Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés les 28 août 2017 et 3 août 2018, la SCI Le Hanau, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1405810 du tribunal administratif de Strasbourg du 29 juin 2017 ;
2°) la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des majorations correspondantes mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a conclu un bail commercial avec la société à responsabilité limitée (SARL) Bellevue le 3 juillet 2008 portant sur des locaux de 600 m² situés dans un immeuble qu'elle a acquis le 28 juillet 2008 ; la SARL Bellevue devait y exploiter un café restaurant pour un loyer de 1 500 euros par mois la première année, puis de 1 800 euros mensuels ; elle a opté pour l'assujettissement des loyers à la taxe sur la valeur ajoutée ; l'administration a remis en cause l'assujettissement de la location à la taxe sur la valeur ajoutée au motif que les loyers étaient, selon elle, manifestement en-dessous du prix du marché ; aucune disposition ne permettait à l'administration de remettre en cause l'option pour la taxe sur la valeur ajoutée, sauf lorsque celle-ci est irrégulière, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
- le loyer convenu était normal, l'opération initialement projetée était rentable et le service ne propose aucun terme de comparaison ; le fait qu'elle a un actionnariat commun avec la SARL Bellevue ne saurait constituer un indice de sous-évaluation du loyer ;
- la SARL Bellevue n'a pu exercer son activité avant juillet 2010, car les autorisations administratives nécessaires pour ce faire ne lui avaient pas été délivrées ; cette société a réalisé d'importants travaux d'aménagement intérieurs et a dû attendre deux années pour pouvoir démarrer son exploitation ; si elle n'a perçu qu'une partie des loyers dus par la SARL Bellevue, c'est en raison de ses difficultés financières dont elle-même est à l'origine, puisque le démarrage de l'exploitation des locaux était conditionné par la réalisation de travaux de mise aux normes ; elle a obtenu gratuitement la propriété des aménagements intérieurs effectués par la SARL Bellevue ; par ailleurs, cette société s'est abstenue de lui réclamer des dommages et intérêts ; aucune condition de rentabilité de la location n'est fixée pour l'exercice de l'option ; la circonstance qu'une partie des loyers n'a pas été payée n'ôte pas à l'opération son caractère onéreux ;
- la pénalité de 40 % doit être déchargée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 2 mai 2018 et 9 octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dhers,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière (SCI) Le Hanau, qui exerce une activité de location immobilière, a été créée le 1er juillet 2008. Son capital social est détenu à hauteur de 80 % par M. C...A..., à hauteur de 10 % par M. et Mme D... A..., qui sont ses parents, les 10 % restants étant attribués à la société par actions simplifiée Serviconsult dont le capital social est détenu par M. et Mme D... A.... Le 3 juillet 2008, la société à responsabilité limitée (SARL) Bellevue, dont M. C...A...possède 90 % des parts sociales, a conclu un bail commercial avec la SCI Le Hanau portant sur des locaux de 600 m² situés au 10 rue de l'Etang à Philippsbourg en Moselle afin d'y exploiter un commerce de restauration sur place, de salon de thé et de bar musical pour un loyer de 1 500 euros hors taxes par mois. Par un premier avenant du 1er août 2008, la surface louée a été ramenée à 45 m² et le loyer à 100 euros hors taxes par mois. Par un second avenant du 1er juillet 2010, la surface louée a été portée à 600 m² et le loyer à 1 500 euros hors taxes par mois. Le 12 août 2008, la SCI Le Hanau a opté pour l'assujettissement des loyers à la taxe sur la valeur ajoutée en application du 2° de l'article 260 du code général des impôts, ce qui, compte tenu des travaux qu'elle a effectués dans les locaux loués, lui a permis de bénéficier de remboursements de crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 65 467 euros en 2009, 37 473 euros en 2010 et 1 403 euros en 2011. A l'issue d'une vérification de comptabilité, qui s'est déroulée du 6 mai au 25 juillet 2013 et qui portait sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, l'administration a notifié à la SCI un redressement portant sur la taxe sur la valeur ajoutée que la SCI Le Hanau avait déduite à raison des travaux qu'elle avait réalisés au cours de cette période, soit 105 262 euros, notamment au motif que la modicité des loyers encaissés par la société requérante traduisait une libéralité consentie par elle au profit de la SARL Bellevue. En outre, dans le cadre d'un contrôle sur pièces, l'administration a procédé à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012, soit 994 euros, au motif que la SARL Bellevue n'avait versé aucun loyer à la SCI Le Hanau. La SCI Le Hanau a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la décharge de ces rappels. Par un jugement rendu le 29 juin 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes. La SCI Le Hanau relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions aux fins de décharge :
2. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (...) ". Aux termes de l'article 256 A de ce code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...) ". Aux termes de l'article 260 du même code : " Peuvent sur leur demande acquitter la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 2° Les personnes qui donnent en location des locaux nus pour les besoins de l'activité d'un preneur assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ou, si le bail est conclu à compter du 1er janvier 1991, pour les besoins de l'activité d'un preneur non assujetti. ". Aux termes de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) ".
3. Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des dispositions de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, dont elles assurent la transposition. Aux termes de l'article 2 de cette directive : " 1. Sont soumises à la TVA les opérations suivantes : (...) c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d'un État membre par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 9 de la même directive : " 1. Est considéré comme "assujetti" quiconque exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Est considérée comme "activité économique" toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services Est en particulier considérée comme activité économique, l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en tirer des recettes ayant un caractère de permanence (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'est considéré comme assujetti quiconque exerce, de façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité. Une activité est, en règle générale, qualifiée d'économique lorsqu'elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l'auteur de l'opération. La possibilité de qualifier une opération d'" opération à titre onéreux " suppose uniquement l'existence d'un lien direct entre la livraison de biens ou la prestation de services et une contrepartie réellement reçue par l'assujetti. Ainsi, le fait qu'une opération économique soit effectuée à un prix supérieur ou inférieur au prix normal du marché est sans pertinence s'agissant de cette qualification. Il en va de même du lien pouvant éventuellement exister entre les parties à l'opération.
5. En particulier, la location d'un immeuble moyennant un loyer constitue en principe une activité économique et la seule circonstance que, compte tenu notamment du coût de revient de l'immeuble, le loyer consenti soit anormalement bas au regard d'une gestion commerciale normale ne permet pas de remettre en cause cette qualification d'activité économique. En revanche, une location ne constitue pas une activité économique lorsque, en raison du caractère insignifiant ou symbolique du montant du loyer stipulé dans le bail ou du montant des loyers effectivement encaissés, elle doit être regardée comme une libéralité consentie par le bailleur au bénéfice du preneur.
6. En premier lieu, le moyen tiré de ce que l'administration n'était pas en droit de procéder aux rappels litigieux, dès lors que l'option pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée n'était pas irrégulière, doit être écarté pour les motifs exposés au point précédent.
7. En second lieu, pour remettre en cause l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de la location consentie par la SCI Le Hanau à la SARL Bellevue, l'administration fiscale s'est notamment fondée sur la modicité des loyers encaissés par la société requérante qui se sont élevés à 5 300 euros en 2010, à 1 500 euros en 2011 et à zéro en 2012 alors que le prix de revient de l'immeuble était de 762 920 euros. La société requérante fait valoir, pour sa part, que la SARL Bellevue n'a pas immédiatement obtenu les autorisations administratives nécessaires pour l'exercice de son activité, que les travaux d'aménagement intérieur ont été d'une ampleur telle qu'ils ont eu pour effet de différer de deux années le démarrage de cette activité et que, faute de recettes, la SARL Bellevue a rencontré des difficultés de trésorerie, ce qui l'a conduite à déposer son bilan en 2013.
