Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 mai 2020, M. E... D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 10 mai 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 4 janvier 2018, par laquelle le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle à titre principal de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et subsidiairement de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne mentionne pas la convention franco-sénégalaise ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait et d'appréciation concernant l'inadéquation entre ses qualifications et l'emploi sur lequel il a postulé ;
- elle méconnaît les stipulations de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 12 novembre 2020, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention du 1er août 1995 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal sur la circulation et le séjour des personnes ;
- l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre la France et le Sénégal et de l'avenant à cet accord signé le 25 février 2008 ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant sénégalais, né en 1983, est entré régulièrement en France, en 2013, sous couvert d'un visa étudiant. L'intéressé a sollicité un changement de statut en qualité de salarié. Par une décision du 4 janvier 2018, le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer ce titre de séjour. Par un jugement du 5 novembre 2019, dont M. D... fait appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier que la décision en litige comporte un exposé suffisant des motifs pour lesquels le préfet de la Moselle a refusé d'accorder à M. D... un changement de statut en qualité de salarié. S'il est vrai que cette décision ne mentionne pas l'accord franco-sénégalais du 22 septembre 2006 relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre la France et le Sénégal, il ressort des termes de cet accord qu'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " n'est délivré au ressortissant sénégalais titulaire d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente, sans que soit prise en compte la situation de l'emploi, lorsque l'activité concerne l'un des métiers énumérés à son annexe IV. Il est constant, d'une part, que l'intéressé ne bénéficiait pas d'un contrat visé par la DIRECCTE et, d'autre part, que le poste d'assistant de magasin ne correspondait pas aux emplois énoncés à l'annexe IV, les fonctions de cet emploi étant plus large que celle d'un chef de rayon de produits frais ou d'un vendeur en alimentation générale. Ainsi, l'absence de mention de cet accord franco-sénégalais par la décision en litige n'est pas de nature à caractériser une insuffisance de motivation. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision en litige doit être écarté.
3. D'une part, aux termes de l'article 13 de la convention franco-sénégalaise relative à la circulation et au séjour des personnes signée à Dakar le 1er août 1995 : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation respective des deux États sur l'entrée et le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord ". Aux termes du sous-paragraphe 321 de l'article 3 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006, modifié par l'avenant signé le 25 février 2008, stipule que : " La carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", d'une durée de douze mois renouvelable, ou celle portant la mention " travailleur temporaire " sont délivrées, sans que soit prise en compte la situation de l'emploi, au ressortissant sénégalais titulaire d'un contrat de travail visé par l'Autorité française compétente, pour exercer une activité salariée dans l'un des métiers énumérés à l'annexe IV. (...) ". Cet annexe IV mentionne notamment les emplois de chef de rayon de produits frais ou d'un vendeur en alimentation générale.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : /1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié ". (...) / L'étranger se voit délivrer l'une des cartes prévues aux 1° ou 2° du présent article sans que lui soit opposable la situation de l'emploi sur le fondement de l'article L. 5221-2 du code du travail lorsque sa demande concerne un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et figurant sur une liste établie par l'autorité administrative, après consultation des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives. (...) ".
5. Il résulte des dispositions précitées que la situation de l'emploi au sens des dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article R. 5221-20 du code du travail peut être valablement opposée aux ressortissants sénégalais auxquels est offert un emploi dans un métier ne figurant pas à l'annexe IV de l'accord franco-sénégalais relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre la France et le Sénégal.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a sollicité un changement de statut en qualité de salarié en se prévalant d'un contrat à durée indéterminée avec la société Aldi pour un poste d'assistant de magasin. La demande d'autorisation de travail pour conclure un contrat de travail avec un salarié étranger adressée par la société Aldi à la DIRECCTE mentionne que ce poste d'assistant implique l'endossement des responsabilités du manager en son absence, l'accueil et l'encaissement des clients, la réception des marchandises, la mise en rayon, la gestion comptable, financière et des fonctions d'encadrement et de management des collaborateurs. Ainsi, contrairement à ce que soutient M. D..., cet emploi n'est pas assimilable à ceux limitativement énoncés à l'annexe IV de l'accord franco-sénégalais, en particulier aux postes de vente en alimentation générale et de chef de rayon de produits frais. Par suite, le préfet de la Moselle a pu, sans entacher sa décision d'une erreur de droit, lui opposer la situation de l'emploi.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est titulaire d'un master II de sciences et technologies mention agronomie et agroalimentaire et d'un master I " chef de projet commercial pour l'agroalimentaire ". S'il ressort de l'extrait Kbis que la société Aldi relève de la branche d'activité du " commerce de gros et de détail en alimentation générale et articles de ménage ", il n'en demeure pas moins que les formations du requérant, quand bien même elles sont en rapport avec l'agroalimentaire, ne sont pas en exacte adéquation avec le poste d'assistant de magasin sur lequel il a candidaté, compte tenu des diverses fonctions qu'il comporte. Par suite, en motivant également le refus de délivrer un titre de séjour à M. D... au motif que le poste d'assistant de magasin n'était pas en parfaite adéquation avec ses diplômes, le préfet de la Moselle ne s'est pas fondé sur des faits inexacts et n'a pas commis une erreur d'appréciation.
8. Aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; / 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule ; / Lorsque la demande concerne un étudiant ayant achevé son cursus sur le territoire français cet élément s'apprécie au regard des seules études suivies et seuls diplômes obtenus en France ; (...) ".
9. Pour refuser le changement de statut sollicité, le préfet de la Moselle s'est fondé sur l'avis défavorable de la DIRECCTE au motif que la société Aldi n'avait pas justifié avoir cherché à recruter un candidat sur le marché de l'emploi local. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que la société Aldi a mentionné dans sa lettre d'accompagnement de la demande d'autorisation qu'elle n'avait conservé aucun curriculum vitae des candidats qui avaient postulés. Il n'est pas contesté que l'emploi d'assistant de magasin ne figure pas sur la liste annexée à l'arrêté du 18 janvier 2008 des métiers en tension en Lorraine. Si les données produites par la DIRECCTE pour justifier de l'existence de demandeurs d'emplois sur le marché local de l'emploi datent de 2015, M. D... n'apporte aucune contestation sérieuse à l'appréciation portée par le préfet sur la situation déficitaire des offres d'emploi pour ce poste d'assistant de magasin à la date de la décision en litige alors qu'il ne figure pas sur la liste annexée à l'arrêté du 18 janvier 2008 des métiers en tension en Lorraine. En outre, ainsi qu'il a été indiqué au point 7, ses qualifications ne sont pas en parfaite adéquation avec le poste sur lequel il a candidaté. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision du préfet de la Moselle, qui a procédé à un examen particulier de sa situation, serait entachée d'une erreur d'appréciation.
10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Si M. D... a conclu un pacte civil de solidarité avec une ressortissante française enregistré le 8 novembre 2019, cette circonstance est postérieure à la date de la décision en litige. En outre, l'intéressé n'apporte aucun élément pour établir la date et l'ancienneté de la vie commune avec cette ressortissante française qui, dans son attestation, s'est bornée à mentionner qu'elle l'hébergeait, sans plus de précision. Enfin, l'intéressé, qui est entré en France en vue de poursuivre des études, a vécu jusqu'à l'âge de trente ans dans son pays d'origine où il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales. Par suite, compte tenu des conditions ainsi que de la durée du séjour de M. D... en France, l'arrêté du préfet de la Moselle n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Dès lors, il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par le requérant à fin d'injonction ainsi que celles sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Moselle.
N° 20NC01139 2