Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2021 et un mémoire enregistré le 25 février 2022, M. C..., représenté par Me Chaib, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;
3°) d'enjoindre à l'autorité préfectorale compétente de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de séjour : méconnaît les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 47 du code civil en ce qu'il a estimé que son acte de naissance était un faux après un simple examen formel et en se fondant sur l'absence de légalisation par les autorités consulaires, cette formalité lui étant inopposable en l'absence de demande tendant à faire compléter son dossier et alors que tous ses éléments d'identité et de naissance sont justifiés et que ces documents ont été légalisés ; procède d'une erreur de droit, l'administration s'étant refusé à examiner sa situation au regard de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; repose sur une erreur manifeste d'appréciation au regard des conditions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire : est privée de base légale du fait de l'illégalité du refus de séjour ; viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination : est privée de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2022 préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 6 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Agnel a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré a été présentée par le préfet de Meurthe-et-Moselle et enregistrée au greffe le 4 mars 2022.
Une note en délibéré a été présentée pour M. C... et enregistrée au greffe le 21 mars 2022.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant guinéen, qui déclare être entré en France le 5 juin 2018, a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance de Meurthe-et-Moselle par jugement du tribunal pour enfants D... A... du 11 septembre 2018. L'intéressé a saisi l'administration d'une demande de titre de séjour en se prévalant de son inscription en lycée professionnel en vue de l'obtention d'un certificat d'apprentissage. Par un arrêté du 4 septembre 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire. M. C... relève appel du jugement du 9 février 2021 par lequel le tribunal administratif de A... a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité du refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".
3. Pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. C... sur le fondement de ces dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration a estimé que les actes d'état civil présentés à l'appui de sa demande étaient frauduleux et irrecevables en l'absence de légalisation par les services consulaires de France en Guinée.
4. D'une part, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants. ". En vertu de l'article L. 111-6 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet./ Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications. ".
5. D'autre part, le II de l'article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice dispose que : " II. - Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Un décret en Conseil d'Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation ". Aux termes de l'article 3 du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère : " I. - L'ambassadeur ou le chef de poste consulaire français peut légaliser : 1° Les actes publics émis par les autorités de son Etat de résidence, légalisés le cas échéant par l'autorité compétente de cet Etat ;(...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Par dérogation au 1° du I de l'article 3, peuvent être produits en France ou devant un ambassadeur ou chef de poste consulaire français :1° Les actes publics émis par les autorités de l'Etat de résidence dans des conditions qui ne permettent manifestement pas à l'ambassadeur ou au chef de poste consulaire français d'en assurer la légalisation, sous réserve que ces actes aient été légalisés par l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire de cet Etat en résidence en France. Le ministre des affaires étrangères rend publique la liste des Etats concerné ".
6. Les dispositions citées au point précédent posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Cependant, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
7. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents. En outre, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.
8. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour, M. C... a produit un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance n° 11398 du 24 mai 2018 du tribunal de première instance de Conakry énonçant qu'il était né le 2 mars 2002, ainsi qu'un extrait n° 22232 du registre des actes de l'état civil de la commune de Ratoma du 1er juin 2018 portant transcription de ce jugement. Pour contester l'authenticité de ces actes, le préfet de Meurthe-et-Moselle s'est fondé sur un rapport d'examen technique documentaire de la police aux frontières réalisé le 19 mai 2019 dans lequel il a été considéré que ces actes " présentent toutes les caractéristiques de faux en écriture publique " et sont irrecevables auprès des autorités françaises et guinéennes. Ce rapport énonce qu'aucune sécurité documentaire ne permet d'apprécier l'authenticité des supports sur lesquels sont rédigés les documents d'état civil, que les impressions réalisées au toner sont une technique accessible à une grande partie de la population, que les cachets humides et les cachets secs présentent plusieurs anomalies, que l'acte de naissance n'est pas complet puisqu'il ne reprend pas l'ensemble des informations nécessitées par les dispositions de l'article 175 et 196 du Code civil guinéen, que la transcription de l'acte est en violation de l'article 601 et 682 du Code de procédure civile guinéen.
9. Les anomalies mises en avant par le rapport litigieux ne sont pas de nature à établir que les documents présentés par M. C... seraient des faux, en dépit de l'omission de certaines mentions, alors que ce dernier a produit en cours d'instance d'appel ces mêmes documents légalisés. Par suite c'est à tort que le préfet de Meurthe-et-Moselle, afin de lui refuser le titre de séjour sollicité, a estimé que M. C... ne justifiait pas de son état civil et en particulier de sa date de naissance.
10. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. L'annulation ci-dessus prononcée implique seulement que le droit au séjour en France de M. C... soit réexaminé par l'administration. Par suite, il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre l'administration de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de A... a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. M. C... ayant été admis à l'aide juridictionnelle, son avocat peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Il y a lieu par suite, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Chaib, sous réserve qu'il renonce au versement de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique, au titre des frais que M. C... aurait exposés dans la présente instance s'il n'avait pas été admis à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de A... du 9 février 2021 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 4 septembre 2020 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à l'administration compétente de procéder au réexamen du droit au séjour en France de M. C... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Chaib la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
N° 21NC02683 2