Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 mars 2019, M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 10 janvier 2019 ;
3°) d'enjoindre à titre principal au préfet du Doubs de lui délivrer une attestation de demande d'asile lui permettant de saisir l'office français de protection des réfugiés et des apatrides dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt, subsidiairement de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet n'a pas justifié que les autorités italiennes auraient été rendues destinataires de sa demande de réadmission de M. E... ;
- l'Italie connaît des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile et il fait l'objet dans ce pays d'une interdiction de retour d'une durée de cinq ans qui n'a pas été retirée, de sorte que le préfet ne pouvait sans violer les articles 3.2 et 17.1 du règlement Dublin ordonner son transfert vers ce pays.
Par lettre du 14 mai 2019, les parties ont été informées que la Cour était susceptible de fonder son arrêt sur un moyen d'ordre public.
Par un mémoire enregistré le 20 mai 2019 le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert est toujours susceptible d'être exécuté puisque M. E... est en fuite ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nancy du 7 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... E..., ressortissant burkinabé, né le 21 août 1984, est entré pour la première fois en France le 23 novembre 2018. Il a demandé l'asile politique le 7 décembre 2018. La consultation du fichier Eurodac a fait apparaître que M. E... avait déposé une demande d'asile en Italie le 23 juin 2014. Les documents qu'il produit montrent que sa demande d'asile en Italie a été définitivement rejetée le 16 novembre 2018. En application de l'article 24 du règlement n° 604/2013 ci-dessus visé, le préfet du Doubs a saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge du requérant. Se fondant sur leur accord implicite, le préfet du Doubs, par les arrêtés attaqués du 10 janvier 2019, a décidé, d'une part, de remettre le requérant aux autorités italiennes responsables de son éloignement du territoire Schengen et, d'autre part, de l'assigner à résidence. M. E... a vainement demandé l'annulation de ces arrêtés au tribunal administratif de Besançon. M. E... relève appel du jugement du 1er février 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.
2. D'abord, l'article 29 du règlement UE n° 604/213 du 26 juin 2013 ci-dessus visé dispose que : " 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ". Le préfet du Doubs justifie que M. E... se trouve en fuite et que ses services ont déclaré cette situation à l'Italie le 26 mars 2019. Par suite, le préfet du Doubs est fondé à soutenir que l'exécution de son arrêté portant transfert de M. E... aux autorités italiennes est toujours possible, le délai de dix-huit mois prévu par les dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 n'étant pas expiré. Dès lors, la requête d'appel de M. E... n'est pas dépourvue d'objet et il y a lieu de statuer sur ses conclusions.
3. Ensuite, d'une part, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. /3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Il résulte de ces dispositions que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse. D'autre part, aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 "1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ". Aux termes de l'article 23 du même règlement : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) no 603/2013 (...) ". Aux termes enfin de l'article 24 du même règlement : " (...) 4. Lorsqu'une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point d), du présent règlement dont la demande de protection internationale a été rejetée par une décision définitive dans un État membre, se trouve sur le territoire d'un autre État membre sans titre de séjour, ce dernier État membre peut soit requérir le premier État membre aux fins de reprise en charge de la personne concernée soit engager une procédure de retour conformément à la directive 2008/115/CE (...) ". Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'accusé de réception électronique émanant de la cellule française chargée du réseau de communication électronique " DubliNet " du 11 décembre 2018 ( frdub@nap01.fr.dub.testa.eu) et du formulaire de demande de prise en charge, puis du courriel du 26 décembre 2018 de constat d'un accord implicite, dont la cellule française a accusé réception le même jour, que les autorités italiennes ont été effectivement saisies par le préfet du Doubs d'une demande visant à la reprise en charge de M. E... pour son éloignement de l'espace Schengen, sa demande d'asile ayant été définitivement rejetée dans ce pays. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait entachée d'erreur de fait, faute de toute demande de reprise en charge parvenue aux autorités italiennes.
4. Enfin, aux termes du 2. de l'article 3 " Accès à la procédure d'examen d'une demande de protection internationale " du règlement du 26 juin 2013 susvisé : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ". Selon l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ". Le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. Conformément au règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, notamment son article 17.1, et à l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les autorités françaises ont la faculté d'examiner une demande d'asile, même si cet examen relève normalement de la compétence d'un autre Etat et il appartient, en particulier, à ces autorités, sous le contrôle du juge, de faire usage de cette faculté, lorsque les règles et les modalités en vertu desquelles un autre Etat examine les demandes d'asile méconnaissent les règles ou principes que le droit international et interne garantit aux demandeurs d'asile et aux réfugiés. L'Italie est membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
5. Les différents rapports d'organisations humanitaires dont se prévaut le requérant, qui ne fait par ailleurs pas état de procédures en manquement qui auraient été engagées à raison de l'absence de conformité de la législation italienne en matière d'asile au regard du droit de l'Union européenne, ne permettent pas d'établir qu'il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et il n'est pas non plus établi par les pièces versées que le requérant aurait fait l'objet d'un tel traitement lors de l'examen de sa demande d'asile en Italie. Enfin, la circonstance que les autorités italiennes aient pris à l'encontre du requérant le 16 novembre 2018 un " arrêté d'expulsion " valant interdiction de retour en Italie et dans l'espace Schengen durant cinq ans n'est que la conséquence logique du refus définitif de sa demande d'asile en Italie, ce dernier ayant épuisé toutes les voies de recours et ne détenant pas le droit de former autant de demandes d'asile que nécessaires dans d'autres Etats de l'espace Schengen jusqu'à obtenir ce qu'il demande. Il paraît également utile de rappeler que la France a été reconnue comme connaissant des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile par plusieurs juridictions d'autres états membres. L'arrêté d'expulsion italien pris à l'encontre de M. E... ne fait pas obstacle à sa reprise en charge par l'Italie qui pourra ainsi mettre en oeuvre son éloignement de l'espace Schengen, éloignement auquel il a entendu délibérément se soustraire en venant former une nouvelle demande d'asile en France à compter du 23 novembre 2018. Par suite, le requérant ne peut se prévaloir d'aucun motif exceptionnel ou d'aucune circonstance humanitaire de nature à justifier l'examen à titre dérogatoire par la France de sa demande de protection internationale en application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. L'exécution des mesures de transfert litigieuses ne peut ainsi être regardée comme méconnaissant ni les dispositions précitées des articles 3 et 17 du règlement (UE) nº 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ni l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du préfet du Doubs du 10 janvier 2019. Par suite, sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Doubs.
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N° 19NC00874