Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2019, M. E... A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2014, et des pénalités correspondantes ;
2°) de prononcer la décharge de cette imposition et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- les mécanismes de l'article 150 0 D bis du code général des impôts instituent un report de paiement et non un report d'imposition ;
- en l'absence de réinvestissement de 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, la plus-value doit être taxée selon les modalités de l'année de sa réalisation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 du Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant M. E... A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a réalisé en 2011 des plus-values de cession de droits sociaux d'un montant de 2 430 690 euros, dont 2 093 533 euros ont été placés en report d'imposition sous condition de remploi de 80 % du montant de la plus-value net de prélèvements sociaux dans un délai de trente-six mois, en application de l'article 150-0 D bis du code général des impôts. Au titre des revenus de l'année 2014, M. A... a déclaré une plus-value imposable de 314 033 euros en l'absence de réinvestissement au terme du délai de trente-six mois. Par proposition de rectification du 22 septembre 2015, à l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration a considéré que la totalité de la plus-value encore en report était imposable et lui a notifié dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu correspondant à la somme de 1 779 520 euros imposée au barème progressif de l'impôt sur le revenu. M. A... relève appel du jugement du 14 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2014, et des pénalités correspondantes.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Aux termes de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 80 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances pour 2012 : " I.-1. L'imposition de la plus-value retirée de la cession à titre onéreux d'actions ou de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts peut être reportée si les conditions prévues au II du présent article sont remplies. / Le report est subordonné à la condition que le contribuable en fasse la demande et déclare le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170 (...) / 3° Le report d'imposition est, en outre, subordonné au respect des conditions suivantes : / a) Le produit de la cession des titres ou droits doit être investi, dans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société ; (...) / III.- (...) Le non-respect de l'une des conditions prévues au II du présent article entraîne l'exigibilité immédiate de l'impôt sur la plus-value, sans préjudice de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727, décompté de la date à laquelle cet impôt aurait dû être acquitté. (...) / III bis- Lorsque les titres ayant fait l'objet de l'apport prévu au a du 3° du II sont détenus depuis plus de cinq ans, la plus-value en report d'imposition est définitivement exonérée ". En vertu de l'article 1er de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances pour 2012, ces dispositions s'appliquent à l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 2011. Ces dispositions ont été abrogées à compter du 1er janvier 2014 par l'article 17 de la loi n°2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014. Aux termes des dispositions du 2 ter. a. de l'article 200 A du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1918 du 29 décembre 2016 dont se prévaut le requérant : " Les plus-values mentionnées au I de l'article 150-0 B ter sont imposables à l'impôt sur le revenu au taux égal au rapport entre les deux termes suivants : - le numérateur, constitué par le résultat de la différence entre, d'une part, le montant de l'impôt qui aurait résulté, au titre de l'année de l'apport, de l'application de l'article 197 à la somme de l'ensemble des plus-values mentionnées au premier alinéa du présent a ainsi que des revenus imposés au titre de la même année dans les conditions de ce même article 197 et, d'autre part, le montant de l'impôt dû au titre de cette même année et établi dans les conditions dudit article 197 ; - le dénominateur, constitué par l'ensemble des plus-values mentionnées au premier alinéa du présent a retenues au deuxième alinéa du présent a. / Pour la détermination du taux mentionné au premier alinéa du présent a, les plus-values mentionnées au même premier alinéa sont, le cas échéant, réduites du seul abattement mentionné au 1 de l'article 150-0 D. /Par dérogation, le taux applicable aux plus-values résultant d'opérations d'apport réalisées entre le 14 novembre et le 31 décembre 2012 est déterminé conformément au A du IV de l'article 10 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013. / Les plus-values mentionnées au premier alinéa du présent a auxquelles l'article 244 bis B est applicable sont imposables au taux prévu au même article 244 bis B, dans sa rédaction applicable à la date de l'apport. "
3. Il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du 22 septembre 2015 que par déclaration rectificative du 16 avril 2013, corrigeant une omission déclarative, M. A... a déclaré un gain net de 2 430 690 euros résultant de cessions de titre de plusieurs sociétés réalisées en 2011. Il a mentionné une plus-value en report d'imposition de 2 093 553 euros. Au titre de l'année 2014, M. A... a déclaré une plus-value de cession de 314 033 euros dont le report a expiré en 2014 et a mentionné un report d'imposition à hauteur de 1 779 520 euros. A la suite d'une demande de renseignements adressée à M. A... le 1er octobre 2014 relatives aux modalités de réinvestissement de la plus-value de cession placée en report d'imposition, l'intéressé a informé l'administration que les opérations de réemploi n'ont pu être réalisées dans les délais impartis à hauteur de la somme de 1 779 520 euros. Constatant qu'au 8 juillet et au 28 août 2014, M. A... n'avait pas réinvesti les sommes de 45 155 euros et 1 403 584 euros, correspondant à 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, résultant des cessions de titres des 28 août et 7 juillet 2011, l'administration a considéré que le non-respect de cette condition entraînait l'exigibilité immédiate de l'impôt sur le revenu sur la somme de 1 779 520 euros. La somme a été imposée dans les conditions du 2° du A de l'article 200 du code général des impôts selon les modalités applicables au titre des revenus de l'année 2014. En application de la décision du Conseil Constitutionnel du 22 avril 2016 (QPC n° 2016-538), par courrier du 10 juin 2016, le ministre a appliqué un coefficient d'érosion monétaire sur le prix d'acquisition des titres et a substitué la majoration de 10 % prévue à l'article 1758 A du code général des impôts à la majoration de 40 % pour manquement délibéré.
