Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 mars 2020, Mme F..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1902525 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 31 janvier 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Marne du 31 juillet 2019 ;
3°) de condamner l'Etat aux dépens et de mettre à sa charge le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'inexactitudes matérielles ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 9 du code civil et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît également les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle contrevient aux dispositions de l'article L 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision en litige est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas été informée qu'elle pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement et que le préfet de la Marne ne lui a pas donné la possibilité de faire valoir ses observations ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 9 du code civil et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît également les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- la décision portant fixation du pays de destination a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions de l'article 9 du code civil et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été régulièrement communiquée au préfet de la Marne qui n'a pas défendu dans la présente instance.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... est une ressortissante de la République démocratique du Congo née le 27 novembre 1998. Elle a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 10 mars 2015. Mineure isolée, elle a été prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Marne jusqu'à sa majorité. Le 29 octobre 2018, elle a sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, par un arrêté du 31 juillet 2019, le préfet de la Marne a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. Mme E... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 31 juillet 2019. Elle relève appel du jugement n° 1902525 du 31 janvier 2020 qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige a été signée par M. Denis Gaudin, secrétaire général de la préfecture de la Marne. Or, par un arrêté du 14 janvier 2019, régulièrement publié le jour même au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Marne a consenti à l'intéressé une délégation de signature à l'effet de signer tous actes relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception de certaines catégories de mesures au nombre desquelles ne figurent pas les décisions relatives au séjour et à l'éloignement des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire de l'acte manque en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, contrairement aux allégations de la requérante, la décision en litige énonce, dans ses visas et motifs, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, et alors qu'il n'est pas démontré que le préfet de la Marne aurait été informé de ce que l'intéressée aurait été abandonné par le père de son premier enfant et qu'elle vivrait désormais en couple avec le père du second, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté.
4. En troisième lieu, eu égard aux pièces du dossier, le préfet de la Marne n'a pas entaché la décision en litige d'une inexactitude matérielle en affirmant que Mme E... " ne justifie d'aucune activité, qu'elle soit d'ordre professionnel, associatif ou caritatif sur le territoire français depuis son arrivée ". A supposer qu'il ait indiqué à tort que les quatre années de présence en France de l'intéressée " se sont déroulées sous couvert d'une situation irrégulière " et que ses parents vivent toujours en République démocratique du Congo, de telles erreurs demeurent, en tout état de cause, sans incidence sur le sens de la décision prise. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait ne peut être accueilli.
5. En quatrième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. ".
6. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant par là-même des motifs exceptionnels exigés par la loi. Il appartient en effet à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger, ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
7. En se bornant à invoquer la présence en France de ses deux enfants mineurs, nés respectivement les 24 décembre 2015 et 21 janvier 2018, celle de son compagnon, ressortissant de la République démocratique du Congo et père de sa fille cadette, et la scolarisation de son fils aîné, Mme E... ne justifie pas que son admission au séjour sur le fondement du premier alinéa de l'article L 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile répondrait à des considérations humanitaires ou à des motifs exceptionnels. Si l'intéressée a obtenu, le 4 juillet 2017, un certificat d'aptitude professionnelle d'assistante technique en milieux familial et collectif et qu'elle bénéficie, depuis le 14 juin 2019, d'un accompagnement par la mission locale pour la jeunesse de Reims en vue de la construction de son projet professionnel, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait titulaire d'un contrat de travail ou d'une promesse d'embauche. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être accueilli.
8. En cinquième lieu, Mme D... ne saurait utilement invoquer, pour contester la légalité d'une décision administrative, les dispositions de l'article 9 du code civil aux termes desquelles " chacun a droit au respect de sa vie privée (...) ".
9. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
10. Mme E... fait valoir qu'elle est arrivée en France le 10 mars 2015 alors qu'elle était mineure. Elle se prévaut également de l'exemplarité de sa scolarité et de l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle, de son intégration dans la société française et de la présence à ses côtés de ses deux enfants mineurs et de son compagnon. Toutefois, il n'est pas contesté que ce dernier est en situation irrégulière et que rien ne s'oppose à ce que l'intéressée reconstitue sa cellule familiale en République démocratique du Congo, ni à ce que le fils et la fille de l'intéressée y poursuivent une existence et une scolarité normale. En outre, les circonstances que la requérante n'a jamais connu son père et que sa mère est décédée en 2004 ne suffisent pas à démontrer qu'elle serait isolée dans son pays d'origine. Par suite, et alors que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu qu'il estime le plus approprié pour y développer une vie privée et familiale, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de la méconnaissance de ces stipulations et de celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
11. En septième et dernier lieu, pour les motifs qui viennent d'être exposés, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige serait entachée d'une erreur manifeste de sa situation personnelle au regard du pouvoir de régularisation du préfet de la Marne.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
12. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de l'incompétence de l'auteur de l'acte, de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour, de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfants, de l'erreur manifeste d'appréciation et, en tout état de cause, de la violation des dispositions de l'article 9 du code civil.
13. En second lieu, lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche, qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer que, en cas de rejet de sa demande, il pourra faire l'objet, le cas échéant, d'une mesure d'éloignement du territoire français. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ou de compléter ses observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français, laquelle est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour.
14. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme E... aurait vainement sollicité un entretien avec les services préfectoraux, ni qu'elle aurait été empêchée, lors du dépôt et au cours de l'instruction de sa demande de titre de séjour, de faire valoir auprès de l'administration tous les éléments jugés utiles à la compréhension de sa situation personnelle. Par suite et alors que l'intéressée ne pouvait raisonnablement ignorer que, en cas de rejet de cette demande, elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu, tel que garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne, ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de destination :
15. Compte tenu de ce qui a déjà été dit, il y a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de l'incompétence de l'auteur de l'acte, du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfants et, en tout état de cause, de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article 9 du code civil.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Marne du 31 juillet 2019. Par suite, elle n'est pas davantage fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative et ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
N° 20NC00765 2