Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 mars 2018, le préfet du Doubs demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1702162 du 6 mars 2018 du tribunal administratif de Besançon ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... A...devant ce tribunal.
Le préfet soutient que :
- le tribunal a commis une erreur de droit en ne se prononçant pas sur l'admission au séjour de M. A...au regard de son état de santé et en se fondant exclusivement sur son parcours scolaire ;
- il n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2018, M. C... A..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'enjoindre au préfet du Doubs de renouveler le certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " qui lui a été remis à la suite du jugement du tribunal ; subsidiairement, dans l'hypothèse où l'annulation du refus de séjour ne serait pas confirmée, de lui enjoindre de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à renouveler dans l'attente du réexamen de son droit au séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. A...soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable car elle n'est pas signée par le préfet, mais par le secrétaire général de la préfecture, dont l'habilitation à cette fin n'est pas établie ;
- aucun des moyens soulevés par le préfet n'est fondé.
Le 20 août 2018, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal par M.A....
L'instruction a été close le 4 septembre 2018.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 17 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Rees, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., ressortissant algérien né le 28 septembre 1998, est entré régulièrement en France le 15 octobre 2010 sous couvert d'un visa de court séjour. Le 8 septembre 2016, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en faisant valoir ses attaches privées et familiales en France ainsi que son état de santé. Par un arrêté du 16 août 2017, le préfet du Doubs a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office à l'expiration de ce délai.
2. Le préfet du Doubs relève appel du jugement du 6 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Besançon a annulé cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. / Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ".
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A...est entré en France en 2010 peu après son douzième anniversaire, et qu'il y résidait depuis près de sept années à la date de l'arrêté attaqué, sans être retourné en Algérie dans l'intervalle. Confié au service de l'aide sociale à l'enfance du Doubs à partir du 26 avril 2014 dans un contexte de rupture conflictuelle avec ses parents, il y a poursuivi avec sérieux et succès un projet de formation scolaire et professionnelle, en dépit de graves troubles psychiatriques pour lesquels, depuis l'âge de 14 ans, il est suivi par une équipe pluridisciplinaire avec laquelle il a noué une relation de confiance. Dans ces conditions, compte tenu de la durée de sa résidence en France, de l'âge auquel il a quitté l'Algérie et de son intégration dans la société française, et bien qu'il ne soit pas dépourvu de tout lien dans son pays d'origine et que sa mère fasse, par ailleurs, l'objet d'une mesure d'éloignement, le refus du préfet de lui délivrer un titre de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de ce refus.
6. Dès lors, le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision de refus de séjour et, par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination, le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de ce qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précité.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par M.A..., que le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté attaqué. Dès lors, ses conclusions à fin d'annulation ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
8. En l'absence de tout litige relatif à un éventuel refus de renouvellement du certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " remis à M. A...en exécution du jugement du tribunal, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit ordonné au préfet du Doubs de procéder au renouvellement de ce titre de séjour s'analysent comme tendant au prononcé d'une injonction à titre principal. Par suite, elles sont irrecevables.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 17 avril 2018. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B... de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Doubs est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
2
N° 18NC00749