Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 mai 2016 et un mémoire, enregistré le 7 novembre 2016, la SARL Carest, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1203808 du tribunal administratif de Strasbourg du 12 avril 2016 ;
2°) de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2008, et des majorations correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a omis de répondre au moyen selon lequel elle ne pouvait être soumise à l'impôt sur les sociétés au motif qu'elle n'avait effectué qu'une seule opération d'achat et de revente ;
- elle ne dispose pas d'un établissement stable en France ;
- la proposition de rectification n'a pas été adressée à son siège luxembourgeois, mais au 10, rue Erckman-Chatrian à Achenheim (67204) ;
- elle a été privée des garanties prévues par les articles L.64, R. 64-1 et R. 64-2 du livre des procédures fiscales ;
- elle ne peut être soumise à l'impôt sur les sociétés, dès lors qu'elle n'a effectué qu'une seule opération d'achat et de revente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention fiscale entre la France et le Grand-duché du Luxembourg du 1er avril 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dhers,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
1. Considérant que la société à responsabilité limitée (SARL) Carest, créée le 16 mai 2007 au Luxembourg et dont le capital est détenu à parts égales par MM. A...C...et D...G..., a pour objet social l'acquisition, la rénovation et la vente d'immeubles et de tous droits immobiliers, la mise en location de biens meubles et immeubles ainsi que la gérance ou la gestion d'immeubles ou de patrimoines exclusivement pour son propre compte ; qu'elle a acquis le 21 décembre 2007 un ensemble immobilier à Ittenheim (67117) pour un prix de 950 000 euros, qu'elle a revendu le même jour, au prix de 2 100 000 euros, à la société civile immobilière (SCI) du Rossberg dont le capital est détenu par M. A...C...pour moitié, par M. D...G...à hauteur de 25 %, le dernier quart étant détenu par Mme F...E...qui est la belle-soeur de M.C... ; que la société requérante a fait l'objet d'un contrôle sur pièces au titre de l'exercice clos le 30 juin 2008 à l'issue duquel l'administration a estimé qu'elle avait un établissement stable en France et a procédé à un rappel d'impôt sur les sociétés à raison du profit dégagé lors de l'opération réalisée le 21 décembre 2007, majoré d'une pénalité de 80 % pour activité occulte ; que la SARL Carest a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la décharge de ce rappel et de cette amende ; que, par un jugement rendu le 12 avril 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que la société requérante relève régulièrement appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 121-1 du code de commerce : " Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle " ;
3. Considérant que la SARL Carest soutient que le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de ce qu'elle ne pouvait être imposée en France au titre de l'impôt sur les sociétés faute de pouvoir être qualifiée de commerçante au sens des dispositions précitées ;
4. Considérant que l'article L. 121-1 du code de commerce ne définit pas les critères d'assujettissement des sociétés à responsabilité limitée à l'impôt sur les sociétés, ceux-ci étant prévus par l'article 206 du code général des impôts qui dispose que " sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet (...) les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) " ; qu'ainsi, le moyen invoqué en première instance était inopérant, ce qui dispensait le tribunal administratif de Strasbourg d'y répondre ; qu'en outre, le tribunal a nécessairement jugé que la société requérante relevait du champ d'application de l'impôt sur les sociétés en estimant qu'elle disposait d'un établissement fixe en France ; qu'il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté ;
Sur les conclusions à fin de décharge :
En ce qui concerne le principe de l'imposition en France :
5. Considérant que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale ;
6. Considérant qu'aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) " ; qu'en vertu de l'article 1er de la convention fiscale signée le 1er avril 1958 par la France et le Luxembourg : " 1. Les impôts qui font l'objet de la présente Convention sont : (...) b) En ce qui concerne la France : (...) 3) l'impôt sur les sociétés (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette convention : " (...) 3. 1) Le terme " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires dans laquelle l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. 2) Au nombre des établissements stables figurent notamment : a) les sièges de direction ; b) les succursales ; c) les bureaux (...) " ; qu'aux termes de l'article 4 de ladite convention : " 1. Les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable (...) " ;
