Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 décembre 2019, la société " Le Val des Bambins " et la société " Le Val des Happy Babies ", représentées par Me Fady, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1807978 du tribunal administratif de Strasbourg du 27 septembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 27 novembre 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement de première instance est entaché d'irrégularité dès lors que le préfet de la Moselle, en violation des droits à un procès équitable, à l'égalité des armes et à la présomption d'innocence garantis à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'est prévalu, devant les premiers juges, d'informations sur la procédure pénale en cours pourtant couvertes par le secret ;
- l'arrêté en litige du 27 novembre 2018 est entaché d'un vice de procédure dès lors que, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2324-3 du code de la santé publique la fermeture totale et définitive de la micro-crèche " Le Val des Happy Babies " a été prononcée sans avoir été précédée d'une mise en demeure ou d'une injonction adressée à la structure concernée, ni d'un avis émis par le président du conseil départemental de la Moselle ;
- la fermeture immédiate, totale et définitive de la micro-crèche " Le Val des Happy Babies " n'est pas justifiée dès lors que, à la différence de la micro-crèche " Le Val des Bambins ", qui est une structure différente bénéficiant d'une autorisation distincte, les services préfectoraux ne lui ont adressé aucun reproche ;
- l'arrêté en litige du 27 novembre 2018 est entaché d'erreur de fait, d'erreur d'appréciation, de violation de la loi et de détournement de pouvoir ;
- la fermeture immédiate totale et définitive des deux micro-crèches constitue une sanction disproportionnée au regard de la gravité des faits reprochés.
Par un mémoire en intervention volontaire, enregistré le 3 septembre 2021, le département de la Moselle, représenté par Me Pernot, demande à la cour, dans l'intérêt de la bonne administration de la justice et de la sérénité des débats, de ne tenir aucun compte des accusations personnelles infondées proférées par les requérantes à l'encontre d'un agent du service départemental de la protection maternelle et infantile.
Il soutient que le rôle du service départemental de la protection maternelle et infantile est d'accompagner les structures d'accueil et non pas de leur porter préjudice ou de provoquer leur fermeture.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par les requérantes ne sont pas fondés.
Un mémoire complémentaire, présenté pour la société " Le Val des Bambins " et la société " Le Val des Happy Babies " par Me Muller-Pistré, a été reçu le 26 octobre 2021 postérieurement à la clôture d'instruction intervenue le 30 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse,
- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,
- et les observations de Me Bergeron pour le département de la Moselle.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux arrêtés des 3 février 2014 et 18 mai 2015, le président du conseil général de la Moselle a autorisé la création, l'ouverture et le fonctionnement, à Bousse (Moselle), de deux établissements assurant un multi-accueil collectif non permanent d'enfants de moins de six ans de type micro-crèche, dénommés respectivement " Le Val des Bambins " et " Le Val des Happy Babies " et dotés chacun d'une capacité d'accueil maximale de dix enfants. Le service départemental de la protection maternelle et infantile ayant été informé, le 26 mars 2018, de l'existence au sein de ces structures d'un accueil d'enfants en surnombre et de conduites éducatives inappropriées, l'administration a procédé à trois contrôles sur place les 10 avril, 6 septembre et 24 octobre 2018 et, au vu des dysfonctionnements constatés, a adressé des injonctions à la gérante commune de ces deux micro-crèches les 31 mai, 19 septembre et 16 novembre 2018. Estimant qu'il n'avait pas été satisfait à ces injonctions, le préfet de la Moselle, par un arrêté du 27 novembre 2018 valant retrait des autorisations délivrées les 3 février 2014 et 18 mai 2015, a prononcé, en application des dispositions de l'article L. 2324-3 du code de la santé publique, la fermeture immédiate, totale et définitive des établissements ainsi mis en cause. Assurant l'exploitation des deux micro-crèches, la société " Le Val des Bambins " et la société " Le Val des Happy Babies " ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 novembre 2018. Elles relèvent appel du jugement n° 1807978 du 27 septembre 2019, qui rejette leur demande.
Sur l'intervention volontaire du département de la Moselle :
2. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe, soit aux conclusions de l'appelant, soit à celles de son défendeur. Si le département de la Moselle justifie d'un intérêt au maintien de l'arrêté en litige, eu égard notamment à la responsabilité qui lui incombe, en vertu de l'article L. 1423-1 du code de la santé publique, dans la protection sanitaire de la famille et de l'enfance et au rôle joué par sa sous-direction de la protection maternelle et infantile dans la surveillance et le contrôle de suivi des deux micro-crèches mises en cause, il se borne, dans ses écritures, à demander à la cour de ne pas tenir compte, dans l'intérêt de la bonne administration de la justice et de la sérénité des débats, des accusations des requérantes à l'encontre d'un des agents de ce service, sans s'associer formellement aux conclusions du défendeur. Par suite, son intervention volontaire ne peut être admise.
