Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2017, M. B... C..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement no 1501013 du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros à titre d'indemnisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son avocat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. C...soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que le rapporteur public a insuffisamment motivé le sens de ses conclusions mis en ligne à l'attention des parties avant l'audience, en méconnaissance de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et des lignes directrices de la circulaire du vice-président du Conseil d'Etat du 9 janvier 2009 ;
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il n'est pas revêtu de la signature du président, du rapporteur et du greffier, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- il justifie d'un droit à réparation de son préjudice dès lors que l'irrégularité de la procédure disciplinaire a exercé une influence sur le sens de la décision prise à son encontre ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis ;
- eu égard à la gravité de la sanction prononcée et à la fragilité de son état psychologique à l'époque, son préjudice moral est établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2018, le garde des Sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 26 septembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...C..., alors détenu au centre pénitentiaire de Lille-Annoeullin, a fait l'objet, le 10 décembre 2012, d'une sanction de placement en cellule disciplinaire pour une durée de trente jours dont trois jours en prévention et dix jours avec sursis, prononcée par la commission de discipline de l'établissement à la suite d'un incident survenu le 7 décembre 2012. Le 9 janvier 2013, le directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord, Pas-de-Calais, Haute-Normandie et Picardie a annulé cette sanction au motif qu'elle était entachée d'un vice de procédure. Le 18 décembre 2014, M. C...a présenté au garde des Sceaux une réclamation en vue d'obtenir réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait de l'exécution, avant son retrait, de cette sanction. Le ministre n'a pas donné suite à cette réclamation.
2. M. C...relève appel du jugement du 18 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer son préjudice.
Sur la régularité du jugement :
3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".
4. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
5. En revanche, s'il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir, la communication de ces informations n'est pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision juridictionnelle.
6. Ainsi, en indiquant aux parties, préalablement à l'audience, qu'il conclurait au " rejet au fond ", le rapporteur public les a informées des éléments du dispositif de la décision qu'il comptait proposer à la formation de jugement d'adopter, d'une manière suffisamment précise et complète pour satisfaire aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative précité.
7. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation du jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
8. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte la signature du président de la formation de jugement, celle du rapporteur et celle du greffier d'audience. Ainsi, le moyen tiré de ce que ce jugement serait irrégulier, faute d'avoir été signé, manque en fait et doit être écarté.
Sur la responsabilité de l'Etat :
En ce qui concerne la faute :
9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-16 du code de procédure pénale : " En cas d'engagement des poursuites disciplinaires, les faits reprochés ainsi que leur qualification juridique sont portés à la connaissance de la personne détenue. / Le dossier de la procédure disciplinaire est mis à sa disposition. / La personne détenue est informée de la date et de l'heure de sa comparution devant la commission de discipline ainsi que du délai dont elle dispose pour préparer sa défense. Ce délai ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. / Elle dispose de la faculté de se faire assister par un avocat de son choix ou par un avocat désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats et peut bénéficier à cet effet de l'aide juridique ".
10. Il est constant que l'avocat de M. C...n'a été informé de la convocation de ce dernier devant la commission de discipline que la veille de la séance, soit le dimanche 9 décembre 2012. Dans ces conditions, les droits de la défense, dont les dispositions précitées garantissent le respect, ont été méconnus.
