Par un jugement n° 2005176 du 28 août 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 20 août 2020.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 25 septembre 2020, sous le n° 20NC02795, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2005176 du 28 août 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. C....
Il soutient qu'il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2020, M. A... C..., représenté par Me D..., conclut à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire, au rejet de la requête, dans l'hypothèse où le jugement de première instance serait annulé, à l'annulation de l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 20 août 2020 et, dans tous les cas, à la mise à la charge de l'Etat du versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que le moyen invoqué par le préfet du Haut-Rhin n'est pas fondé.
M. C... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 novembre 2020.
II. Par une requête, enregistrée le 28 octobre 2020, sous le n° 20NC03144, M. A... C..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1909268 du tribunal administratif de Strasbourg du 25 juin 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 12 septembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer un certificat de résidence ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant l'instruction de son dossier.
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un certificat de résidence est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préfet du Haut-Rhin n'a pas fait usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation ;
- la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un certificat de résidence ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un certificat de résidence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2021, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 novembre 2020.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 20NC02795 et n° 20NC03144, présentées respectivement par le préfet du Haut-Rhin et pour M. C..., concernent la situation d'un même étranger au regard de son droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions analogues et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. A... C... est un ressortissant algérien, né le 2 avril 1970. Il a déclaré être entré irrégulièrement en France, en dernier lieu, le 16 septembre 2008, sous couvert de son passeport et d'un titre de séjour espagnol, après avoir vécu et travaillé pendant dix années en Espagne. En 2011, à la suite du rejet par le préfet des Yvelines de sa demande d'admission au séjour présentée le 24 février 2010, il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement à laquelle il n'a pas déféré. Le 19 août 2019, l'intéressé a sollicité la délivrance d'un certificat de résidence sur le fondement des stipulations du 1) du deuxième alinéa de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles. Toutefois, par un arrêté du 12 septembre 2019, le préfet du Haut-Rhin a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. Le 20 août 2020, le préfet a également prononcé son assignation à résidence dans le département du Haut-Rhin jusqu'à son départ du territoire français. M. C... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg de deux demandes tendant respectivement à l'annulation des arrêtés préfectoraux des 12 septembre 2019 et 20 août 2020. Il relève appel du jugement n° 1909268 du 25 juin 2020 qui rejette sa demande dirigée contre l'arrêté du 12 septembre 2019. Le préfet du Haut-Rhin, quant à lui, relève également appel du jugement n° 2005176 du 28 août 2020 qui annule l'arrêté du 20 août 2020.
En ce qui concerne la requête n° 20NC03144 :
Sur le bien-fondé du jugement :
S'agissant de la décision portant refus de délivrance d'un certificat de résidence :
3. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : 1) Au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ; ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. / (...) ".
4. Les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatives aux différents titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers en général et aux conditions de leur délivrance, s'appliquent, ainsi que le rappelle l'article L. 111-2 du même code, " sous réserve des conventions internationales ". En ce qui concerne les ressortissants algériens, les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régissent, d'une manière complète et exclusive, les conditions dans lesquelles ils peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Toutefois, si l'accord franco-algérien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., arrivé en France le 16 septembre 2008 à l'âge de trente-huit ans, a été accueilli, le 18 août 2011, par la communauté Emmaüs de Cernay (Haut-Rhin) et que, depuis cette date, il y réside de manière ininterrompue et y travaille comme compagnon travailleur solidaire. Nourri, logé et blanchi en cette qualité, l'intéressé, dont l'embauche a été déclarée à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) le 13 septembre 2011, perçoit une allocation mensuelle équivalant à 40 % du salaire minimum de croissance (Smic), soit 180 euros en août 2011, 360 euros de septembre 2011 à janvier 2017, 361 euros de février à mai 2017, 365 euros de juin 2017 à mai 2018 et 370 euros de juin 2018 à octobre 2020. Il résulte également des relevés de cotisations au titre des années 2018, 2019 et 2020 que le requérant travaille 169 heures par mois, ce qui représente un volume horaire hebdomadaire largement supérieur à 35 heures. Dans leur rapport du 12 décembre 2019, les deux
co-responsables de la communauté Emmaüs de Cernay soulignent la diversité des fonctions occupées par M. C... au sein de cette communauté au cours de la période considérée, les compétences et le savoir-faire acquis par lui, tant en France qu'en Espagne dans le secteur du bâtiment, sa parfaite maîtrise du français, ses qualités professionnelles et humaines. Cette appréciation est corroborée par les dix-sept attestations versées au dossier, émanant de salariés, de bénévoles et des deux co-présidents de la communauté Emmaüs de Cernay, qui mettent en exergue la qualité de l'intégration socio-professionnelle de l'intéressé. Enfin, il est constant que le requérant a épousé en Algérie, le 7 juillet 2018, une compatriote, titulaire d'un certificat de résidence de dix ans et avec laquelle il a une relation depuis 2015. Si son épouse, ainsi que le fils adoptif de celle-ci, vivent en région parisienne, il n'est pas sérieusement contesté que les intéressés se voient régulièrement les fins de semaine et pendant les vacances. Par suite, alors même qu'il n'est pas isolé dans son pays d'origine, où résident notamment son père, deux frères et trois soeurs, et qu'il entre dans les catégories ouvrant droit au regroupement familial, M. C... est fondé à soutenir, eu égard à l'ancienneté de son séjour en France et à son degré d'insertion dans la société française, que le préfet du
Haut-Rhin a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Haut-Rhin de délivrer à M. C... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
En ce qui concerne la requête n° 20NC02795 :
8. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5 du présent arrêt, le préfet du Haut-Rhin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a considéré qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation et a annulé, pour défaut de base légale, l'arrêté du 20 août 2020. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant au rejet de la demande de première instance.
En ce qui concerne les frais de justice :
9. M. C... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans les deux dossiers, son conseil peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me D... de la somme totale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve que la seconde renonce à percevoir la part contributive du premier à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : La requête n° 20NC02795 du préfet du Haut-Rhin est rejetée.
Article 2 : Le jugement n° 1909268 du tribunal administratif de Strasbourg du 25 juin 2020 est annulé.
Article 3 : L'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 12 septembre 2019 est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au préfet du Haut-Rhin de délivrer à M. C... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à Me D..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir sa part contributive au titre de l'aide juridictionnelle, la somme totale de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête n° 20NC03144 est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Me D... pour M. A... C... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
N° 20NC02795 et 20NC03144 2