Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 mars 2020, la SARL Neufchato, représentée par Me Benichou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le montant de la démarque inconnue comptabilisée en charge, concernant les marchandises en dépôt-vente de la société Futura Trading, n'est pas déterminée de manière théorique mais résulte de l'écart d'inventaire entre les marchandises consignées dans son magasin, d'une part, et celles vendues, cassées et retournées au déposant d'autre part ; chaque article faisant l'objet d'une référence figurant sur tous les documents de gestion, les articles ne figurant ni sur les bons de consignation, les bordereaux de casse, les bons de caisse et les bordereaux de retour font partie de la démarque inconnue (vols ou erreur de comptage) qui reste contractuellement à sa charge en vertu du contrat conclu avec Futura Trading au titre de l'exercice au cours duquel elle est constatée ; les seules erreurs affectant le calcul de la démarque inconnue figurent dans les pièces 10 et 11 et s'élèvent à 2 132,15 euros en base ;
- la réalité et l'intérêt des prestations facturées par la société H2M au titre de l'animation de la politique commerciale des magasins Noz sont établis.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 juillet 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Neufchato exploite un magasin à l'enseigne Noz. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant concerné la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 à l'issue de laquelle, par proposition de rectification du 17 décembre 2015, le service l'a informée qu'il envisageait, selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, des rectifications en matière de bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée déductible. La société n'ayant pas accepté ces rectifications, elles ont été confirmées par lettre modèle n° 3926 du 3 juin 2016. Les impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement le 30 juin 2017, l'administration n'ayant pas suivi l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 9 juin 2017. La réclamation préalable de la SARL Neufchato a été rejetée par l'administration le 18 janvier 2018. La SARL Neufchato relève appel du jugement du 30 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.
2. D'une part, aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. En ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
3. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.
4. D'autre part, aux termes de l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006, ci-dessus visée, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti a le droit, dans l'Etat membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants: / a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée dans cet Etat membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ". Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas :/a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ". Aux termes de l'article 205 de l'annexe II au même code : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction ". L'article 206 de la même annexe prescrit que : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission. /(...) IV. - 1. Le coefficient d'admission d'un bien ou d'un service est égal à l'unité, sauf dans les cas décrits aux 2 à 4. 2. Le coefficient d'admission est nul dans les cas suivants : 1° Lorsque le bien ou le service est utilisé par l'assujetti à plus de 90 % à des fins étrangères à son entreprise ". Il résulte de ces dispositions applicables à compter du 1er janvier 2008 que la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens et services que les assujettis à cette taxe acquièrent n'est déductible que si ceux-ci sont utilisés pour la réalisation d'opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et que c'est au regard du seul intérêt propre de l'entreprise qu'il doit être apprécié si des charges assumées par une société en vue d'assurer certains avantages à d'autres sociétés correspondent aux besoins de son exploitation.
En ce qui concerne la démarque inconnue :
5. En vertu d'un contrat de fourniture du 15 novembre 2009, la société Futura Trading s'engage à fournir à la société Neufchato un stock de marchandises en dépôt-vente constitué d'articles proposés à la vente selon un cycle de commercialisation de six à neuf semaines. La société Futura Trading demeure propriétaire des articles en stock jusqu'au moment de leur vente lors de laquelle la société Neufchato est débitée du montant de l'achat. Les articles invendus ou cassés sont ensuite repris par la société Futura Trading à l'expiration de la période de commercialisation. Selon les stipulations de l'article 9 de la convention du 15 novembre 2009, le montant de la démarque inconnue, égale à la quantité d'articles consignés en dépôt-vente diminuée des quantités d'articles vendus, retournés et cassés, est facturée à la société Neufchato au prix d'achat des articles concernés en même temps que les achats revendus, cette facturation étant mensuelle en vertu de l'article 7 du contrat. L'administration ayant estimé que cette méthode ne permettait pas de déterminer de manière certaine la nature et les quantités d'articles faisant l'objet de cette démarque inconnue, non plus que l'exercice de rattachement de cette charge, a réintégré dans le bénéfice imposable de l'année 2012 la somme de 34 984 euros déduite par la société Neufchato à ce titre et a rappelé la somme de 6 580 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée facturée par son fournisseur et déduite à ce titre par la société requérante.
