Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 20NC01070 le 11 mai 2020, M. E... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 29 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 13 juin 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me C... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la décision de refus de séjour :
- la décision contestée méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que le défaut de prise en charge de son état de santé aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, dès lors que sa demande de changement de statut n'a pas été examinée ;
- elle est entachée d'erreur de fait concernant sa relation avec Mme B... ;
- elle méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision attaquée doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation du refus de titre de séjour pris à son encontre ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet du Bas-Rhin, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par ordonnance du 1er février 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 23 février 2021.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 11 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... D..., ressortissant ivoirien né le 1er janvier 1976, est entré irrégulièrement en France en juin 2006, selon ses déclarations. Il a obtenu un titre de séjour, valable du 20 février 2017 au 12 février 2018, sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 12 février 2018, il a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour. Par un arrêté du 13 juin 2019, le préfet du Bas-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. D... fait appel du jugement du 29 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Elle doit alors, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. D... souffre d'incontinence uriniaire majeure avec port de prothèses. Pour refuser à l'intéressé le renouvellement de son titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet du Bas-Rhin s'est fondé notamment sur un avis émis le 30 juin 2018 par le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale, mais que le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que M. D... pouvait voyager sans risque. Les pièces produites par le requérant ne permettent pas de remettre en cause l'appréciation portée, au vu de cet avis, par le préfet du Bas-Rhin. Par suite, et à supposer même que les couches pour adulte seraient rares et chères en Côte d'Ivoire, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
5. En deuxième lieu, si le requérant soutient que le préfet du Bas-Rhin n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle, dès lors que sa demande de changement de statut n'a pas été examinée, il est contant, d'une part, que M. D... n'a sollicité un nouveau titre de séjour, cette fois sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le 7 juin 2019, soit six jours seulement avant l'adoption de la décision contestée et, d'autre part, que ce n'est qu'en février 2019 que des démarches ont été entamées par l'intéressé en vue de reconnaître la jeune A..., fille de Mme B..., ressortissante étrangère titulaire d'un titre de séjour. Par ailleurs, M. D... ne conteste, ni qu'aucune pièce attestant de l'introduction d'une telle procédure de reconnaissance devant le tribunal de grande instance n'avait été produite aux services préfectoraux à la date de la décision contestée, ni qu'il n'a répondu que le 7 juin 2019 à une demande de l'administration en date du 16 mai 2019 l'invitant à formuler sa demande de changement de statut dans un délai de quinze jours. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Bas-Rhin n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle.
6. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en estimant que l'intéressé ne justifiait pas d'une communauté de vie avec Mme B..., ni de la paternité de l'enfant de cette dernière, le préfet du Bas-Rhin aurait commis une erreur de fait, dès lors qu'à la date de la décision contestée, le préfet ne disposait d'aucune pièce probante établissant la communauté de vie entre M. D... et Mme B..., ainsi que le lien de paternité unissant le requérant à la fille de celle-ci.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. " Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Si M. D... déclare être entré sur le territoire français en juin 2006, il ne l'établit pas, alors qu'il ne s'est manifesté pour la première fois aux autorités qu'en juillet 2012, date à laquelle il a présenté une première demande de titre de séjour. S'il résidait ainsi sur le territoire français depuis au moins sept ans à la date de l'arrêté préfectoral contesté, la durée de sa présence sur le territoire français s'explique en partie par les démarches vaines qu'il avait entreprises pour obtenir un titre de séjour, avant de se voir délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade, valable du 20 février 2017 au 12 février 2018, et par le fait qu'il n'avait pas exécuté deux précédentes mesures d'éloignement. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine. Par ailleurs, s'il se prévaut de la relation qu'il entretient avec Mme B..., il n'avait produit, à la date de la décision contestée, aucun élément probant de nature à établir, d'une part, la vie commune avec celle-ci et, d'autre part, qu'il serait le père de la jeune A..., ou même seulement qu'il participerait effectivement à l'entretien et à l'éducation de cette enfant au profit de laquelle il n'avait engagé une démarche en reconnaissance de paternité qu'en février 2019. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle.
9. En cinquième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
11. Ainsi qu'il a été dit plus haut, ce n'est qu'en février 2019 que des démarches ont été entamées de la part du requérant en vue de reconnaître la jeune A..., et il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé participerait à l'entretien et à l'éducation de cette enfant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention précitée doit être écarté.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soulever, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision refusant de lui accorder le renouvellement de son titre de séjour, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'obligeant à quitter le territoire.
13. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 5, 8 et 11 du présent arrêt, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la légalité de la décision fixant le pays d'éloignement :
14. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants ".
15. M. D... n'établit pas qu'il serait soumis à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, en se bornant à soutenir qu'il souffre d'incontinence et que sa pathologie s'aggraverait en Côte d'Ivoire, dès lors qu'il n'y aurait pas accès aux soins appropriés à son état de santé. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à annuler l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 13 juin 2019. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard doivent être rejetées, par voie de conséquence.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
18. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de M. D... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 20NC01070