11. En second lieu, M. C...soutient que la commission de discipline s'est, en outre, fondée sur des faits matériellement inexacts. Le compte-rendu d'incident, le témoignage du surveillant victime de cet incident et celui du surveillant principal, tous établis le jour de l'incident, ainsi que le rapport d'enquête établi le lendemain, indiquent que M. C..., alors qu'il se rendait à une consultation médicale après s'être infligé des mutilations, a proféré des menaces à l'égard du surveillant qui l'accompagnait, puis a tenté de lui porter un coup au visage avec une lame de rasoir dissimulée dans sa main, puis, après avoir été entendu par un autre agent, a réitéré ses menaces à l'égard du même surveillant. Si, devant la cour comme devant le tribunal, M. C...conteste aussi bien l'agression que les menaces, la décision de la commission de discipline, qui comporte une transcription de ses déclarations, rapporte qu'il a, devant cette dernière, où il était assisté par un avocat, reconnu qu'il avait agité sa lame de rasoir après avoir déclaré à un autre surveillant présent qu'il allait " tailler quelqu'un ", que le surveillant visé, avec lequel il était en conflit, pouvait légitimement s'être senti en danger à la suite de ce geste et de ces déclarations et qu'il s'est, à nouveau, emporté à la suite de son audition en proférant de nouvelles menaces contre le même surveillant. Le requérant a signé la notification de la décision, sans y mentionner de réserve, et ne conteste d'ailleurs pas avoir fait ces déclarations, qui sont de nature à corroborer les faits décrits dans les documents précédemment mentionnés. Dans ces conditions, et alors même que M. C...n'a pu obtenir ni le témoignage de deux autres détenus qu'il dit avoir été présents, ni le visionnage des enregistrements de vidéosurveillance du lieu de l'incident, il n'est pas fondé à soutenir que la commission de discipline s'est fondée sur des faits matériellement inexacts.
12. Il résulte de ce qui précède que l'illégalité de la sanction litigieuse résulte uniquement du vice de procédure dont elle est entachée.
En ce qui concerne le lien de causalité :
13. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité, pour un vice de procédure, de la décision lui infligeant une sanction, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité procédurale puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise, s'agissant tant du principe même de la sanction que de son quantum, dans le cadre d'une procédure régulière.
14. Aux termes de l'article R. 57-7-1 du code de procédure pénale : " Constitue une faute disciplinaire du premier degré le fait, pour une personne détenue : / 1° D'exercer ou de tenter d'exercer des violences physiques à l'encontre d'un membre du personnel ou d'une personne en mission ou en visite dans l'établissement ". Aux termes de l'article R. 57-7-2 du même code : " Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour une personne détenue : / 1° De formuler des insultes, des menaces ou des outrages à l'encontre d'un membre du personnel de l'établissement, d'une personne en mission ou en visite au sein de l'établissement pénitentiaire ou des autorités administratives ou judiciaires ". Aux termes de l'article R. 57-7-47 du même code : " Pour les personnes majeures, la durée de la mise en cellule disciplinaire ne peut excéder vingt jours pour une faute disciplinaire du premier degré, quatorze jours pour une faute disciplinaire du deuxième degré et sept jours pour une faute disciplinaire du troisième degré. / Cette durée peut être portée à trente jours lorsque les faits commis constituent une des fautes prévues au 1° et au 2° de l'article R. 57-7-1 ".
15. Il résulte de l'instruction que, du fait de la convocation adressée à son avocat un dimanche pour le lendemain, M. C...a été privé de l'assistance de ce dernier lors de la commission de discipline. Il a néanmoins bénéficié, lors de la séance de la commission, de l'assistance d'une avocate commise d'office de permanence. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 11, les propres déclarations de M. C...corroborent les faits qui lui sont reprochés. Dans ces conditions, et alors que les faits reprochés à M. C...constituent des fautes disciplinaires des deuxième et premier degrés au sens des dispositions précitées, il résulte de l'instruction que la même sanction aurait pu lui être infligée légalement, tant dans son principe que dans son quantum, dans le cadre d'une procédure régulière.
16. Dès lors, M. C...n'est pas fondé à soutenir que le préjudice moral dont il demande réparation a pour cause directe le vice de procédure qui entache la sanction litigieuse ni, par voie de conséquence, à rechercher la responsabilité de l'Etat à ce titre.
17. En conclusion de tout ce qui précède, M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande indemnitaire. Dès lors, ses conclusions à fin d'annulation et d'indemnisation, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
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N° 17NC02836