Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2019, la SARL Les Esterelles, représentée par Me Kauffmann, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 mai 2019 ;
2°) de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'année 2010 et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- elle a été privée d'un débat oral et contradictoire et n'a pu bénéficier d'une réunion de synthèse malgré sa demande ;
- les conséquences financières de la vérification ne lui ont pas été communiquées dans le délai de soixante jours en méconnaissance de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales ;
- en ne mentionnant pas le courrier du 12 mai 2014 modifiant la proposition de rectification du 19 décembre 2013, l'avis de mise en recouvrement est irrégulier en application de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales ;
- l'enregistrement en charge d'une somme de 110 000 euros correspond à l'annulation d'un produit comptabilisé mais non encaissé et ne doit pas être réintégrée au résultat imposable de l'exercice clos en 2010.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Les Esterelles ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lambing,
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Les Esterelles, qui exerce une activité de promotion immobilière et de prise de participations dans d'autres sociétés, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de ses exercices clos en 2010 et 2011. Par proposition de rectification du 19 décembre 2013, l'administration lui a notamment notifié dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2010. La SARL Les Esterelles relève appel du jugement du 21 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande tendant à la décharge de cette imposition et des pénalités dont elle est assortie.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables (...) ".
3. Dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une entreprise a été effectuée soit, comme il est de règle en vertu de ces dispositions, dans ses propres locaux soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable où sont déposés les documents comptables, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat, soit avec les mandataires sociaux, soit avec leurs conseils, préposés ou mandataires de droit ou de fait.
4. Il résulte de l'instruction que les opérations de contrôle ont débuté par l'envoi d'un avis de vérification daté du 8 avril 2013, réceptionné le 11, et prévoyant une première intervention le 6 mai 2013 au siège de la SARL Les Esterelles. Cette intervention s'est faite en présence du représentant légal de la société et de son expert-comptable. Par courrier du 6 mai 2013, le représentant légal de la société a demandé à ce que les opérations de contrôle se poursuivent dans les locaux de son cabinet comptable, où se trouvait sa comptabilité. Trois interventions ont eu lieu ensuite les 23 mai, 7 juin et 26 juin 2013 dans les locaux du cabinet comptable. La société requérante ne saurait soutenir qu'elle n'aurait pas donné de mandat à son comptable pour la représenter auprès de l'administration fiscale dès lors que c'est à la demande du gérant de la SARL Les Esterelles que la vérification de comptabilité s'est déroulée dans les locaux de son cabinet comptable, comme il a déjà été dit, et qu'il n'est pas démontré que la société aurait été empêchée d'assister aux échanges avec le service chez son comptable. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au vérificateur de donner au contribuable, avant l'envoi de la proposition de rectification, une information sur les redressements qu'il pourrait envisager. Par suite, le vérificateur n'était pas tenu d'informer le représentant de la société, au cours d'une réunion de synthèse, des rappels d'impôts qu'il envisageait de mettre à sa charge. Dans ces circonstances, au vu des éléments tenant au nombre des interventions sur place et aux conditions dans lesquelles les opérations de contrôle se sont déroulées, il n'est pas justifié que le vérificateur se serait refusé à tout échange de vues avec les représentants de la société requérante. Il s'ensuit que la SARL Les Estrelles n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée de la possibilité d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur.
5. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales : " A l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle au regard de l'impôt sur le revenu ou d'une vérification de comptabilité, lorsque des rectifications sont envisagées, l'administration doit indiquer, avant que le contribuable présente ses observations ou accepte les rehaussements proposés, dans la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 (...), le montant des droits, taxes et pénalités résultant de ces rectifications. Lorsqu'à un stade ultérieur de la procédure de rectification contradictoire, l'administration modifie les rehaussements, pour tenir compte des observations et avis recueillis au cours de cette procédure, cette modification est portée par écrit à la connaissance du contribuable avant la mise en recouvrement, qui peut alors intervenir sans délai. (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 57 A du même livre, dans sa version applicable à la présente procédure : " En cas de vérification de comptabilité d'une entreprise (...) dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1 526 000 € s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement, ou à 460 000 € s'il s'agit d'autres entreprises ou d'un contribuable se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes est inférieur à 460 000 €, l'administration répond dans un délai de soixante jours à compter de la réception des observations du contribuable faisant suite à la proposition de rectification mentionnée au premier alinéa de l'article L. 57. Le défaut de notification d'une réponse dans ce délai équivaut à une acceptation des observations du contribuable. ".
6. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'à un stade de la procédure de rectification contradictoire postérieur à la proposition de rectification prévue par l'article L. 57 du même livre, l'administration modifie les rehaussements envisagés, pour tenir compte des observations et avis recueillis au cours de cette procédure, cette modification est portée par écrit à la connaissance du contribuable avant la mise en recouvrement, qui peut alors intervenir sans délai.
