Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 20NC00701 le 17 mars 2020, le préfet de la Haute-Saône demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 19 février 2020 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... D....
Il soutient que :
- son arrêté du 13 février 2020 ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et ne porte pas au droit de Mme D... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ;
- le comportement de Mme D... constitue une menace à l'ordre public ;
- les autres moyens soulevés en première instance par Mme D... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2020, Mme B... D..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet de la Haute-Saône ne sont pas fondés.
Un mémoire présenté par le préfet de la Haute-Saône, tendant aux mêmes fins que ses écritures précédentes par les mêmes moyens, a été enregistré le 18 janvier 2021, avant clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Par ordonnance du 15 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 19 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... D..., ressortissante brésilienne, née le 8 janvier 1996, est entrée en France le 17 février 2016, munie d'un passeport, et s'y est maintenue au-delà d'un délai de trois mois. Le 13 février 2020, elle a été placée, par les services de gendarmerie de Luxeuil-les-Bains, en dégrisement pour ivresse publique et manifeste. Par un arrêté du 13 février 2020, le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être renvoyée et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Le préfet de la Haute-Saône fait appel du jugement du 19 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté, pour méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
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Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est entrée en France le 17 février 2016, à l'âge de vingt ans. Si elle résidait ainsi sur le territoire français depuis quatre ans à la date de la décision contestée, la durée de sa présence en France s'explique par le fait qu'elle s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français depuis l'expiration d'un délai de trois mois après son arrivée en 2016, sans jamais solliciter de titre de séjour. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait dépourvue de toute attache familiale dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à son arrivée en France. Par ailleurs, si Mme D... soutient qu'elle entretient des liens très étroits avec sa mère, laquelle a conclu un pacte civil de solidarité avec un ressortissant français le 21 mars 2019, il est constant que la mère de l'intéressée réside en France depuis 2012 et que sa fille a ainsi pu vivre quatre ans au Brésil, sans sa mère, jusqu'à son arrivée en France. Il ressort également des pièces du dossier, et il n'est au demeurant pas contesté que la mère de Mme D... n'a déposé une demande de titre de séjour en qualité de conjoint de Français que le 14 janvier 2020 et qu'elle s'était ainsi maintenue irrégulièrement sur le territoire français jusqu'à cette date. Dans ces conditions, et nonobstant la circonstance que le père biologique de l'intéressée ne l'a pas reconnue et que le frère de Mme D... réside en France, cette dernière, célibataire et sans enfant, n'est pas en mesure d'établir l'existence de liens personnels ou familiaux en France d'une ancienneté et d'une stabilité telles que l'obligation de quitter le territoire français litigieuse porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy s'est fondé sur la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Saône du 13 février 2020.
5. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... tant devant le tribunal administratif de Nancy que devant la cour en appel.
Sur les autres moyens soulevés par Mme D... :
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, le préfet de la Haute-Saône a, par un arrêté du 26 novembre 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, donné délégation à M. C..., secrétaire général de la préfecture, pour signer notamment tous arrêtés et décisions, à l'exception de certains arrêtés et décisions au nombre desquels ne figurent pas les arrêtés pris en matière d'entrée et de séjour des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. C..., signataire de la décision attaquée, doit être écarté.
7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Saône n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de Mme D..., avant de l'obliger à quitter le territoire français. Dès lors, le moyen tiré de ce que préfet n'aurait pas procédé à un tel examen doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article de L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; (...) 7° Si le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public (...) ".
9. A supposer même que le comportement de Mme D... ne constituerait pas une menace pour l'ordre public au sens du 7° des dispositions précitées, la décision contestée se fonde également sur le 2° de ces dispositions, qu'elle cite expressément, et précise que l'intéressée, qui n'a jamais sollicité de titre de séjour, se maintient sur le territoire français depuis le 17 février 2016, soit depuis plus de trois mois. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du 7° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit en tout état de cause être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision refusant un délai de départ volontaire :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui refusant un délai de départ volontaire.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article de L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) II. L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. (...) ".
12. A supposer même que le comportement de Mme D... ne constituerait pas une menace pour l'ordre public au sens du 1° de ces dispositions, la décision contestée se fonde également sur le 3° de ces dispositions, qu'elle mentionne expressément, et précise que l'intéressée, qui n'a jamais sollicité de titre de séjour, se maintient sur le territoire français depuis le 17 février 2016, soit depuis plus de trois mois et a déclaré par ailleurs " ne pas être d'accord pour retourner au Brésil ". Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit en tout état de cause être écarté.
13. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit plus haut, Mme D... s'est maintenue sur le territoire français plus de trois mois après son entrée en France le 17 février 2016 et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Dès lors, elle pouvait être regardée, en application du b) du 3° du II de l'article de L. 511-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comme risquant de se soustraire à l'obligation de quitter le territoire français. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir qu'en la privant d'un délai de départ volontaire, le préfet aurait fait une inexacte appréciation de ces dispositions.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
15. En deuxième lieu, aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
16. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
17. Il ressort des pièces du dossier que pour prononcer à l'encontre de l'intéressée une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, le préfet a pris en compte, dans le cadre du pouvoir d'appréciation qu'il exerce à cet égard, les quatre critères énoncés par les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour retenir en particulier la durée de la présence de Mme D... sur le territoire français et l'absence d'intensité de ses liens avec la France. Il est constant, d'une part, que Mme D... s'était maintenue en France, de façon irrégulière, depuis près de quatre ans à la date de la décision contestée et, d'autre part, et ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt, qu'elle ne justifie pas de liens anciens et stables avec la France. Dans ces conditions, et quand bien même l'intéressée ne constituerait pas une menace à l'ordre public, la décision contestée portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, qui comporte les motifs de fait et de droit qui en constituent le fondement et qui est ainsi suffisamment motivée, ne méconnaît pas les dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
18. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 3 du présent arrêt, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Saône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 13 février 2020.
Sur les frais liés à l'instance :
20. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
21. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme D... demande au titre de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 19 février 2020 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme D... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de Mme D... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Haute-Saône, à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Saône.
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N° 20NC00701