Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2019, le préfet de l'Aube demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 octobre 2019.
Il soutient que :
- le défaut d'examen particulier de la situation de Mme A... n'est pas établi dès lors qu'il avait précisément fait référence à sa situation dans la décision contestée ;
- Mme A... ne justifie pas que ses enfants seraient dans l'impossibilité de poursuivre leur scolarité en Angola ;
- la scolarisation des enfants de l'intéressée pendant une période de six ans n'a été rendue possible que par le non-respect de la procédure Dublin diligentée à son encontre et la non-exécution de la mesure d'éloignement.
La requête a été communiquée à Mme A... qui n'a pas produit de défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., de nationalité angolaise, née le 27 novembre 1969, est entrée en France, selon ses déclarations, le 6 mars 2015, pour y rejoindre ses trois enfants mineurs, entrés sur le territoire français le 11 janvier 2013. Le 4 mai 2015, elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du système Visabio a révélé qu'elle avait été titulaire d'un visa délivré par les autorités allemandes, valable du 14 novembre 2014 au 6 décembre 2014. La demande de prise en charge faite par le préfet de l'Aube auprès des autorités allemandes a été acceptée le 30 juin 2015. Le 2 septembre 2015, elle a été destinataire d'un arrêté de réadmission auprès des autorités allemandes et d'un courrier l'informant que le délai de transfert était porté à dix-huit mois en raison de son absence aux convocations en préfecture. Le transfert vers l'Allemagne de Mme A... n'a pas pu être réalisé dans ce nouveau délai. Le 11 avril 2017, elle a renouvelé sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile sur le territoire français. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par une décision du 14 mars 2018, confirmée le 5 octobre 2018 par la cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 17 juillet 2019, le préfet de l'Aube a constaté qu'elle n'avait plus le droit de se maintenir sur le territoire français et l'a obligée à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a octroyé un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de l'Aube relève appel du jugement du 23 octobre 2019 par lequel le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :
2. Pour annuler l'arrêté contesté, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a relevé que les trois enfants mineurs de Mme A... comptaient, à la date d'édiction de la décision attaquée, une durée de présence et de scolarisation de plus de six ans sur le territoire français et qu'ils étaient alors âgés respectivement de 17 ans, 14 ans et 11 ans. Il a considéré que l'arrêté attaqué aurait pour effet de mettre fin à leur scolarité en France et que, même s'il n'est pas établi qu'ils ne pourraient la reprendre en Angola, ce serait dans des conditions nécessairement très différentes. Le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ainsi estimé qu'en prenant l'arrêté en litige, le préfet avait porté atteinte à l'intérêt supérieur des enfants mineurs de Mme A..., garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
3. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
4. Il ressort des pièces du dossier que les trois enfants de Mme A..., Sergio né en 2002, Armando né en 2005 et Alberto né en 2008, sont entrés en France en janvier 2013 et sont depuis mars 2013 régulièrement scolarisés sur le territoire français. Toutefois et comme le fait valoir le préfet de l'Aube, la durée de cette scolarisation n'a été rendue possible que par le non-respect, par Mme A..., de la procédure de transfert, visée au point 1 du présent arrêt, diligentée à son encontre puis par l'instruction de sa demande d'asile devant l'OFPRA et la CNDA. Ces éléments ne suffisent pas à caractériser une atteinte à l'intérêt supérieur des enfants de l'intéressée dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ces derniers ne pourraient pas poursuivre leur scolarité en Angola. Le préfet fait d'ailleurs valoir à ce titre, sans être contesté en l'absence de défense, d'une part, que la constitution de la République d'Angola mentionne dans ses articles 21 et 79 l'accès de tous à l'enseignement et que d'autre part, le centre international d'études pédagogiques l'a informé que des " investissements structurels considérables ont été faits dans tous les secteurs en Angola, et notamment dans ceux de l'éducation et de l'enseignement supérieur, appuyés par l'Union européenne, l'Unesco et la Banque mondiale ". Dans ces conditions, rien ne fait obstacle à ce que Mme A... retourne dans son pays d'origine sans qu'il ne soit porté une atteinte aux droits de ses enfants tels que protégés par les stipulations précitées. Par suite, le préfet de l'Aube est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 17 juillet 2019 au motif d'une violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant qui protègent l'intérêt supérieur des enfants.
5. Il appartient à la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme A....
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté contesté en tant qu'il refuse de reconnaître le droit de Mme A... de se maintenir sur le territoire français :
6. Lorsque le préfet se borne dans l'arrêté obligeant un étranger demandeur d'asile à quitter le territoire français, y compris dans le dispositif de cet arrêté, à constater au préalable que l'intéressé s'étant vu refuser le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, ne dispose plus du droit de se maintenir sur le territoire français, une telle constatation qui ne traduit que l'appréciation, par le préfet, de la réunion des conditions prévues par les dispositions applicables pour décider une obligation de quitter le territoire français, ne revêt en elle-même aucun caractère décisoire et n'est donc pas susceptible de faire l'objet de conclusions tendant à son annulation indépendamment de l'obligation de quitter le territoire français qui en procède. Il appartient, par suite, au juge administratif, s'il est saisi de conclusions dirigées contre l'arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français en tant qu'il formaliserait une telle constatation, de les déclarer irrecevables et de regarder les moyens dont elles sont assorties comme dirigées contre l'obligation de quitter le territoire elle-même.
7. Il est en l'espèce constant qu'après avoir relevé que Mme A... n'avait pu obtenir le statut de réfugié, le préfet de l'Aube s'est borné, à l'article 1er de l'arrêté contesté, à constater que l'intéressée ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire français. Le préfet n'a donc pas, ce faisant, pris une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir distincte de l'obligation de quitter le territoire français qui a procédé de cette constatation. Par suite, les conclusions dirigées contre de telles constatations ne sont pas recevables.
Sur les autres moyens de première instance :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
8. En premier lieu, la décision contestée comporte, de manière suffisamment précise, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Dans ces conditions, le moyen tiré d'une motivation insuffisante doit être écarté.
9. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la " décision de refus du droit de se maintenir sur le territoire français ".
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Il est constant que Mme A... est arrivée en France, selon ses déclarations en mars 2015, âgée de quarante-six ans et qu'elle séjourne depuis cette date sur le territoire français en raison du non-respect de la décision de transfert vers l'Allemagne prise à son encontre en 2015 puis de l'instruction de sa demande d'asile devant l'OFPRA et la CNDA. Par suite, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour sur le territoire français, la requérante, qui ne produit aucune pièce attestant d'une particulière intégration en France et ne justifie pas être dépourvue d'attaches familiales en Angola, n'établit pas avoir transféré en France le centre de ses intérêts personnels et familiaux. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
13. Si Mme A... soutient craindre un retour en Angola en raison des menaces qui pèseraient sur sa vie et sa liberté, elle ne produit toutefois aucun élément permettant d'établir la réalité et l'actualité des risques allégués en cas de retour dans ce pays. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit être annulé et que la demande de première instance présentée par Mme A... doit être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1901956 du 23 octobre 2019 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : La demande de première instance présentée par Mme A... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C... A....
Copie pour information en sera délivrée au préfet de l'Aube.
N° 19NC03268 2