Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 janvier 2018, M. D...E...et Mme C...E...néeF..., représentés par MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement nos 1605685, 1606674, 1704352 et 1704353 du 9 novembre 2017 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Moselle du 28 août 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de leur délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer leur situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à leur avocat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. et Mme E...soutiennent que :
En ce qui concerne les refus de séjour :
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de leur situation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il a envisagé leur situation uniquement au titre du travail, et non de la vie privée et familiale ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de leur situation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, eu égard à leur capacité d'intégration, aux promesses d'embauche dont ils bénéficient et à l'ancienneté de leur séjour ;
En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français :
- les obligations de quitter le territoire français sont illégales du fait de l'illégalité des refus de séjour ;
- le préfet s'est cru en situation de compétence liée pour les obliger à quitter le territoire français ;
- le préfet a méconnu le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il n'est pas établi que M. E...pourra effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine et que le préfet n'a pas examiné cette possibilité ;
En ce qui concerne les refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
- le préfet n'a pas motivé son choix de ne pas leur accorder un délai de départ volontaire ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de leur situation ;
- le préfet s'est cru en situation de compétence liée pour ne leur accorder aucun délai de départ volontaire ;
- les décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, compte tenu des problèmes de santé de M.E... ;
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination :
- les décisions sont insuffisamment motivées ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne les interdictions de retour sur le territoire français :
- les décisions sont insuffisamment motivées en ce qu'elles ne comportent pas d'analyse de la nature et l'ancienneté des liens de leurs liens avec la France ;
- les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
L'instruction a été close le 12 juin 2018.
Un mémoire a été déposé par le préfet de la Moselle le 26 juillet 2018.
M. et Mme E...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions en date du 19 décembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- et les observations de MeA..., substituant MeB..., pour M. et MmeE....
Considérant ce qui suit :
1. M. et MmeE..., ressortissants du Monténégro, sont entrés irrégulièrement en France le 6 novembre 2012. A la suite du rejet de leurs demandes d'asile, le préfet de la Moselle leur a refusé le séjour et les a obligés à quitter le territoire français par des arrêtés du 21 juin 2013 dont le tribunal administratif de Strasbourg, puis la cour administrative d'appel de Nancy ont confirmé la légalité. Les intéressés, qui n'ont pas déféré à ces mesures d'éloignement, ont présenté plusieurs demandes d'admission au séjour en faisant valoir leur état de santé. Ces demandes ont également été rejetées, à trois reprises, les 11 octobre 2013, 25 août et 21 octobre 2016 en ce qui concerne Mme E...et à deux reprises, les 1er mars et 13 septembre 2016 en ce qui concerne M.E.... Le 10 mars 2016, Mme E...a présenté une nouvelle demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tandis que, le 6 juillet 2017, M. E...a sollicité son admission au séjour à titre exceptionnel. Parallèlement à ces demandes, M. et Mme E...ont également sollicité le réexamen de leur demande d'asile. Ces demandes de réexamen ont été rejetées comme irrecevables par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 février 2017, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 31 mai 2017. Par des arrêtés du 28 août 2017, le préfet de la Moselle a refusé de délivrer un titre de séjour aux intéressés, les a obligés à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office.
2. M. et Mme E...relèvent appel, chacun en ce qui le concerne, du jugement du 9 novembre 2017 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité des arrêtés attaqués :
En ce qui concerne les décisions de refus de séjour :
3. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".
4. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ressort des termes même des arrêtés attaqués que, pour se prononcer sur leur admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 précité, le préfet s'est livré à un examen circonstancié des situations de M. et Mme E...tant au titre du travail qu'au titre de leur vie privée et familiale en France.
5. En second lieu, ni la capacité d'intégration alléguée par les requérants, ni les promesses d'embauche dont ils se prévalent - sans, au demeurant, les produire -, ni l'ancienneté de leur séjour en France ne suffisent à établir que leur admission au séjour répond à des considérations humanitaires. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils ont fait valoir, auprès du préfet, des motifs exceptionnels pour justifier leur admission exceptionnelle au séjour. Dans ces conditions, ils ne sont pas fondés à soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs situations au regard des dispositions précitées.
En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les obligations de quitter le territoire français sont illégales du fait de l'illégalité des refus de séjour.
