Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 mars 2020, et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 20 novembre 2020 et 15 mars 2021, M. E... F..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1901279 du tribunal administratif de Strasbourg du 30 janvier 2020 ;
2°) d'annuler la décision du directeur de l'Ecole nationale d'administration du 17 décembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au directeur de l'Ecole nationale d'administration de le rétablir dans ses droits à compter de la date de sa suspension ;
4°) de mettre à la charge de l'Ecole nationale d'administration une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la décision du 17 décembre 2018, qui constitue en réalité une sanction disciplinaire, n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire, méconnaît le principe de la présomption d'innocence garanti au deuxième paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est disproportionnée au regard des faits qui lui sont reprochés ;
- à supposer même que la décision en litige constitue une mesure de suspension prise à titre conservatoire, les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis et, en tout état de cause, ne présentent pas le caractère de gravité et d'urgence exigé par le deuxième alinéa de l'article 85 de l'arrêté du 4 décembre 2015 portant approbation du règlement intérieur de l'Ecole nationale d'administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 5 janvier 2021, l'Ecole nationale d'administration, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête, qui ne comporte pas de critique du jugement de première instance, est irrecevable et, subsidiairement, que les moyens invoqués par M. F... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté du 4 décembre 2015 portant approbation du règlement intérieur de l'Ecole nationale d'administration ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour l'Ecole nationale d'administration.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... F... a été admis à l'Ecole nationale d'administration en qualité d'auditeur de la promotion 2017-2019 du mastère spécialisé " Prévention et gestion territoriales des risques ". Se déroulant du 19 octobre 2017 au 4 mai 2018, la formation dispensée était suivie d'une période de stage en administration de huit cent cinquante heures à effectuer entre les mois de juin et décembre 2018 et devait s'achever avec la soutenance, au cours de l'année 2019, d'une thèse professionnelle. Par une décision du 17 décembre 2018, le directeur de l'Ecole nationale d'administration a décidé de suspendre provisoirement le requérant de sa qualité d'auditeur de ce mastère, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 85 de l'arrêté du 4 décembre 2015, portant approbation du règlement intérieur de l'Ecole nationale d'administration, jusqu'à la fin de l'enquête interne diligentée par l'ambassade de France aux Etats-Unis sur le comportement de l'intéressé lors du stage effectué au sein de cette ambassade. Initialement prévu du 2 juillet au 28 décembre 2018, ce stage s'est terminé, de façon anticipée, le 23 novembre 2018 par un avenant du même jour à la convention de stage. Sans attendre l'issue de son recours gracieux, formé par un courrier du 12 février 2019, le requérant a saisi, dès le 19 février suivant, le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 17 décembre 2018, d'autre part, à la condamnation de l'Ecole nationale d'administration à lui verser les sommes d'un euro en réparation de son préjudice moral et de 8 500 euros au titre du remboursement de ses frais de scolarité. M. F... relève appel du jugement n° 1901279 du 30 janvier 2020 qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 84 de l'arrêté du 4 décembre 2015 : " Dans les cas graves et urgents, le directeur de l'école peut exclure un auditeur de la formation suivie ". Aux termes de l'article 85 du même arrêté, également applicable aux auditeurs à l'Ecole nationale d'administration : " (...) / Dans les cas graves et urgents, le directeur de l'école peut prononcer la suspension d'un élève jusqu'à décision définitive. / (...) / Aucune mesure disciplinaire ne peut être prononcée sans que l'intéressé n'ait été convoqué et mis en état de présenter sa défense. ".
3. Il ressort, tant des motifs de la décision en litige du 17 décembre 2018 que des autres pièces du dossier, que la mesure de suspension prise à l'encontre de M. F... a été exclusivement motivée par l'intérêt du service et qu'elle est dépourvue de toute intention de punir. Dans ces conditions, alors même qu'une procédure disciplinaire a ultérieurement été engagée à l'encontre de l'intéressé, qui a conduit, après avis favorable du conseil de discipline, à son exclusion définitive de la formation le 30 octobre 2019 en application de l'article 84 de l'arrêté du 4 décembre 2015 et de l'article 6 du règlement intérieur du mastère spécialisé " Prévention et gestion territoriale des risques " du 4 octobre 2016, la mesure de suspension litigieuse ne peut être regardée comme présentant le caractère d'une sanction disciplinaire. Il en résulte que le requérant ne saurait utilement se prévaloir des dispositions des articles 21 et 22 du règlement intérieur applicable aux mastères spécialisés de l'Ecole nationale d'administration, qui sont relatives aux sanctions et aux procédures disciplinaires et qui, en tout état de cause, ont été adoptées le 18 février 2020, postérieurement à la décision en litige. De même, il ne saurait utilement soutenir que la mesure de suspension contestée aurait été prise en méconnaissance du principe du contradictoire et de celui de la présomption d'innocence, garanti par le deuxième paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'elle serait disproportionnée au regard des faits reprochés. Par suite, ces différents moyens doivent être écartés comme inopérants.
4. En deuxième lieu, la suspension d'un auditeur à l'Ecole nationale d'administration, sur la base des dispositions du deuxième alinéa de l'article 85 de l'arrêté du 4 décembre 2015, est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service public de l'enseignement et de la formation. Elle ne peut être prononcée que lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que la poursuite des activités de l'intéressé, au sein de l'établissement, présente des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours. Eu égard à la nature de l'acte de suspension prévu par les dispositions en cause et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère vraisemblable de certains faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision. Les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent ainsi, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte. L'administration est en revanche tenue d'abroger la décision en cause si de tels éléments font apparaître que la condition tenant à la vraisemblance des faits à l'origine de la mesure n'est plus satisfaite.