6. Il résulte de l'instruction que si les sommes ci-dessus analysées figurent dans les factures que la société Futura Trading a délivrées à la société Neufchato, ces documents ne font pas apparaître de manière distincte le montant de la démarque inconnue mise à sa charge, celle-ci étant comprise dans le montant des achats facturés mensuellement, alors que la justification des écarts d'inventaire incombe à la société Futura Trading en vertu des stipulations de l'article 9 du contrat ci-dessus analysé. Cette circonstance a également pour conséquence que la comptabilité de la société Neufchato n'identifie pas de manière distincte la démarque inconnue qui lui est facturée. Il en résulte que les factures produites par la société Neufchato ainsi que sa comptabilité ne répondent pas aux exigences de précision découlant des règles ci-dessus rappelées, à telle enseigne que le service a dû procéder à un traitement informatique afin de retrouver les articles ayant été frappés de démarque inconnue et déterminer les montants déduits à ce titre. La société Neufchato fait valoir que le système de codage informatique appliqué à chaque article permet de déterminer de manière certaine et fiable les quantités reçues en dépôt puis celles vendues, retournées, cassées et finalement la démarque inconnue. Il résulte cependant de l'instruction qu'un tel système, au demeurant affecté en l'espèce de nombreuses incohérences et anomalies mises en lumière par l'administration, ne permet pas de vérifier la présence ou l'absence des marchandises en magasin dans les cas où des articles ont été entreposés par erreur dans des bacs différents, n'ont pas été retournés à l'expiration de la période de vente ou ont fait l'objet d'erreurs de référencement. A cet égard, un tel système de détermination de la démarque inconnue doit être qualifié de purement théorique en ce qu'il ne repose pas sur les constatations matérielles d'un inventaire physique. C'est ainsi à juste titre que l'administration soutient qu'un inventaire physique des articles présents en magasin effectué à la clôture de chaque exercice était seul de nature à éliminer les anomalies découlant de la démarque administrative (erreurs de référence, de placement dans les bacs, articles non retournés à l'expiration de la période de vente) conduisant à une démarque inconnue négative pour certaines références et à s'assurer de l'exercice de rattachement de la charge. Il résulte de tous ces éléments que la société Neufchato ne justifie ni dans leur principe, ni dans leurs montants, des charges qu'elle a déduites au titre de la démarque inconnue facturées par la société Futura Trading au cours de l'année 2012. Par suite, et en dépit de l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires favorable à une prise en compte partielle de la démarque inconnue mais qui ne saurait lier ni l'administration ni le juge l'impôt, c'est à bon droit que l'administration a réintégré dans son bénéfice imposable la somme déduite à ce titre et a rappelé la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les articles frappés de démarque inconnue comme ayant été utilisés à des fins étrangères à l'entreprise de la société requérante.
En ce qui concerne les prestations facturées par la société H2M :
7. Le 29 octobre 2009, la société Neufchato a souscrit une convention par laquelle la société H2M, ayant son siège au Luxembourg, s'est engagée à lui fournir des prestations de services dans les domaines de l'animation commerciale, consistant à l'assister dans ses négociations avec les fournisseurs, dans l'élaboration de sa politique de prix, dans la détermination de sa politique commerciale ainsi que le développement de partenariats, et de l'assistance administrative, financière et de gestion, le tout moyennant une somme forfaitaire de 1 200 euros annuels, modulable d'un commun accord en fonction de l'évolution des missions. Afin de justifier de la somme de 2 400 euros qu'elle a déduite au titre de ces prestations de son bénéfice de l'année 2012, différente au demeurant de la somme annuelle stipulée par la convention qu'elle produit, la société Neufchato a présenté quatre factures trimestrielles d'acomptes de 600 euros émises par la société H2M ne comportant aucune précision sur la nature et la quantité des prestations réalisées au cours de chacun des trimestres. Devant la cour, la société requérante produit les copies du compte fournisseur d'une société Trium au titre des années 2013 et 2014 en faisant valoir, sans le démontrer, que ce nouveau fournisseur lui aurait été apporté par la société H2M et lui aurait permis de réaliser un nouveau chiffre d'affaires de plus de 100 000 euros. Par ces seuls éléments dépourvus de précisions, la société Neufchato n'établit pas la réalité et la valeur des prestations qui lui auraient été fournies par la société H2M et n'apporte pas la justification du principe même de la déductibilité des sommes litigieuses au regard des principes ci-dessus rappelés. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a réintégré la somme de 2 400 euros dans le bénéfice imposable de l'année 2012.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Neufchato n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Neufchato est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Neufchato et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
N° 20NC00802 2