4. D'une part, il résulte des dispositions précitées de l'article 150-0 D bis du code général des impôts que le législateur a entendu inciter les détenteurs de capital à apporter des fonds propres à des petites et moyennes entreprises par un dispositif optionnel de report d'imposition, en leur accordant un délai de réinvestissement suffisant, indépendamment de la date de cession des titres. Le report de l'imposition de la plus-value réalisée étant possible sur demande du contribuable, ce dernier doit être regardé comme ayant accepté les conséquences du rattachement de cette plus-value à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition. L'intervention de cet événement, constitué par l'absence de réinvestissement, qui ne pouvait être déterminé par avance au moment où M. A... a décidé le report d'imposition des plus-values réalisées en 2011, entraîne la naissance de la créance du Trésor en 2014. La circonstance que la condition de réinvestissement n'a pas été remplie par le contribuable dans le délai requis ne saurait faire disparaître rétroactivement l'option exercée par le requérant qui s'était engagé à respecter cette condition afin d'obtenir en contrepartie le report de l'imposition des plus-values. Le requérant ne peut se prévaloir de la réserve d'interprétation précisée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 relative aux règles d'imposition applicables lorsque le report d'imposition d'une plus-value est de plein droit, sans option du contribuable, dès lors que le régime de l'article 150-0 D bis est optionnel. Dans ce dernier cas, il ressort de cette même décision que l'imposition de la plus-value peut être calculée selon le taux applicable l'année de l'événement qui met fin au report d'imposition. Par conséquent, contrairement à ce que soutient le requérant, si le montant de la plus-value est calculé en appliquant les règles d'assiette en vigueur l'année de sa réalisation, en 2011 en l'espèce, la plus-value en report d'imposition doit être imposée au titre de l'année au cours de laquelle il est devenu certain que la condition de réinvestissement du produit de la cession des titres dans le délai imparti de trente-six mois prévues au II de l'article 150-0 D bis du code général des impôts ne pouvait être remplie, soit, en l'espèce, l'année 2014. L'imposition au barème de l'impôt sur le revenu, qui constitue une règle de calcul de l'impôt, s'applique ainsi au montant de la plus-value encore placé en report en 2014. Par ailleurs, M. A... n'est pas fondé à invoquer la disposition du III de l'article 150-0 D bis selon laquelle l'intérêt de retard est décompté de la date à laquelle l'impôt aurait dû être acquitté, dès lors que ces dispositions ont pour seul objet de réparer le préjudice subi par le Trésor à raison du non-respect par le contribuable de son engagement à réinvestir les gains de cession dans les conditions du II en contrepartie du bénéfice du report d'imposition. Ces dispositions n'impliquent donc nullement que la plus-value en report doive être imposée au titre de l'année de cession des titres en cas de non-respect de l'une des conditions légales susmentionnées.
5. D'autre part, il ne peut non plus utilement se prévaloir des règles de report d'imposition de l'article 150-0 B ter, qui ne concernent que les reports d'imposition des plus-values en cas d'apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant dans une société contrôlée par le contribuable, dispositif distinct de l'article 150-0 B bis.
6. Enfin, M A... soutient que les plus-values qu'il a réalisées les 28 août et 7 juillet 2011 doivent être taxées au taux proportionnel de 19 % au motif que le législateur a donné un effet rétroactif aux dispositions précitées du 2 ter. a. de l'article 200 A du code général des impôts. Cependant, les règles d'imposition prévues par le 2 ter. a. de l'article 200 A du code général des impôts ne sont applicables qu'aux plus-values mentionnées au I de l'article 150-0 B ter, dont le régime diffère de celui de l'article 150-0 B bis comme il a été dit précédemment. Par suite, M. A... ne peut utilement se prévaloir des règles d'imposition prévues par le 2 ter. a. de l'article 200 A du code général des impôts et de leur rétroactivité.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est par suite pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 150-0 D bis auraient institué un report de paiement de l'imposition et non un report d'imposition et à demander l'imposition au taux proportionnel de 19 % en vigueur à la date du fait générateur de la plus-value intervenu en l'occurrence en 2011.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
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N° 19NC03562