7. En deuxième lieu, il ne ressort ni des arrêtés attaqués, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet s'est cru tenu d'obliger les requérants à quitter le territoire français.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
9. Les requérants font valoir que l'état de santé de M. E...faisait obstacle à son éloignement en application des dispositions précitées et que le préfet n'a pas examiné s'il pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
10. D'une part, ainsi que le relève expressément le préfet dans son arrêté, le médecin de l'agence régionale de santé, dans un avis du 17 février 2016, a indiqué que si l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale, il peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, vers lequel il peut voyager sans risque. Le préfet indique s'être fondé sur cette appréciation pour décider, le 13 septembre 2016, de rejeter la demande de titre de séjour du requérant, qui n'a pas contesté cette décision et ne soutient pas avoir ultérieurement apporté de nouveaux éléments au préfet quant à l'évolution de son état de santé.
11. D'autre part, à supposer même qu'à la date des arrêtés attaqués, l'état de santé de M. E...nécessitait toujours une prise en charge médicale, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé du 17 février 2016, dont le bien-fondé et l'actualité ne sont pas contestés, qu'il ne pouvait pas bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
En ce qui concerne les refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
12. En premier lieu, le préfet a expressément indiqué, dans ses arrêtés, que les requérants se sont soustraits à plusieurs décisions d'éloignement et qu'ils présentent ainsi un risque de fuite justifiant qu'aucun délai ne leur soit accordé sur le fondement du d) du 3° de l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet a ainsi énoncé de manière complète et précise les considérations de droit et de fait sur lesquelles il s'est fondé pour refuser de leur accorder un délai de départ volontaire. Les décisions litigieuses sont ainsi suffisamment motivées.
13. En deuxième lieu, la motivation des décisions litigieuses suffit à vérifier que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation de chacun des requérants.
14. En troisième lieu, il ne ressort ni des termes des arrêtés attaqués, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet s'est estimé en situation de compétence liée pour refuser d'accorder aux requérants un délai de départ volontaire.
15. En quatrième lieu, en se bornant à soutenir que les décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, compte tenu du suivi de M. E...pour ses problèmes de santé, sans assortir cette affirmation de la moindre précision, les requérants ne mettent pas la cour à même d'apprécier la portée de ce moyen.
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination :
16. En premier lieu, les arrêtés attaqués indiquent que les requérants n'établissent pas être exposés à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans leur pays d'origine. Compte tenu du rejet des demandes d'asile présentées par les requérants, et en l'absence de tout élément complémentaire, les décisions en litige sont suffisamment motivées.
17. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
18. M. et Mme E...se réfèrent aux récits présentés dans le cadre de leurs demandes d'asile, mais ils ne les ont pas produits en première instance et n'ont pas jugé utile de réparer en appel cette omission pourtant relevée par le tribunal. Quant aux éléments dont ils font état dans le rappel des faits en introduction de leur requête, ils sont sommaires et non étayés et ne sauraient suffire à établir qu'ils risqueraient d'être exposés à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans leur pays d'origine.
En ce qui concerne les interdictions de retour sur le territoire français :
19. En premier lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
20. Contrairement à ce que font valoir les requérants, le préfet s'est expressément prononcé sur chacun des quatre critères d'appréciation prévus par les dispositions précitées, en particulier celui de la nature et de l'ancienneté de leurs liens avec la France, qui font l'objet d'une analyse circonstanciée dans chacun des arrêtés. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les décisions litigieuses sont insuffisamment motivées.
21. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
22. Les requérants se bornent à faire valoir l'ancienneté de leur séjour en France et le suivi médical dont fait l'objet M.E.... Toutefois, ils ne justifient ni même n'allèguent posséder des attaches privées ou familiales anciennes, stables et intenses en France et ils n'apportent aucun élément concret quant au suivi médical de M.E..., alors que, comme il a été dit au point 11, il ne ressort pas des pièces du dossier que son état de santé, à supposer sa gravité établie, ne peut faire l'objet d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Dans ces conditions, ils ne sont pas fondés à soutenir qu'en leur interdisant de retourner en France pendant une durée d'une année, le préfet a porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte excessive ni qu'il a commis une erreur manifeste d'appréciation.
23. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes. Leurs conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D...E...et Mme C...E...née F...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E..., à Mme C...E...née F...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
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N° 18NC00214