7. La SARL Les Esterelles a formulé des observations à la proposition de rectification du 19 décembre 2013 par courrier du 18 février 2014. Par réponse du 8 avril 2014, reçue par la société requérante le 10, soit avant l'expiration du délai de soixante jours requis par l'article L. 57 A précité, l'administration a répondu aux observations de la société requérante en l'informant qu'elle abandonnait le rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011 et maintenait la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2010. Les nouvelles conséquences financières résultant de cette réponse aux observations du contribuable du 8 avril 2014 ont été notifiées à la SARL Les Esterelles le 12 mai 2014 soit antérieurement à la mise en recouvrement des impositions en litige. La société requérante soutient néanmoins que cette notification du 12 mai 2014 étant intervenue au-delà du délai de soixante jours fixé par l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales, la procédure est irrégulière.
8. Cependant, en notifiant dans les conditions susmentionnées, à savoir dans le délai de reprise et avant la mise en recouvrement des impositions en litige, les nouvelles conséquences financières qui tenaient compte des observations du contribuable recueillies au cours de la procédure contradictoire, l'administration n'a privé la SARL Les Esterelles d'aucune garantie. Il s'ensuit que la société requérante ne peut faire valoir que cette notification des nouvelles conséquences financières du 12 mai 2014 serait irrégulièrement intervenue au-delà du délai de soixante jours fixé par l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure pour ce motif doit être écarté.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis (...)/Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications ".
10. L'avis de mise en recouvrement émis par l'administration le 16 mars 2015 comporte pour l'impôt sur les sociétés le montant global des droits, pénalités et intérêts de retard assignés à la SARL Les Esterelles et vise la proposition de rectification du 19 décembre 2013. Il est vrai, comme s'en prévaut la société requérante, que l'avis de mise en recouvrement litigieux ne fait pas référence à la lettre du 12 mai 2014 par laquelle l'administration, ayant admis partiellement les justifications de la SARL Les Esterelles dans sa réponse aux observations du contribuable du 8 avril 2014, a notifié l'abandon des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et a confirmé le maintien de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2010. Toutefois, cette lettre du 12 mai 2014, qui mentionnait les nouvelles conséquences financières, informait la société requérante d'une modification, à la baisse, des droits mis à sa charge concernant la seule taxe sur la valeur ajoutée, la société bénéficiant d'un abandon total des rappels de cette taxe. En outre, les montants qui ont été finalement mis en recouvrement correspondent aux montants déjà mentionnés dans la proposition de rectification du 19 décembre 2013 et sont relatifs uniquement à l'impôt sur les sociétés. Compte tenu de ces circonstances particulières, l'omission de la référence à cette lettre du 12 mai 2014 n'a pas été de nature, en l'espèce, à priver la SARL Les Esterelles de la faculté de contester utilement les seules impositions litigieuses relatives à l'impôt sur les sociétés et les montants finalement mis en recouvrement. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'avis de mise en recouvrement du 16 mars 2015 est irrégulier.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
11. Aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés de la même manière que les bénéfices industriels et commerciaux soumis à l'impôt sur le revenu. Aux termes de l'article 38 du même code : " (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) " Il appartient au contribuable de justifier du montant des créances des tiers qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts comme de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité.
12. Au titre de l'exercice clos en 2008, la SARL Les Esterelles a comptabilisé au débit de son compte " 46870000 produits à recevoir " une somme de 250 000 euros, correspondant selon elle à une opération immobilière à réaliser. L'opération ne s'étant pas réalisée, elle a inscrit au crédit de ce compte les sommes de 60 000 et 110 000 euros respectivement en 2009 et en 2010. Ces écritures ont eu pour contrepartie la déduction de ces sommes au titre des charges. Par proposition de rectification du 19 décembre 2013, la vérificatrice a remis en cause la déductibilité de la somme de 110 000 euros au titre de l'exercice clos en 2010, considérant que cette somme ne pouvait être regardée comme une charge déductible faute de justification.
13. Comme le ministre le fait valoir en défense, la contrepassation sur un exercice de l'écriture de produits à recevoir, enregistrée sur l'exercice précédent, par débit d'un compte de charges, en l'absence de production de toute pièce ou document justifiant l'absence d'établissement d'une facture définitive, revient à méconnaître les règles comptables, et a eu, en l'espèce, pour conséquence de réduire le compte d'actif " produits à recevoir ", et ainsi d'annuler un produit imposable. La seule production de l'extrait du grand livre au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 ne suffit pas à démontrer l'abandon de l'opération immobilière et à établir que la SARL Les Esterelles a tiré les conséquences de l'écriture comptable passée en 2008 au titre de son exercice clos en 2010. Il s'ensuit que c'est à bon droit que l'administration a remis en cause le caractère déductible de la somme de 110 000 euros au titre de cet exercice clos en 2010.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Les Esterelles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Les Esterelles est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Les Esterelles et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
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N° 19NC02474