Sur la régularité du jugement :
3. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement aux allégations de la société " Le Val des Bambins " et de la société " Le Val des Happy Babies ", le préfet de la Moselle n'a pas eu accès au dossier de l'enquête pénale ouverte par le procureur de la République le 9 novembre 2018 et qu'il s'est borné devant les premiers juges à faire état des éléments portés à la connaissance du service départemental de la protection maternelle et infantile par des salariés et des parents. Dans ces conditions et alors que ces éléments ont été soumis au débat contradictoire, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le jugement de première instance serait entaché d'irrégularité en raison d'une violation des droits à un procès équitable, à l'égalité des armes et à la présomption d'innocence garantis par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations en cause ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1423-1 du code de la santé publique : " Le département est responsable de la protection sanitaire de la famille et de l'enfance dans les conditions prévues au livre Ier de la deuxième partie. ". Aux termes de l'article L. 2111-1 du même code : " L'Etat, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale participent, dans les conditions prévues par le présent livre, à la protection et à la promotion de la santé maternelle et infantile qui comprend notamment : (...) 4° La surveillance et le contrôle des établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans (...). ". Aux termes de l'article L. 2112-1 du même code : " Les compétences dévolues au département par l'article L. 1423-1 et par l'article L. 2111-2 sont exercées, sous l'autorité et la responsabilité du président du conseil départemental, par le service départemental de protection maternelle et infantile qui est un service non personnalisé du département. / Ce service est dirigé par un médecin et comprend des personnels qualifiés notamment dans les domaines médical, paramédical, social et psychologique. Les exigences de qualification professionnelle de ces personnels sont fixées par voie réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 2324-2 du même code : " Le médecin responsable du service départemental de protection maternelle et infantile vérifie que les conditions mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 2324-1 sont respectées par les établissements et services mentionnés au même article. ". Aux termes de l'article L. 2324-3 du même code : " Lorsqu'il estime que la santé physique ou mentale ou l'éducation des enfants sont compromises ou menacées : 1° Le représentant de l'Etat dans le département ou le président du conseil départemental peut adresser des injonctions aux établissements et services mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2324-1 ; (...) / Dans le cas où il n'a pas été satisfait aux injonctions, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer la fermeture totale ou partielle, provisoire ou définitive, des établissements ou services mentionnés à l'article L. 2324-1, après avis du président du conseil départemental en ce qui concerne les établissements et services mentionnés aux deux premiers alinéas de cet article. / La fermeture définitive vaut retrait des autorisations instituées aux alinéas 1 et 3 de l'article L. 2324-1. / (...) ".
5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les micro-crèches " Le Val des Bambins " et " Le Val des Happy Babies ", situées respectivement au 12C et au 12D de la rue de Metz à Bousse, sont voisines immédiates, qu'elles sont gérées par la même directrice selon un mode d'organisation et de fonctionnement identique et, enfin, que le personnel et les enfants sont susceptibles d'être affectés indifféremment dans l'une ou l'autre de ces crèches en fonction des besoins et des disponibilités. En outre, si le contrôle sur place réalisé le 10 avril 2018 et le courrier d'injonction du 31 mai 2018 qui s'en est suivi n'ont concerné que la micro-crèche " Le Val des Bambins ", il n'est pas contesté que les contrôles sur place réalisés par les agents du service départemental de la protection maternelle et infantile les 6 septembre et 24 octobre 2018 se sont déroulés dans les locaux des deux établissements, que les courriers des 19 septembre et du 16 novembre 2018 enjoignent à la gestionnaires des deux établissements de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux manquements constatés au sein des deux structures et qu'il n'a pas été intégralement satisfait à ces injonctions. Dans ces conditions, s'il est vrai que la société " Le Val des Happy Babies " n'a pas été formellement destinataire de ces courriers, qui n'ont été adressés qu'à la société " Le Val des Bambins ", une telle omission n'a pas été susceptible, dans les circonstances de l'espèce, d'exercer une influence sur le sens de la décision prise, ni de priver la première société d'une garantie.
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 16 novembre 2018, le président du conseil départemental de la Moselle, estimant que l'accompagnement et le contrôle par le service départemental de la protection maternelle et infantile avait atteint ses limites et que les conditions d'accueil des enfants n'étaient plus garanties au sein des deux micro-crèches, a sollicité du préfet de la Moselle la mise en œuvre, pour les deux établissements, de toute mesure conservatoire utile à la préservation de l'intérêt de l'enfant. Dans ces conditions, si la mesure de fermeture contestée n'a pas été précédée, ainsi que le prévoient les dispositions de l'article L. 2324-3 du code de la santé publique, de l'avis du président du conseil départemental, une telle circonstance n'a pas été susceptible, dans les circonstances de l'espèce, d'exercer une influence sur le sens de décision prise, ni de priver les requérantes d'une garantie.
8. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté dans ses deux branches.
9. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, il résulte, tant des comptes rendus des contrôles de suivi effectués les 6 septembre et 24 octobre 2018, que des courriers d'injonction des 19 septembre et du 16 novembre 2018, que les agents du service départemental de la protection maternelle et infantile ont constaté des manquements au sein des deux établissements mis en cause. Dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le préfet de la Moselle se serait livré à un amalgame entre les deux structures et que la fermeture de la crèche " Le Val des Happy Babies " ne serait pas justifiée. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
10. En troisième lieu, il résulte des motifs de l'arrêté en litige du 27 novembre 2018 que, pour justifier la fermeture immédiate, totale et définitive des deux micro-crèches, le préfet de la Moselle a retenu essentiellement que ces deux établissements manquaient à leurs obligations réglementaires du fait de l'absence de recrutement d'un référent technique, pourtant exigé par les dispositions de l'article R. 2324-6-1 du code de la santé publique, et que leurs conditions de fonctionnement compromettaient la santé, la sécurité et le bien-être physique et moral des enfants confiés.
11. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le référent technique des deux micro-crèches, dont la mission consiste à accompagner et à coordonner l'activité des personnes chargées de l'encadrement des enfants, a démissionné de ses fonctions à la fin de l'année 2017 et que le service départemental de protection maternelle et infantile n'a été informé de ce changement qu'à l'occasion de sa visite de contrôle du 10 avril 2018. Si la gérante a recruté à ce poste une infirmière diplômée d'Etat le 12 septembre 2018, soit plus de neuf mois après la démission de son prédécesseur, il est constant que l'administration a refusé, le 23 octobre 2018, de valider ce recrutement au motif que l'intéressée ne possédait pas les qualifications mentionnées aux articles R. 2324-34 et R. 2324-35 du code de la santé publique. Dans ces conditions et alors même que les requérantes versent aux débats une attestation d'embauche du 8 novembre 2018 d'une éducatrice de jeunes enfants à compter du 4 février 2019, le grief tiré du manquement aux obligations réglementaires du fait de l'absence de recrutement d'un référent technique est établi.
12. D'autre part, il ressort également des pièces du dossier que les contrôles sur place effectués par les agents du service départemental de protection maternelle et infantile les 10 avril, 6 septembre et 24 octobre 2018 ont permis de mettre en évidence un accueil en surnombre des enfants, ainsi qu'une prise en charge inadaptée de ces enfants, caractérisée par une organisation inappropriée de la gestion des temps de repos et de repas, par des conduites éducatives préjudiciables à leur sécurité affective ou encore par la présence d'un dispositif de vidéo-surveillance filmant en permanence les locaux. Ont notamment été relevés par l'administration le manque d'échanges et d'interactions entre les enfants et leurs encadrants et des conduites consistant à laisser les enfants pleurer dans leur lit, à les laisser sans surveillance, à les isoler sur des chaises hautes dans des pièces inappropriées lorsqu'ils ne veulent pas faire leur sieste, à leur imposer des activités pour lesquelles ils ne manifestent aucun intérêt et à les contraindre à manger leur repas, parfois jusqu'au vomissement. De même, il résulte du compte rendu du contrôle de suivi du 24 octobre 2018 que la gérante a admis que son époux, qui aurait un " don ", pratiquait des massages sur les enfants au niveau de leur estomac pour les aider à digérer, alors qu'aucune formation ne l'autorise à effectuer de tels actes. Il ressort en outre des pièces du dossier que des faits de maltraitance ont été portés à la connaissance du service départemental de protection maternelle et infantile par des parents et par des salariés travaillant ou ayant travaillé dans les deux micro-crèches. Ainsi, lors d'un entretien téléphonique du 3 août 2018, un membre du personnel a confirmé des pratiques consistant à mettre de l'adhésif sur la bouche des enfants lorsqu'ils parlent trop, à leur mettre le poing dans la bouche lorsqu'ils pleurent ou à les maintenir de force en position fœtale sur leur lit lorsqu'ils se mettent en colère. Les requérantes, qui se bornent à produire des attestations et des messages téléphoniques de parents en leur faveur, ne contestent pas sérieusement la matérialité des faits ainsi reprochés, qui doivent être regardés comme établis.
13. Eu égard à la gravité et à la réitération des manquements constatés ou portés à la connaissance de l'administration et en l'absence d'amélioration dans la prise en charge des enfants malgré les injonctions adressées les 31 mai, 19 septembre et 16 novembre 2018, le préfet de la Moselle n'a pas commis d'erreur d'appréciation, ni de violation de loi, en prononçant la fermeture immédiate, totale et définitive des deux micro-crèches. En outre et alors d'ailleurs que le préfet fait valoir que les familles concernées par la fermeture ont fait l'objet d'un suivi par le service départemental de la protection maternelle et infantile afin de trouver une solution de remplacement pour la prise en charge de leurs enfants, il n'a pas davantage pris une sanction disproportionnée.
14. En quatrième et dernier lieu, si les requérantes, qui mettent plus particulièrement en cause un agent du service départemental de la protection maternelle et infantile qui a participé aux trois contrôle de suivi, font valoir que le département a délibérément cherché à leur nuire, le détournement de pouvoir, ainsi allégué, n'est pas établi.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société " Le Val des Bambins " et la société " Le Val des Happy Babies " ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Moselle du 27 novembre 2018 et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention du département de la Moselle n'est pas admise.
Article 2 : La requête de la société " Le Val des Bambins " et de la société " Le Val des Happy Babies " est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société " Le Val des Bambins ", à la société " Le Val des Happy Babies ", au ministre des solidarités et de la santé et au département de la Moselle.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
N° 19NC03513 2