Procédure devant la cour :
Par une requête, un mémoire et des pièces, enregistrés les 3 avril, 7 et 11 mai, 22, et 26 juin 2020, Mme C... A..., représentée par B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 9 décembre 2019 par lesquels le préfet du Doubs a décidé son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence ;
2°) d'annuler ces arrêtés du 9 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs, à titre principal, de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de huit jours à compter de ce même arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les éléments du dossier s'opposent à un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation ;
Sur l'arrêté portant remise aux autorités italiennes :
- il méconnaît les dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la demande de prise en charge adressée par le préfet aux autorités italiennes ne prend pas en compte son troisième enfant, né postérieurement à cette saisine ce qui fait obstacle au transfert de la famille ;
- le préfet n'établit pas que son transfert en Italie lui permette de bénéficier des soins dont elle a besoin des suites de la naissance de son troisième enfant, conformément aux stipulations de l'article 21 de la directive " Accueil " n°2013/33/UE du 26 juin 2013 ;
- la décision méconnait l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de l'épidémie de covid-19 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ne faisant pas application de l'article 17 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 ;
Sur l'arrêté l'assignant à résidence :
- il est illégal par voie de conséquence de l'illégalité entachant l'arrêté la remettant aux autorités italiennes ;
- son transfert ne présente pas une perspective raisonnable en raison de la fermeture des aéroports liée à l'épidémie de covid-19, ce qui est une condition posée par l'article L. 561-2 I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une lettre du 23 juin 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la formation de jugement est susceptible de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert attaquée en raison de l'expiration du délai de six mois défini à l'article 29 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013.
Par une lettre, enregistrée le 23 juin 2020, le préfet du Doubs a produit des observations en réponse à ce moyen relevé d'office selon lesquelles la requérante a été déclarée en fuite.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 avril 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive " Accueil " n°2013/33/UE du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A..., née en 1982 et de nationalité bangladaise, serait entrée irrégulièrement en France en juillet 2019 selon ses déclarations accompagnée de ses deux enfants mineurs. Le 25 juillet 2019, elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. A la suite de la consultation de la base de données Visabio, les services de la préfecture ont eu connaissance que l'intéressée s'était vu délivrer par les autorités italiennes un visa de court séjour valable du 23 juin au 6 août 2019. Les autorités italiennes ont été saisies d'une demande de prise en charge de l'intéressée, qui ont accepté par accord implicite du 9 novembre 2019. Par arrêtés du 9 décembre 2019, le préfet du Doubs a décidé son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence. Mme A..., qui a par ailleurs été déclarée en fuite par le préfet, relève appel du jugement du 20 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés du 9 décembre 2019.
Sur la légalité de l'arrêté portant remise aux autorités italiennes :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
3. La clause dérogatoire, prévue à l'article 17 précité, laisse la faculté discrétionnaire à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a donné naissance en France à son troisième enfant moins de deux mois avant la décision de prononcer son transfert aux autorités italiennes. L'accouchement par césarienne a nécessité des soins de suite qui se sont prolongés durant six mois. Par ailleurs, l'intéressée est seule avec ses trois enfants, son mari étant resté au Bangladesh. Dans ces circonstances particulières, eu égard à l'âge du nourrisson et aux suites de l'accouchement, l'intéressée est fondée à soutenir qu'en décidant de la remettre aux autorités italiennes sans mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet a entaché son arrêté de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 2019 prononçant son transfert vers l'Italie, et par voie de conséquence, de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
5. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de Mme A... vers l'Italie, cette annulation implique nécessairement que les autorités françaises soient responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par suite, sous réserve de changement de circonstances de fait et de droit, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer, le temps de cet examen, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 7411 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me B..., avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B... de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1902194 du tribunal administratif de Besançon du 20 décembre 2019 et les arrêtés du préfet du Doubs du 9 décembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve de changement de circonstances de fait et de droit.
Article 3 : L'Etat versera à Me B... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Doubs.
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N° 20NC00874