Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées les 6 septembre 2019 et 14 décembre 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour d'annuler ce jugement du 29 juillet 2019.
Il soutient que :
- eu égard à la gravité des déclarations mensongères de M. A... et de leur caractère récurrent au cours de son parcours en France, c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'arrêté attaqué était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 décembre 2020 et 5 janvier 2021, M D... A... représenté par Me B... conclut à titre principal au non-lieu à statuer, et à titre subsidiaire, au rejet de la requête. Il demande en outre de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en lui délivrant un titre de séjour le 3 décembre 2019, le préfet a implicitement mais nécessairement abrogé l'obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de retour prononcées à son encontre ; il n'y a donc plus lieu de statuer sur la requête du préfet ;
- les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 février 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né en 1999 et se présentant comme étant de nationalité sénégalaise, serait entré irrégulièrement en France en avril 2015 selon ses déclarations. En se prévalant de sa qualité de mineur isolé, il a obtenu une prise en charge auprès de l'aide sociale à l'enfance en présentant un acte de naissance mauritanien qui s'est révélé être un faux. Il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile en mars 2017. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 août 2017. En novembre 2017, M. A... a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en produisant à nouveau l'acte de naissance mauritanien. Sa demande a été déclarée irrecevable. Par arrêté du 25 avril 2018, un refus de titre de séjour lui a été notifié. Le 22 juillet 2019, il a été convoqué par les services de police aux frontières afin d'être entendu sur les faits de faux et usages de faux. Par arrêté du 23 juillet 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du 29 juillet 2019 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 23 juillet 2019 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour.
Sur les conclusions à fin de non-lieu à statuer présentées par M. A... :
2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du recours dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. Dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué, cette circonstance prive d'objet le recours formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive.
3. En défense, M. A... fait valoir que postérieurement aux décisions et au jugement attaqués, par décision du 3 décembre 2019, le préfet l'a informé de sa décision de lui délivrer une carte de séjour temporaire, abrogeant selon lui les décisions du 23 juillet 2019, l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Une carte de séjour temporaire lui a été effectivement délivrée le 2 janvier 2020. Cependant, il ressort des termes mêmes de la décision du 3 décembre 2019 que le préfet a décidé la délivrance d'une carte de séjour temporaire d'une durée d'un an dans le seul but d'assurer l'exécution du jugement attaqué du 29 juillet 2019. Dans ces conditions, l'intervention de ce titre de séjour, valable jusqu'au 1er janvier 2021, ne rend pas sans objet le recours du préfet contre le jugement du 29 juillet 2019. Par suite, les conclusions à fin d'annulation des décisions attaquées n'ont pas perdu leur objet.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
4. Pour annuler l'arrêté du 23 juillet 2019, tribunal administratif de Nancy a considéré que l'arrêté attaqué était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur la situation personnelle de M. A... eu égard à ses efforts particuliers d'intégration et aux attaches familiales et sociales qu'il a nouées en France. Le préfet soutient qu'en raison de la gravité des déclarations mensongères de M. A... et de leur caractère récurrent au cours de son parcours en France, c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté.
5. Lorsqu'il a été révélé qu'un étranger a fait usage de faux documents administratifs, il ne découle pas nécessairement de telles constatations que l'ensemble des actes accomplis sous l'identité ainsi usurpée doivent être regardés comme accomplis par l'étranger qui s'est rendu coupable de cette usurpation. Il incombe au juge administratif, pour apprécier la réalité du séjour de l'étranger et la consistance de ses liens personnels et familiaux, d'apprécier l'ensemble des pièces produites par l'intéressé, en tenant compte de la nature particulière des documents produits sous couvert d'une usurpation d'identité.
6. Il ressort des pièces du dossier que la présence de M. A... en France est établie depuis le 21 décembre 2015, date à laquelle il a fait l'objet d'un signalement en tant que mineur isolé et a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Il s'est investi avec sérieux dans ses études en obtenant son baccalauréat série scientifique en juin 2018. Il a poursuivi son cursus en BTS au cours de l'année universitaire 2018/2019, où ses résultats scolaires sont excellents et son implication est remarquée par ses professeurs, obtenant d'ailleurs la note la plus haute de la classe dans plusieurs matières. Il a des attaches familiales en France où vivent de manière régulière en France son frère et sa belle-soeur, qui l'ont d'ailleurs hébergé lors de son arrivée sur le territoire français. S'il est constant que M. A... a usurpé son identité à plusieurs reprises, en réitérant notamment la production d'un acte de naissance mauritanien pour lequel les services de la préfecture l'avaient déjà informé de son caractère frauduleux, afin de bénéficier indûment de prestations, il n'en demeure pas moins que l'intéressé a démontré depuis des efforts particuliers d'insertion dans ses études tendant à établir le centre de ses intérêts personnels en France. Par suite, dans les circonstances très particulières de l'espèce, c'est à juste titre que le tribunal administratif a jugé que l'arrêté attaqué était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
7. Il résulte de tout ce qui précède, que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 23 juillet 2019 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
8. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de Meurthe-et-Moselle est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Me B..., sous réserve de la renonciation de cette dernière à percevoir le montant de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A....
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 19NC02769