Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 20NC02651 le 9 septembre 2020, la préfète du Bas-Rhin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 août 2020 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 25 juin 2020 et lui a enjoint de délivrer à M. D... une attestation de demande d'asile et un formulaire de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. D... ;
Elle soutient qu'il n'est pas établi que M. D... ait des liens suffisamment stables, anciens et intenses avec sa soeur qui réside en France depuis quatorze ans, pour justifier l'application de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 20NC02652 le 9 septembre 2020, la préfète du Bas-Rhin, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 août 2020.
Elle soutient que le tribunal a commis une erreur de droit en annulant son arrêté au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ce moyen sérieux étant de nature à justifier le sursis.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né en 1990 et de nationalité sri-lankaise, est entré régulièrement en France muni d'un visa délivré par les autorités polonaises valable jusqu'au 19 janvier 2020. Il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 10 mars 2020. Constatant que l'intéressé était en possession d'un visa délivré par les autorités polonaises périmé depuis moins de six mois, la préfète du Bas-Rhin a saisi la Pologne le 2 juin 2020 d'une demande de prise en charge, qui a donné son accord le 16 juin 2020. Par arrêté du 25 juin 2020, la préfète du Bas-Rhin a décidé le transfert de M. D... aux autorités polonaises. Par un jugement du 27 août 2020, dont la préfète du Bas-Rhin relève appel, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à M. D... une attestation de demande d'asile et un formulaire de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement. La préfète du Bas-Rhin demande également qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes afin qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Selon l'article 9 du même règlement : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ". L'article 2 du même règlement énonce que : " Aux fins du présent règlement, on entend par : (...) / g) " membres de la famille " dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres: / - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l'État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers, / - les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du demandeur, à condition qu'ils soient non mariés et qu'ils soient nés du mariage, hors mariage ou qu'ils aient été adoptés au sens du droit national, / - lorsque le demandeur est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du demandeur de par le droit ou la pratique de l'État membre dans lequel cet adulte se trouve, / - lorsque le bénéficiaire d'une protection internationale est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du bénéficiaire de par le droit ou la pratique de l'État membre dans lequel le bénéficiaire se trouve (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. La clause dérogatoire, prévue à l'article 17 précité, laisse la faculté discrétionnaire à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement.
4. Pour annuler l'arrêté du 25 juin 2020 par lequel la préfète du Bas-Rhin a décidé le transfert de M. D... aux autorités polonaises, le tribunal administratif a considéré que la décision était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à la présence en France de la soeur du requérant, qui l'a pris en charge, et compte-tenu du risque avéré que l'intéressé encourt dans l'hypothèse d'un retour dans son pays d'origine.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. D... se prévaut de la présence en France de sa soeur, qui y vit depuis décembre 2006 et est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 7 février 2028 en raison de son statut de conjoint de réfugié. Comme le soutient la préfète du Bas-Rhin, si M. D... et sa soeur ne peuvent être considérés comme des " membres de la famille " au sens de l'article 2 du règlement 604/2013 précité et bénéficier des dispositions de l'article 9 du même règlement, des circonstances particulières peuvent cependant justifier la mise en oeuvre de l'article 17 précité. La préfète du Bas-Rhin établit que M. D... a déclaré le 18 mai 2020, dans le cadre de sa demande d'asile, être hébergé dans un centre d'accueil. Il est pris en charge depuis le 28 juillet 2020 dans un centre d'hébergement d'urgence pour demandeur d'asile à Mulhouse. Dans un courriel du 28 juillet 2020 adressé à la préfecture, la cheffe du pôle projet réfugié indiquait que la soeur de l'intéressé ne pouvait pas subvenir financièrement à ses besoins et ne pouvait pas l'héberger. M. D... n'a produit aucune pièce en première instance ou en appel justifiant des relations régulières qu'il aurait avec sa soeur, alors qu'il en a été séparé durant quatorze ans avant son arrivée en France. Eu égard à ces éléments, l'intensité et l'ancienneté des liens entre M. D... et sa soeur ne sont pas établis. En outre, s'agissant des problèmes de santé évoqués par l'intéressé, il ne produit aucun certificat médical qui établirait qu'il ne peut pas être pris en charge médicalement en Pologne. Enfin, M. D... a indiqué en première instance bénéficier ainsi que toute sa famille, du statut de réfugié en Inde après être entré dans ce pays en 1996 à l'âge de six ans et n'avoir ainsi pas vécu au Sri Lanka ces dernières années. Cependant, la décision attaquée n'a ni pour objet ni pour effet de le renvoyer au Sri Lanka. M. D... ne peut par suite utilement se prévaloir des craintes de subir un traitement inhumain ou dégradant dans son pays d'origine, le Sri Lanka. Dans ces conditions, la décision de remise aux autorités polonaises aux fins d'examen de sa demande d'asile ne porte pas une atteinte excessive au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement susvisé n° 604/2013. Il s'ensuit que la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a retenu ce moyen afin d'annuler son arrêté du 25 juin 2020.
6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant devant le tribunal administratif de Strasbourg que devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés par M. D... :
7. En premier lieu, par un arrêté du 8 juin 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 9 juin 2020, la préfète du Bas-Rhin a donné à Mme B... A..., directrice des migrations et de l'intégration, délégation pour signer tous actes et décisions relevant des attributions de sa direction, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figure pas la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait et doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu remettre, le 10 mars 2020, la brochure d'information A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union Européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et la brochure d'information B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", en langue tamoul que l'intéressé a déclaré comprendre. La remise de ces deux brochures, qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 permet aux demandeurs d'asile de bénéficier d'une information par écrit complète sur l'application de ce règlement. Par conséquent, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 4 du règlement n°604/2013 susmentionné doit être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / ". En application ces dispositions, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
11. L'arrêté attaqué du 25 juin 2020 prononçant le transfert de M. D... auprès des autorités polonaises vise le règlement (UE) n° 604/ 2013 ainsi que le règlement (CE) n° 1560/2003, rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque M. D... s'est présenté devant les services de la préfecture, indique les dispositions en vertu desquelles la Pologne est responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé et précise que les autorités polonaises, saisies d'une demande de prise en charge au titre de l'article 12-4 du règlement (UE) n° 604/2013, ont accepté sa réadmission sur leur territoire le 16 juin 2020. L'arrêté analyse également les circonstances de fait dont s'est prévalu M. D... quant à sa vie privée et familiale en France. L'arrêté contesté comporte ainsi l'énoncé des circonstances de droit et de fait qui en constituent le fondement et il est, par suite, suffisamment motivé.
12. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, la décision de remise aux autorités polonaises aux fins d'examen de sa demande d'asile ne porte pas une atteinte excessive au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
14. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté dès lors que le transfert de M. D... aux autorités polonaises n'implique pas, par lui-même, son éloignement vers son pays d'origine et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que sa demande d'asile ne sera pas traitée par les autorités polonaises dans le respect des droits fondamentaux.
15. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, la décision attaquée ne méconnait pas l'article 17 du règlement susvisé n° 604/2013.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 25 juin 2020 et lui a enjoint de délivrer à M. D... une attestation de demande d'asile et un formulaire de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées devant le tribunal par M. D....
Sur la demande à fin de sursis à exécution du jugement :
17. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 août 2020. La requête du préfet du Bas-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues par suite sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 août 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête 20NC02652 de la préfete du Bas-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 août 2020.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... D....
Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
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N° 20NC02651, 20NC02652