Procédure devant la cour :
I.) Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n°21NC01655, les 7 juin et 9 septembre 2021, le préfet du Doubs demande à la cour de prononcer sur le fondement des articles R. 811-15 et suivants du code de justice administrative le sursis à l'exécution de ce jugement du 31 mai 2021.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'arrêté du 20 mai 2021 portant transfert aux autorités italiennes était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le tribunal ne pouvait pas l'enjoindre à délivrer une attestation de demande d'asile dès lors que l'article L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'il est mis fin aux mesures de surveillance et qu'il est statué de nouveau sur le cas de l'intéressé.
II.) Par une requête, enregistrée sous le n°21NC01656, le 7 juin 2021, le préfet du Doubs demande à la cour d'annuler ce jugement du 31 mai 2021.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'arrêté du 20 mai 2021 portant transfert aux autorités italiennes était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le tribunal ne pouvait pas l'enjoindre à délivrer une attestation de demande d'asile dès lors que l'article L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'il est mis fin aux mesures de surveillance et qu'il est statué de nouveau sur le cas de l'intéressé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2021, Mme B... A... représentée par Me Dravigny, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet du Doubs ne sont pas fondés
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 août 2021.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lambing a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née en 2002 et de nationalité ivoirienne, serait entrée irrégulièrement en France en octobre 2020. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Lors de la comparaison de ses empreintes dans le fichier Eurodac, le préfet du Doubs a eu connaissance de l'identification de Mme A... en Italie le 4 juin 2020. Le préfet du Doubs a saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de l'intéressée, qui a été tacitement acceptée le 1er mars 2021. Les autorités italiennes en ont été informées le 10 mars 2021. Par arrêté du 20 mai 2021, le préfet du Doubs a pris un arrêté portant remise de Mme A... aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile. Par arrêté du même jour, le préfet du Doubs l'a assignée à résidence dans ce département pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 31 mai 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé les arrêtés du 20 mai 2021 et a enjoint au préfet du Doubs de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement. Le préfet du Doubs relève appel de ce jugement du 31 mai 2021 et demande qu'il soit sursis à son exécution par deux requêtes, enregistrées respectivement sous les n°s 21NC01656 et 21NC01655, qu'il y a lieu de joindre.
Sur la requête n°21NC01656 :
En ce qui concerne la légalité de la décision de transfert :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 6 du même règlement : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement.(...) ".
3. La clause dérogatoire, prévue à l'article 17 précité, laisse la faculté discrétionnaire à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a donné naissance en France à son premier enfant deux mois avant la décision de prononcer son transfert aux autorités italiennes. Le père de l'enfant, résidant irrégulièrement en France depuis le 20 février 2019, a déclaré, lors d'un entretien en préfecture en mai 2021, concomitant à la décision attaquée, ne pas avoir conservé de lien avec sa fille et la mère de son enfant. Mme A... apparaît donc en l'état des pièces du dossier comme étant, à la date de la décision attaquée, isolée avec son nourrisson de deux mois. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, le préfet du Doubs a, comme l'a jugé le tribunal, commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant de la remettre aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, sans mettre en œuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
En ce qui concerne l'injonction prononcée par le tribunal administratif :
5. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ". L'article L. 911-1 du code de justice administrative énonce que : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
6. Le préfet se prévaut des termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile pour soutenir que le tribunal administratif ne pouvait lui enjoindre d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... en France.
7. Les dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la mise en œuvre, par le juge, des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Selon ces dispositions, lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction prescrit, par cette même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution.
8. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de Mme A... vers l'Italie retenu par le premier juge, le jugement de première instance impliquait nécessairement que les autorités françaises se reconnaissent responsables de l'examen de sa demande d'asile et qu'ainsi Mme A... soit autorisée à enregistrer sa demande d'asile en France.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Besançon a annulé ses arrêtés du 20 mai 2021 et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme A....
Sur la requête n°21NC01655 :
10. Le présent arrêt se prononçant sur la requête au fond ci-dessus visée sous le numéro 21NC01656, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête ci-dessus visée sous le numéro 21NC01655 du préfet du Doubs tendant au sursis à exécution du jugement attaqué.
Sur les frais de l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Dravigny, avocate de Mme A... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Dravigny renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête ci-dessus visée sous le numéro 21NC01655.
Article 2 : La requête n°21NC01656 du préfet du Doubs est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à Me Dravigny la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... A....
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Doubs.
2
N° 21NC01655, 21NC01656