engagements politiques.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2020, le préfet des Vosges conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur l'aide juridictionnelle :
1. Mme D... ayant, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 7 juillet 2020, postérieurement à l'introduction de sa requête en appel, été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, sa demande tendant à ce que la cour prononce son admission à titre provisoire au bénéfice de cette aide est devenue sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
2. Pour la même raison, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur sa requête.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. La requérante soutient que le tribunal n'a pas entièrement statué sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté dès lors qu'il ne s'est pas prononcé sur le caractère général de la délégation de signature consentie par le préfet des Vosges au secrétaire général de la préfecture, auteur de l'arrêté contesté.
4. Il ressort des pièces du dossier que devant le tribunal, la requérante avait soutenu qu'une délégation de signature doit indiquer avec précision les fonctions déléguées. Au point 4 de son jugement, le tribunal a expressément rappelé la teneur exacte de la délégation de signature consentie par le préfet des Vosges au secrétaire général de la préfecture, auteur de l'arrêté contesté, en soulignant que cette délégation exclut les décisions relatives à certaines matières, mais inclut notamment celles relatives à la police des étrangers. Le tribunal a ainsi, contrairement à ce que fait valoir la requérante, répondu de manière complète et précise à son moyen. Par suite, le jugement n'est entaché d'aucune irrégularité à cet égard.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les moyens communs à toutes les décisions contestées :
5. En premier lieu, l'arrêté contesté du 25 novembre 2019 a été signé par M. Julien F..., secrétaire général de la préfecture des Vosges. Par un arrêté du 21 août 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du 24 août 2018, le préfet des Vosges a donné délégation à l'intéressé à l'effet de signer, à compter du 27 août 2018, toutes décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département, y compris en matière de police des étrangers, à l'exception de la réquisition du comptable et des forces armées. Par suite, M. F... était régulièrement habilité aux fins de signer les décisions attaquées. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions doit donc être écarté comme manquant en fait.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 de ce code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : (...) / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ; (...) ".
7. D'une part, le préfet a statué sur l'admission au séjour de la requérante à la demande de cette dernière. D'autre part, il résulte des dispositions des articles L. 512-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'administration signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français et fixe le délai dont il dispose pour déférer volontairement à cette obligation. Aucune des décisions contestées n'entre ainsi dans le champ d'application de l'article L. 121-1 précité, dont la méconnaissance ne peut, par suite, être utilement invoquée par la requérante.
8. En troisième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut qu'être écarté comme inopérant, dès lors que ces stipulations s'adressent uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union.
9. En quatrième lieu, le droit d'être entendu, tel que garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne, implique, s'agissant d'une décision de retour, que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. A l'occasion du dépôt de sa demande de titre de séjour, l'intéressé en situation irrégulière est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux.
10. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait refusé d'entendre la requérante lors du dépôt de sa demande d'admission au séjour, ni qu'elle aurait été empêchée, au cours de l'instruction de cette demande, de faire valoir auprès de l'administration tous les éléments jugés utiles à la compréhension de sa situation personnelle. D'autre part, le droit de l'intéressée d'être entendue, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'imposait pas à l'autorité administrative de la mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour, ni sur le délai de départ volontaire et le pays de destination. Par suite, alors que la requérante ne pouvait pas raisonnablement ignorer que, en cas de rejet de sa demande, elle perdrait le droit de se maintenir sur le territoire français et pourrait alors faire l'objet d'une mesure d'éloignement, le moyen tiré de ce que son droit d'être entendue aurait été méconnu ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le refus de séjour :
11. En premier lieu, l'arrêté contesté comporte un énoncé des considérations de droit et de fait constituant le fondement du refus de séjour et est ainsi régulièrement motivé. Est sans incidence à cet égard la circonstance, alléguée par la requérante, que les considérations de fait mentionnées dans l'acte seraient inexactes.
12. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante, qui selon les termes de l'arrêté a présenté une demande d'admission au séjour à titre exceptionnel sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aurait également sollicité son admission au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 de ce code. Par suite, le préfet n'a entaché sa décision d'aucune erreur de droit en s'abstenant d'examiner la situation de l'intéressée au regard de ces dispositions, et ne saurait, en outre, avoir méconnu ces dernières.
13. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait omis d'envisager de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation.
14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
15. Mme D..., de nationalité turque, née en 1981, fait valoir qu'elle séjourne en France depuis novembre 2009, que sa fille y est née en 2013 et y est scolarisée, qu'elle bénéficie en France du soutien de sa famille, et qu'elle est dépourvue de toute attache en Turquie. S'il est constant qu'elle est entrée en France en novembre 2009 pour y demander l'asile, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de l'attestation de l'assistante sociale de l'association qui la prend en charge depuis avril 2019, établie sur la seule base de ses déclarations, qu'elle s'y serait maintenue à la suite du rejet de sa demande par la Cour nationale du droit d'asile le 18 octobre 2010, et de la mesure d'éloignement dont elle a fait l'objet le 6 novembre 2010. En l'absence de tout autre élément produit par la requérante à l'appui de ses affirmations, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que sa fille serait née en France en 2013, ni que d'autres membres de sa famille, au sujet desquels elle ne fournit d'ailleurs aucune précision, y seraient présents. Enfin, elle ne produit aucun élément de nature à établir qu'elle n'aurait plus d'attache personnelle ou familiale dans son pays d'origine et qu'elle serait dans l'impossibilité d'y reconstituer sa cellule familiale. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a refusé de l'admettre au séjour. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut qu'être écarté.
16. En cinquième lieu, à supposer que le préfet ait commis une erreur en indiquant dans son arrêté que la requérante est la mère de deux enfants, cette erreur, au regard de ce qui a été dit au point précédent, ne saurait avoir d'incidence sur la légalité de la décision contestée.
17. En sixième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
18. Si la requérante soutient que sa fille est scolarisée en France où elle a toujours vécu, elle ne l'établit pas et, en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa scolarité ne pourra pas être poursuivie en Turquie, dont l'assistante sociale indique d'ailleurs, dans son attestation, qu'elle parle la langue. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
19. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, (...), lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; / (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l'indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III. (...) ". Aux termes de l'article 12 de la directive du 16 décembre 2008 susvisée : " 1. Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d'interdiction d'entrée ainsi que les décisions d'éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles. (...) ".
20. D'une part, lorsqu'une obligation de quitter le territoire français assortit un refus de titre de séjour, la motivation de celle-ci se confond avec celle du refus de séjour dont elle découle nécessairement et n'implique pas, par conséquent, dès lors que le refus de séjour est lui-même motivé, de mention spécifique pour respecter les exigences de l'article 12 de la directive. Par conséquent, les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas incompatibles avec les objectifs de l'article 12 de la directive. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 11, la décision de refus de séjour est régulièrement motivée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision relative au délai de départ volontaire :
21. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. - L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas (...) ".
22. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante ait fait valoir auprès du préfet des éléments de nature à justifier qu'elle bénéficie d'un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. Dès lors, le préfet n'avait pas à motiver sa décision de lui accorder ce délai, fixé par la loi.
23. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet, auquel la requérante n'avait transmis aucun élément de nature à justifier qu'elle bénéficie d'un délai de départ volontaire supérieur à trente jours, se soit abstenu de procéder à un examen particulier de sa situation, et notamment d'envisager de lui accorder un délai plus long.
24. En troisième lieu, en se bornant à faire état de sa vulnérabilité, sans autre précision à cet égard, la requérante n'établit pas que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne lui accordant pas un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
25. En se bornant à soutenir qu'elle ne peut pas retourner en Turquie, pays qu'elle a dû, selon elle, quitter en raison de ses engagements politiques, la requérante n'établit pas l'illégalité de la décision contestée.
26. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme D..., ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'admission provisoire de Mme D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
N° 20NC00826 2