Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 mars 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 8 juillet 2019, la SAS Sitpa, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1701406 du tribunal administratif de Nancy du 22 janvier 2019 ;
2°) d'annuler la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 24 mars 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le ministre du travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2014 pour défaut de motivation ;
- la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2014 étant légale, le ministre du travail a commis une erreur de droit en procédant au retrait de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par le salarié ;
- c'est à tort que le ministre du travail a décidé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur sa demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude du salarié ;
- M. D... ne conteste pas la réalité de son inaptitude et, s'il fait valoir que son arrêt de travail procédait d'une situation de harcèlement moral, il n'appartenait pas à l'inspectrice du travail d'apprécier l'origine de cette inaptitude ;
- elle a pleinement satisfait à son obligation de reclassement, laquelle ne s'étendait pas aux postes de travail nécessitant une formation initiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2019, M. F... D..., représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête, à la condamnation aux dépens de la SAS Sitpa et à la mise à sa charge d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me E... pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Filiale à 100% de la société Nestlé France, société du groupe suisse Nestlé, la SAS Société industrielle lorraine de transformation de produits agricoles (Sitpa) exerce une activité de transformation de produits agricoles dans le secteur de la nutrition infantile. M. F... D... était salarié de cette entreprise depuis le 13 septembre 1982. Agent de maîtrise et responsable de magasinage depuis le 1er juillet 1995 au sein de l'établissement d'Epinal, situé à Arches (Vosges), il était titulaire des mandats de délégué du personnel titulaire et de membre du comité d'établissement suppléant et bénéficiait ainsi du statut de salarié protégé. M. D... a été placé en congé de maladie du 20 septembre 2013 au 2 mai 2014. A l'issue des deux visites médicales de reprise, les 14 et 28 mai 2014, le médecin du travail l'a déclaré définitivement inapte à tous les postes de l'entreprise, mais apte à un poste équivalent dans d'autres entreprises ou sur d'autres sites. A nouveau placé en arrêt de travail, du 25 juin 2014 au 1er décembre 2014 pour un " syndrome dépressif lié à un harcèlement moral d'origine professionnelle ", M. D... a, dès le 25 juin 2015, déposé une demande de reconnaissance de sa pathologie comme maladie professionnelle. Par un jugement du 8 novembre 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges a ordonné à la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, la maladie ainsi déclarée par l'intéressé. Le 13 octobre 2014, la SAS Sitpa a sollicité l'autorisation de licencier son salarié pour inaptitude et absence de possibilité de reclassement. Par une décision du 14 novembre 2014, l'inspectrice du travail de la huitième section d'inspection de l'unité territoriale des Vosges a fait droit à cette demande. Licencié le 21 novembre 2014, M. D... a formé contre cette décision, par un courrier du 22 décembre 2014, reçu le 24 décembre suivant, un recours hiérarchique. Par une décision du 16 juin 2015, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, retiré la décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique née le 25 avril 2015, d'autre part, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2014, et, enfin, refusé d'autoriser le licenciement de M. D.... Par un jugement n° 1502042 du 24 janvier 2017, le tribunal administratif de Nancy a annulé pour erreur de fait, dans toutes ses composantes, la décision ministérielle du 16 juin 2015. A la suite de cette annulation contentieuse, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, de nouveau appelé à statuer sur le recours hiérarchique de M. D..., a, par une nouvelle décision du 24 mars 2017, retiré la décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique, annulé, pour insuffisance de motivation, la décision initiale de l'inspectrice du travail accordant l'autorisation de licenciement, et constaté " qu'il n'y avait plus lieu de statuer " sur la demande de l'employeur . La SAS Sitpa a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de cette décision ministérielle. Elle relève appel du jugement n° 1701406 du 22 janvier 2019 qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité de la décision du ministre du travail du 24 mars 2017 en tant qu'elle retire la décision implicite de rejet du recours hiérarchique et en tant qu'elle annule la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2014 :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. ". Aux termes de l'article L. 1226-12 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement. / L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi. / L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail. / S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III. ".
3. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1226-10 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en oeuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
4. D'autre part, il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article R. 2421-12 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, concernant les autorisations de licenciement des délégués du personnel ou des membres du comité d'entreprise, que " la décision de l'inspecteur du travail est motivée ". La motivation exigée par ces dispositions doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de la décision.
