Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 novembre 2017, M. A..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 28 septembre 2017 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 14 septembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une attestation de demande d'asile et un formulaire de demande d'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me B...sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. A...soutient que :
Sur l'arrêté décidant sa remise aux autorités polonaises :
- il a été pris en violation des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 3-2 du règlement (UE) n° 604/2013 compte tenu de l'existence en Pologne de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs ;
- compte tenu des risques qu'il encourt en cas de retour en Pologne, le préfet aurait dû faire application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- l'arrêté décidant sa remise aux autorités polonaises est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur l'arrêté l'assignant à résidence :
- il a été pris par une autorité incompétente ;
- l'illégalité de l'arrêté décidant sa remise aux autorités polonaises emporte l'illégalité de l'arrêté portant assignation à résidence.
La requête a été communiquée au préfet du Bas-Rhin, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par ordonnance du 19 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 22 mai 2018.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 28 novembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Laubriat, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant russe, fait appel du jugement du 28 septembre 2017 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 14 septembre 2017 par lesquels le préfet du Bas-Rhin a, d'une part, décidé sa remise aux autorités polonaises, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur l'arrêté portant remise aux autorités polonaises :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé (...) ". L'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
3. Les dispositions précitées des paragraphes 4 et 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 imposent seulement aux États membres qui examinent une demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur leur territoire de garantir que l'entretien individuel destiné à faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable soit mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer et ne font, en revanche, pas obstacle à ce que l'interprète désigné afin d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel apporte son assistance par l'intermédiaire de moyens de télécommunication.
4. L'entretien individuel de M.A..., prévu à l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, s'est déroulé le 3 août 2017 à la préfecture du Bas-Rhin. Il ressort des pièces du dossier que lors de cet entretien le requérant a bénéficié des services téléphoniques d'un interprète en langue russe, dont l'identité est portée sur le compte-rendu de cet entretien, appartenant à la société ISM interprétariat, qui est agréée par le ministère de l'intérieur et présente donc toutes les garanties de sérieux et de qualité. M. A...n'a fait remarquer à aucun moment de l'entretien qu'il ne comprenait pas ce que lui traduisait l'interprète et a signé le procès-verbal d'entretien sans mentionner d'observations à ce sujet. Dans ces conditions, M. A...n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas bénéficié d'un entretien individuel effectif en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013.
5. En second lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ". L'article 17 du même règlement dispose : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
6. M. A...soutient que s'il venait à être remis aux autorités polonaises, il serait renvoyé en Russie sans que sa demande d'asile soit examinée.
7. Si la Pologne est un Etat membre de l'Union européenne et partie, tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient néanmoins à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Le rapport d'Amnesty international dont se prévaut M.A..., qui se rapporte aux conditions de traitement des demandes d'asile en Pologne en 2016 et 2017, ne suffit pas à établir que la réadmission d'un demandeur d'asile vers ce pays est, par elle-même, constitutive d'une atteinte grave au droit d'asile du fait de l'existence de défaillances systémiques dans l'accueil des demandeurs d'asile. Par ailleurs, si M. A...fait valoir qu'il a été détenu en Pologne dans un camp de rétention pour demandeurs d'asile du 31 octobre au 17 décembre 2015, puis a fait ensuite l'objet de multiples contrôles de police, il ne l'établit pas par les seuls documents qu'il produit, documents rédigés en langue polonaise et non traduits. Au demeurant, il est constant que M. A...a pu déposer une demande d'asile en Pologne en septembre 2016. M. A...n'établit donc pas qu'il existerait un risque sérieux que sa demande d'asile ne soit pas traitée par les autorités polonaises dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 14 septembre 2017 décidant sa remise aux autorités polonaises ferait obstacle à ce que sa demande d'asile soit traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni que le préfet, en ne faisant pas application des dispositions prévues à l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de son arrêté sur sa situation personnelle.
Sur l'arrêté portant assignation à résidence :
8. En premier lieu, par un arrêté du 10 juillet 2017 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet du Bas-Rhin a donné délégation à M. Yves Séguy, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département à l'exception de certaines catégories d'actes au nombre desquelles ne figurent pas les décisions prises en matière de séjour des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 14 septembre 2017 prononçant l'assignation à résidence de M. A...manque en fait et doit être écarté.
9. En second lieu, M. A...n'établissant pas l'illégalité de l'arrêté du 14 septembre 2017 par lequel le préfet du Bas-Rhin a prononcé sa remise aux autorités polonaises, le moyen tiré de ce que l'illégalité de cette décision entraînerait l'illégalité de l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence ne peut être accueilli.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 17NC02675