Par une requête enregistrée le 6 novembre 2017, M. C...B..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1701098 du 1er juin 2017 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 22 avril 2017 ;
3° d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son avocat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B...soutient que :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- alors qu'il a fait l'objet d'une procédure de retenue, le préfet n'a accompli aucune diligence pour vérifier ses déclarations ;
- bien qu'il ait mentionné la gravité de son état de santé lors de son audition par les services de police, le préfet n'a pas consulté le médecin de l'agence régionale de santé, en méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article R. 511-1 du même code ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur de fait en ne tenant pas compte de la présence en France de son oncle de nationalité française et de deux de ses cousins ;
- la décision a été prise en méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, eu égard à la gravité de la pathologie pour laquelle il est suivi depuis le mois de septembre 2016 et à l'absence d'accès effectif à des soins appropriés dans son pays d'origine ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- la décision méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à l'inaccessibilité du traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation compte tenu de sa durée et en ce qu'elle ne tient pas compte des circonstances humanitaires de sa situation.
Par un mémoire, enregistré le 27 juin 2018, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 26 septembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Rees, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C...B..., de nationalité ivoirienne, né le 7 juin 1987, est régulièrement entré en France le 20 septembre 2015 sous couvert d'un visa de long séjour en qualité d'étudiant, valable jusqu'au 19 septembre 2016. Par un arrêté du 22 avril 2017, à la suite de son interpellation, le même jour, en gare de Forbach par les services de la police de l'air et des frontières, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
2. M. B...relève appel du jugement du 1er juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". Aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Toutefois, lorsque l'étranger est retenu en application de l'article L. 551-1, le certificat est établi par un médecin intervenant dans le lieu de rétention conformément à l'article R. 553-8. (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'étranger auquel il envisage de faire obligation de quitter le territoire français justifie d'éléments suffisamment précis sur la nature et la gravité des troubles dont il souffre, le préfet est tenu, préalablement à sa décision, de recueillir l'avis du collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
4. M. B...soutient avoir, lors de son audition par les services de police, expressément fait état de ce qu'il était atteint du SIDA et suivait un traitement à ce titre. Cette affirmation est corroborée par le procès-verbal d'audition de l'intéressé par les services de police, établi le 22 avril 2017, et elle est suffisamment précise et se rapporte à une maladie grave qui comporte un risque d'évolution létale en l'absence de traitement approprié. Dans ces conditions, M. B...est fondé à soutenir qu'en s'abstenant, préalablement à sa décision de l'obliger à quitter le territoire français, de recueillir l'avis prévu par l'article R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité, le préfet a entaché cette décision d'un vice de procédure. Ce vice de procédure est de nature à entacher d'illégalité la décision litigieuse, dès lors qu'il a effectivement privé M. B...de la garantie que constitue, pour l'application du 10° de l'article L. 511-4, l'avis du collège de médecins.
5. L'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français rejaillit, par voie de conséquence, sur la décision fixant le pays de destination et l'interdiction de retour sur le territoire français, qu'elle prive de fondement légal.
6. En conclusion de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de sa requête, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Dès lors, il est fondé à demander l'annulation de ce jugement, ainsi que de l'arrêté litigieux.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Le présent arrêt implique nécessairement que l'autorité administrative compétente procède, comme le demande le requérant, au réexamen de sa situation. Il y a lieu de lui ordonner de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de cette nouvelle décision, conformément à l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de munir l'intéressé, dans un délai de 15 jours à compter de la même date, d'une autorisation provisoire de séjour. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701098 du 1er juin 2017 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 22 avril 2017 par lequel le préfet de la Moselle a obligé M. C...B...à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an, est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de munir M. C...B...d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt, et de prendre une nouvelle décision sur son cas dans un délai de deux mois à compter de la même date.
Article 4 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre de l'intérieur et au préfet de la Moselle.
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N° 17NC02653