5. Il ressort des pièces du dossier, spécialement du courriel du 22 novembre 2018 adressé par l'ambassadeur de France aux Etats-Unis au ministère français des affaires étrangères, ainsi que des comptes rendus d'entretien joints à celui-ci, que, le 19 novembre 2018, deux stagiaires de l'ambassade, affectées respectivement au secrétariat général et à la chambre de commerce franco-américaine, se sont présentées au poste de sécurité pour déclarer qu'elles avaient été harcelées et agressées sexuellement par M. F..., stagiaire en poste à la chancellerie diplomatique. Reçues séparément le 20 novembre 2018 par le premier conseiller d'ambassade, sous la responsabilité duquel le requérant effectuait son stage, et par la cheffe du détachement de sécurité de l'ambassade, dans le cadre de l'enquête administrative interne diligentée à la demande de l'ambassadeur, les jeunes femmes décrivent, de façon claire, précise et circonstanciée, les agissements de l'intéressé à leur encontre, lesquels se sont répétés en diverses occasions pendant plusieurs semaines. La matérialité d'une partie de ces agissements, dont il ressort des témoignages qu'ils ne se limitaient pas aux deux stagiaires à l'origine des accusations, est corroborée, en outre, par le directeur général de la chambre de commerce franco-américaine et par un autre stagiaire. Les faits ainsi reprochés au requérant ont été considérés comme suffisamment sérieux et graves par l'administration pour justifier la mise en place de mesures de protection au profit des jeunes femmes, une cessation anticipée du stage de l'intéressé le 23 novembre 2018 et un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale le 20 décembre 2018.
6. Contrairement aux allégations de M. F..., l'ambassade de France aux Etats-Unis était parfaitement habilitée à diligenter une enquête administrative interne sur des faits graves portés à sa connaissance, mettant en cause des membres de son personnel et survenus, au moins en partie, dans ses locaux. De même, les circonstances que la cheffe du détachement de sécurité de l'ambassade soit la logeuse d'une des stagiaires et que le directeur général de la chambre de commerce franco-américaine soit le supérieur hiérarchique de l'autre ne sauraient être regardées comme constitutives d'un conflit d'intérêts susceptible d'affecter la régularité de cette enquête. Enfin, s'il est vrai que l'Ecole nationale d'administration ne figure pas parmi les destinataires du courriel de l'ambassadeur du 22 novembre 2018, il est constant que le premier conseiller d'ambassade qui a conduit les entretiens a, le 14 décembre 2018, porté les résultats de l'enquête à la connaissance du directeur adjoint de la formation en charge de la recherche et des masters, qui, le jour même, a rédigé une note à l'attention du directeur de l'école. Ainsi, à la date de la décision en litige du 17 décembre 2018, les informations dont disposait l'autorité administrative présentait, eu égard notamment à la nature des agissements en cause, un caractère suffisant de vraisemblance, de gravité et d'urgence pour justifier le prononcé, à titre conservatoire, d'une mesure de suspension.
7. S'il est vrai que M. F..., qui a été entendu à deux reprises le 21 novembre 2018, nie catégoriquement les faits qui lui sont reprochés et se dit victime d'un complot, ni les trois attestations en sa faveur, datées des 9 et 10 juillet 2020, qui sont postérieures à la décision en litige, ni le courriel du 22 novembre 2018 adressé par ses soins à son responsable de stage, ni les échanges de SMS et les photographies, qui ne permettent pas de tenir pour établie l'existence d'une relation amoureuse entre l'intéressé et l'une des stagiaires, ne sont de nature à remettre en cause l'appréciation à laquelle s'est livré le directeur de l'Ecole nationale d'administration. De même, le requérant ne saurait utilement soutenir que les jeunes femmes à l'origine des accusations sont des amies très proches, qu'elles n'auraient fait l'objet d'aucun suivi médical ou psychologique, qu'aucun reproche n'a pu lui être adressé sur le lieu même de la scolarité depuis octobre 2017 et qu'il ne fait l'objet d'aucune poursuite pénale. Enfin, les circonstances que le rapporteur public, lors de l'audience devant le tribunal administratif de Strasbourg du 21 novembre 2019, avait conclu, au vu des éléments du dossier, à l'annulation de la décision en litige et que les premiers juges ont finalement rejeté la demande dont ils étaient saisis, en se fondant sur des pièces produites tardivement par l'Ecole nationale d'administration dans sa note en délibéré reçue le 25 novembre 2019, dont la teneur a conduit au renvoi de l'affaire à l'audience du 9 janvier 2020, sont sans incidence aucune sur la légalité de la décision en litige. Par suite, les moyens tirés de ce que les faits reprochés ne seraient pas suffisamment établis et qu'ils ne présenteraient pas le caractère de gravité et d'urgence, exigé par les dispositions du deuxième alinéa de l'article 85 de l'arrêté du 4 décembre 2015, ne peuvent qu'être écartés.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de
non-recevoir opposée en défense par l'Ecole nationale d'administration, que M. F... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision en litige du 17 décembre 2018. Par suite, il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de justice :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Ecole nationale d'administration, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. F... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du requérant le versement à la défenderesse d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : M. F... versera à l'Ecole nationale d'administration une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me B... pour M. E... F... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et à l'Ecole nationale d'administration.
N° 20NC00775 2