7. Considérant qu'il appartient au juge de l'impôt de se fonder sur les résultats de l'instruction, compte tenu, le cas échéant, de l'abstention des parties à produire les éléments qu'elles sont seules en mesure d'apporter, pour estimer si l'entreprise a exercé tout ou partie de son activité par l'intermédiaire d'un établissement stable situé en France ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et en particulier des éléments recueillis par l'administration lors de la vérification de comptabilité de la SARL Renovbien et dans le cadre de l'exercice de son droit de communication notamment auprès de la mairie d'Ittenheim, des services postaux de Wiwersheim et de Koenigshoffen, du service de la sûreté départementale de l'hôtel de police de Strasbourg et de la société Orange, que la SARL Carest était domiciliée... et que son courrier n'avait jamais été réexpédié ; que les documents relatifs aux démarches effectuées par la société requérante pour obtenir les différentes autorisations d'urbanisme pour l'ensemble immobilier situé à Ittenheim indiquent qu'elle était domiciliée... ; que des organismes tels qu'Electricité de Strasbourg, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Bas-Rhin ou encore le service départemental d'incendie et de secours du Bas-Rhin ont confirmé à l'administration fiscale avoir adressé des correspondances à la société requérante à Achenheim ; que la SARL Renovbien, dont M. D... G...était cogérant et détenait 49 % des parts du capital et qui est intervenue sur le chantier constitué par l'ensemble immobilier situé à Ittenheim, avait souscrit à un cahier des clauses techniques particulières mentionnant la domiciliation de la SARL Carest dans la commune d'Achenheim ; que M. D...G..., qui possède 50 % du capital social de la SARL Carest et qui a été mandaté le 16 décembre 2006 pour la représenter dans le cadre des démarches administratives effectuées afin d'obtenir le permis de construire pour l'ensemble immobilier situé à Ittenheim, est aussi domicilié... ; que le numéro de téléphone mentionné dans les différents documents adressés par la SARL Carest aux services compétents en matière d'urbanisme est un numéro de téléphone portable français, attribué à M. D...G... ; que l'ensemble de ces éléments fait apparaître que la SARL Carest avait, en France, un siège de direction au sens de la convention franco-luxembourgeoise ; que par suite, et alors même qu'elle n'a effectué qu'une seule opération immobilière, il y a lieu, en application combinée des dispositions de l'article 209 du code général des impôts et des stipulations des articles 1 et 2 de la convention conclue entre la France et le Grand-duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune en date du 1er avril 1958, de regarder la société requérante comme ayant disposé, au cours de l'exercice litigieux, d'un établissement stable situé en France ;
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
9. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) " ;
10. Considérant que la SARL Carest soutient que la proposition de rectification aurait dû être adressée à son siège au Luxembourg et non au 10, rue Erckmann Chatrian à Achenheim ; qu'un tel moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté, dès lors que cet acte de procédure est effectivement parvenu à la société requérante qui a d'ailleurs formulé ses observations aux rappels envisagés par un courrier du 19 avril 2011 ;
11. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ; qu'il résulte également de ces dispositions que, lorsque l'administration invoque des faits constitutifs d'un abus de droit pour justifier un chef de redressement, le contribuable, qui n'a pas demandé la saisine du comité de l'abus de droit fiscal, doit être regardé comme ayant été privé de la garantie tenant à la faculté de provoquer cette saisine si, avant la mise en recouvrement de l'imposition, l'administration omet de l'aviser expressément que le redressement a pour fondement les dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
12. Considérant qu'en estimant que la SARL Carest avait réalisé des opérations immobilières à partir d'un établissement stable situé en France, l'administration s'est bornée à apprécier une situation de fait dont elle a tiré les conséquences en matière d'impôt sur les sociétés, sans remettre en cause la localisation de son siège social au Luxembourg ou les mentions portées dans l'acte de vente notarié du 21 décembre 2007 ; que dans ces conditions, l'administration fiscale, qui n'a pas implicitement cherché à réprimer un abus de droit, n'avait pas à saisir le comité consultatif prévu par les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté ;
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions contestées :
13. Considérant qu'aux termes de l'article 206 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'imposition litigieuse : " (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet (...) les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) " ; qu'il résulte de ce qui précède que la SARL Carest disposait d'un établissement stable en France ; qu'il est constant qu'elle n'avait pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes ; que, par suite, et sans qu'elle puisse utilement se prévaloir des dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code de commerce qui, au surplus, ne s'appliquent qu'aux personnes physiques, ni faire valoir qu'elle n'a effectué qu'une seule vente immobilière, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort qu'elle a été assujettie à l'impôt sur les sociétés en France à raison de l'achat et de la vente effectués le 21 décembre 2007 ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Carest n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strabourg a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Carest est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Carest et au ministre de l'action et des comptes publics.
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N° 16NC01024