5. Il ressort des pièces du dossier et, plus particulièrement, des motifs de la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2014 que, s'agissant de l'obligation de reclassement pesant sur l'employeur, l'autorité administrative s'est bornée à relever qu'" il ressort des documents transmis que la recherche a été régulièrement réalisée ". En ne précisant pas en quoi les efforts de reclassement ont consisté, ni d'ailleurs le périmètre de la recherche, l'inspectrice du travail ne s'est pas prononcée sur la réalité des efforts de reclassement entrepris, alors qu'un tel élément de l'appréciation à laquelle l'administration doit se livrer lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude physique est au nombre des motifs qui doivent figurer dans sa décision. Contrairement aux allégations de la requérante, la seule référence aux courriels du 15 septembre 2014, par lesquels la SAS Sitpa a demandé à quelques entreprises du groupe Nestlé de préciser leur réponse en indiquant que la recherche avait été menée sur la base de l'avis du médecin du travail du 28 mai 2014, ne suffit pas à satisfaire à cette obligation de motivation. Par suite, la SAS Sitpa n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le ministre du travail a considéré que la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2014 était insuffisamment motivée et a prononcé, pour ce motif, son annulation. Par voie de conséquence, la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. D... le 22 décembre 2014, qui confirme la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2014, étant également entachée d'illégalité, le ministre du travail pouvait légalement procéder à son retrait.
En ce qui concerne la légalité de la décision du ministre du travail du 24 mars 2017 en tant qu'elle constate qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'autorisation de licenciement :
6. D'une part, aux termes de l'article L. 2422-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque le ministre compétent annule, sur recours hiérarchique, la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié investi de l'un des mandats énumérés ci-après, ou lorsque le juge administratif annule la décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ou du ministre compétent, le salarié concerné a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent. Cette disposition s'applique aux salariés investis d'un des mandats suivants : (...) 2° Délégué du personnel, titulaire ou suppléant (...) ; 3° Membre élu du comité d'entreprise, titulaire ou suppléant (...) ; (...) ".
7. D'autre part, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. Dans le cas où la décision de l'inspecteur du travail annulée par le ministre avait autorisé le licenciement demandé par l'employeur, cette décision de l'inspecteur du travail revêt le caractère d'une décision créatrice de droits au profit de l'employeur. Si le recours hiérarchique est dépourvu d'objet, notamment lorsque le contrat de travail a été rompu à l'initiative du salarié ou que l'inspecteur du travail a retiré sa décision et que ce retrait a acquis un caractère définitif, il en va différemment, lorsque le salarié qui a été licencié, n'a pas sollicité sa réintégration en application des dispositions de l'article L. 2422-1 du code du travail ou a manifesté son intention de ne pas réintégrer son entreprise.
8. Il ressort des pièces du dossier que le ministre du travail, après avoir retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. D... et annulé la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2014, a constaté " qu'il n'y avait plus lieu de statuer " sur la demande d'autorisation de licenciement de la SAS Sitpa au motif que, à la date où il s'est prononcé, le contrat de travail du salarié, qui n'a pas sollicité sa réintégration en application des dispositions de l'article L. 2422-1 du code du travail, devait être regardé comme restant rompu. Toutefois, s'il est vrai que M. D..., licencié le 21 novembre 2014, n'a pas sollicité, dans les deux mois suivant la notification de la décision ministérielle du 16 juin 2015, sa réintégration au sein de la SAS Sitpa en application des dispositions de l'article L. 2422-1 du code du travail, qu'il n'a pas davantage relevé appel du jugement n° 1502042 du tribunal administratif de Nancy du 24 janvier 2017 annulant la décision du 16 juin 2015 et, enfin, qu'il indique, dans ses écritures en défense, ne pas vouloir réintégrer son entreprise, de telles circonstances ne sauraient justifier que le ministre ne se prononce pas sur la demande d'autorisation de licenciement, dès lors que, d'une part, la rupture du contrat de travail ne résulte pas d'une initiative du salarié telle qu'une démission ou une prise d'acte de la rupture de son contrat, mais d'une mesure de licenciement prise à la seule initiative de l'employeur et que, d'autre part, le refus du ministre de se prononcer sur la demande d'autorisation aurait nécessairement pour effet de rendre illégal, pour absence d'autorisation administrative préalable, le licenciement de M. D..., alors salarié protégé, intervenu le 21 novembre 2014.
9. Il résulte de ce précède que la SAS Sitpa est fondée à soutenir que c'est à tort que le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a constaté qu' " il n'y avait plus lieu de statuer " sur sa demande d'autorisation de licenciement. Par suite, la requérante est également fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision du 24 mars 2017 en tant qu'elle a constaté qu'il " n'y avait plus lieu de statuer " sur cette demande.
Sur les dépens :
10. La présente instance n'ayant pas généré de dépens, les conclusions présentées par M. D... en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de justice :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la SAS Sitpa, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. D... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la requérante d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1701406 du tribunal administratif de Nancy du 22 janvier 2019 est annulé uniquement en tant qu'il rejette les conclusions à fin d'annulation de la SAS Sitpa dirigées contre la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue du 24 mars 2017 en tant qu'elle constate qu'il " n'y a plus lieu de statuer " sur la demande d'autorisation de licenciement de M. D....
Article 2 : La décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue du 24 mars 2017 est annulée uniquement en tant qu'elle constate qu'il " n'y a plus lieu de statuer " sur la demande d'autorisation de licenciement de M. D....
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Sitpa la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par M. D... en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Sitpa, à M. F... D... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
N° 19NC00720 2