S'agissant de la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010 :
8. Il résulte de l'instruction que le loyer stipulé dans le bail consenti par la SCI Le Hanau à la SARL Bellevue s'élevait, au cours de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010, à 100 euros hors taxes par mois puis à 1 500 euros mensuels hors taxes à compter du 1er juillet 2010. Dans le dernier état de ses écritures, l'administration ne conteste pas que le montant de ce loyer était normal au regard du prix du marché. Si l'administration relève que la société requérante n'a recouvré que 5 300 euros en 2010, ce montant ne peut cependant être regardé, en l'espèce, comme revêtant un caractère insignifiant au regard du loyer stipulé. Par suite, c'est à tort que le service a regardé l'activité de location de la SCI comme dépourvue de caractère économique au motif que la société requérante aurait, durant l'année 2010, consenti une libéralité au profit de la SARL Bellevue. Il suit de là que la SCI Le Hanau est fondée à soutenir que les travaux qu'elle a effectués au cours de l'année 2010 relevaient du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée et qu'en conséquence, l'administration n'était pas fondée à remettre en cause leur caractère déductible.
S'agissant de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 :
9. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit plus haut, que le montant porté sur la déclaration (modèle 2072) de la SCI Le Hanau, qui correspond aux loyers encaissés, s'élevait seulement à 1 500 euros en 2011 et était nul en 2012. Il résulte également de l'instruction, et en particulier de l'avenant signé le 1er juillet 2010, que les locaux étaient totalement exploitables à compter de cette date. La circonstance que la SARL Bellevue a été placée en liquidation judiciaire en 2013 ne permet pas, à elle seule, d'établir que sa situation financière ne lui permettait pas de payer la totalité du loyer dû par elle à la SCI Le Hanau au cours de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012. Le fait que ces deux sociétés avaient un actionnariat commun ne faisait pas obstacle à ce que la société requérante exerçât des mesures de recouvrement forcé à son encontre. L'article 23 du bail commercial conclu entre ces deux sociétés permettait à la SCI Le Hanau d'obtenir la résiliation de plein droit de ce contrat dès le premier loyer impayé, deux mois après une commande de payer ou une simple mise en demeure restée infructueuse et la société requérante n'apporte aucune explication sur le fait qu'elle n'a pas fait usage de cette faculté. Si la SCI Le Hanau soutient qu'elle a acquis la propriété des aménagements réalisés par la SARL Bellevue, ce transfert de propriété ne constituait pas une modalité de paiement du prix du loyer prévue par les stipulations contractuelles et, par voie de conséquence, il n'existait pas de lien direct entre la location consentie par la SCI Le Hanau et le transfert de la propriété de ces aménagements. Eu égard au caractère insignifiant du montant des loyers encaissés par la SCI Le Hanau au cours de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, l'activité de location exercée dans de telles conditions a pu à bon droit être regardée comme une activité dépourvue de caractère économique en raison de la libéralité ainsi consentie par la SCI Le Hanau à son preneur. Il s'ensuit que l'administration était fondée à remettre en cause l'option pour la taxe sur la valeur ajoutée exercée par la société requérante.
Sur les pénalités :
10. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
11. Pour assortir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée de la pénalité pour manquement délibéré, l'administration s'est fondée sur la modicité des loyers recouvrés par la SCI Le Hanau et sur la circonstance que le défaut de recouvrement de la totalité de ces loyers n'était pas justifiée par des difficultés financières qu'aurait rencontrées la SARL Bellevue, ce qui caractérise une libéralité consentie au profit de cette dernière par la société requérante. Ces constatations ne sont pas contredites par les pièces du dossier. Par conséquent, l'administration doit être regardée comme établissant l'intention délibérée de la SCI Le Hanau d'éluder l'impôt et, par suite, le bien-fondé de l'application de la pénalité litigieuse s'agissant des rappels concernant la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012. En revanche, il résulte de ce qui a été dit au point 8 ci-dessus que la société requérante, qui est en droit d'obtenir la décharge des rappels de taxe dus pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010, est fondée à demander, par voie de conséquence, la décharge des pénalités ayant assorti lesdits rappels.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Le Hanau est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande de décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010.
Sur les conclusions présentées par la SCI Le Hanau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SCI Le Hanau et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La SCI Le Hanau est déchargée en droits, pénalités et intérêts de retard, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010.
Article 2 : L'Etat versera à la SCI Le Hanau une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCI Le Hanau est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Le Hanau et au ministre de l'action et des comptes publics.
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N° 17NC02144