Procédure devant la cour :
I. Sous le numéro 18NC01728, par une requête enregistrée le 14 juin 2018, le préfet des Vosges demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 5 juin 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nancy.
Le préfet des Vosges soutient que :
- Mme A... ayant été mise à même de présenter ses observations préalablement à l'édiction de l'arrêté du 25 mai 2018, c'est à tort que le tribunal administratif a annulé cet arrêté au motif de la méconnaissance du droit de l'intéressée à être entendue ;
- l'arrêté du 25 mai 2018 ne méconnait pas les dispositions de l'article 3-2 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2019, Mme B... A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
- de rejeter la requête ;
- en tout état de cause, d'annuler l'arrêté du préfet des Vosges du 25 mai 2018 ;
- d'enjoindre au préfet des Vosges de lui permettre de déposer une demande d'asile en France en transmettant son dossier à la préfecture de la Moselle en vue de retirer le dossier d'asile et d'obtenir la délivrance, dans un délai de quinze jours, d'une attestation de demande d'asile ;
- à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet des Vosges de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et de lui délivrer, pendant l'instruction de sa demande, une attestation de demande d'asile ;
- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 813 euros à verser à Me C... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme A... soutient que :
- elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations préalablement à l'édiction de l'arrêté du 25 mai 2018 ;
- l'arrêté du 25 mai 2018, qui ne précise pas le critère retenu par le préfet pour considérer que l'Italie était l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, est entaché d'un défaut de motivation ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation particulière ;
- l'agent qui a mené l'entretien individuel n'étant pas identifiable et ne disposant pas d'une délégation régulière, l'arrêté contesté a été pris au terme d'une procédure irrégulière ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 3-2 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 en raison des défaillances systémiques dans la procédure d'asile constatées en Italie ;
- le préfet a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause de souveraineté prévue par les articles 17-1 et 17-2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Par ordonnance du 1er février 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 22 février 2019.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 27 septembre 2018.
II. Sous le numéro 18NC01729, par une requête enregistrée le 14 juin 2018, le préfet des Vosges demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1801395 du tribunal administratif de Nancy du 5 juin 2018.
Le préfet des Vosges soutient que les moyens soulevés sont de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions en annulation de la demande de Mme A....
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2019, Mme B... A..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 800 euros à verser à Me C... soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme A... soutient que les conditions du sursis à exécution d'un jugement ne sont pas remplies.
Par ordonnance du 1er février 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 22 février 2019.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 27 septembre 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Laubriat, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... A..., de nationalité camerounaise, est entrée irrégulièrement en France en novembre 2017. Mme A... a déposé une demande d'asile le 12 janvier 2018 à la préfecture des Vosges. Le préfet ayant constaté que les empreintes digitales de Mme A... avaient été relevées en Italie le 24 mai 2017, il a, par un arrêté du 25 mai 2018, décidé la remise de l'intéressée aux autorités italiennes sur le fondement des dispositions du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et son assignation à résidence dans le département des Vosges pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté préfectoral du 25 mai 2018 et a enjoint au préfet des Vosges de réexaminer la situation de Mme A.... Sous la requête n° 18NC01728, le préfet des Vosges fait appel de ce jugement. Sous la requête 18NC01729, le préfet demande le sursis à exécution du même jugement.
2. Les requêtes susvisées n° 18NC01728 et 18NC01729 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
3. Le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide ainsi que l'ont prévu les conclusions du Conseil européen de Tempere des 15 et 16 octobre 1999, l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code dans sa rédaction alors applicable : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 72 heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, a été notifié à l'administration, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
6. La requête de Mme A... devant le tribunal administratif de Nancy a interrompu le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation implicite du transfert par L'Italie. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification le 5 juin 2018 au préfet des Vosges du jugement de ce tribunal et n'a pas été interrompu par l'appel du préfet devant cette cour. Le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 étant à ce jour expiré, la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection de Mme A.... Le litige étant dès lors privé d'objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les requêtes du préfet des Vosges tendant à l'annulation et au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nancy du 5 juin 2018.
7. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande Me C..., avocat de Mme A..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les requêtes n° 18NC01728 et 18NC01729 du préfet des Vosges.
Article 2 : Les conclusions présentées par Me C..., avocat de Mme A..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... A....
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
N°18NC01728-18NC01729 2