Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 avril 2020, M. E... A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1903030 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 mars 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aube du 12 novembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêté à intervenir, de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est insuffisamment motivée ;
- sa situation personnelle n'a pas fait l'objet d'un examen particulier et approfondi ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les éléments invoqués par le préfet de l'Aube ne sont pas de nature à remettre en cause la présomption de validité des actes d'état civil étrangers institué à l'article 47 du code civil ;
- la décision en litige méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle contrevient encore aux dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'un erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2020, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Ressortissant ivoirien, M. E... A... a déclaré être entré irrégulièrement en France le 29 juillet 2018. Se disant né le 20 avril 2001, il a été pris en charge, le 6 août 2018, en tant que mineur isolé, par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Aube jusqu'à sa majorité. Le 29 mars 2019, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 12 novembre 2019, le préfet de l'Aube a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. M. A... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2019. Il relève appel du jugement n° 1903030 du 23 mars 2020 qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision en litige énonce, dans ses visas et motifs, les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Elle est suffisamment motivée au regard des exigences énoncées à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, il ne ressort ni des motifs de la décision en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de l'Aube se serait abstenu de procéder à un examen particulier de la situation personnelle de M. A.... Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L 313-2 n'est pas exigé. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 311-2-2 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015, relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications ".
5. Il résulte des dispositions de l'article 47 du code civil que, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles. Si l'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En revanche, l'autorité administrative n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir sa naissance au 20 avril 2001 et, partant, son état de minorité lors de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, M. A... produit un extrait du registre des actes de l'état civil pour l'année 2001, un certificat de nationalité ivoirienne du 17 septembre 2018, une carte d'immatriculation consulaire, valable du 11 mars 2019 au 10 mars 2022, et un passeport ivoirien, valable du 25 avril 2019 au 24 avril 2024. Pour contester l'authenticité de ces différents documents, le préfet de l'Aube s'est fondé sur le rapport d'examen technique documentaire du 20 février 2018, établi par un analyste en fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale de la police aux frontières de Metz. Or, selon ce rapport, l'extrait du registre des actes de l'état civil pour l'année 2001, qui n'a pas la valeur d'un acte de naissance, présente toutes les caractéristiques d'un document contrefait. Il constitue, en outre, la transcription d'un jugement supplétif n° 3039 du 29 décembre 2001, dont il n'est pas possible d'apprécier, faute d'avoir été communiqué à l'administration, les conditions dans lesquelles il a été rendu et l'exactitude des mentions qui y figurent. De même, eu égard à l'absence d'authenticité de cet extrait sur la base duquel ont été établis le certificat de nationalité ivoirienne, la carte d'immatriculation consulaire et le passeport ivoirien, la production par M. A... de tels documents, quand bien même ils présenteraient un caractère authentique, n'emporte aucune force probante quant à l'état civil qui y est indiqué. Si le requérant produit, à hauteur d'appel, une " copie intégrale d'acte de naissance ou de jugement supplétif ", délivrée le 14 avril 2020, il est constant que cette copie n'est pas davantage accompagnée du jugement supplétif n° 6538 du 29 décembre 2001 qu'elle est censée transcrire, lequel jugement, au demeurant, s'il a été rendu le même jour que le précédent, porte un numéro différent. Dans ces conditions, le préfet de l'Aube a pu légalement considérer, sans avoir à saisir les autorités ivoiriennes sur ce point et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que les autorités judiciaires françaises, sur la base des mêmes documents, ont confié M. A... au service de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité, que les éléments en sa possession étaient suffisants pour écarter comme dépourvus de valeur probante les actes d'état civil fournis par l'intéressé et renverser la présomption simple résultant de l'article 47 du code civil. Il a pu ainsi en déduire que, en l'absence de certitude sur sa date de naissance véritable, le requérant ne démontrait pas qu'il avait été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et celui de dix-huit ans. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être accueilli.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'est présent sur le territoire français que depuis le 29 juillet 2018 et qu'il a bénéficié d'une prise en charge en qualité de mineur étranger isolé sur la base d'actes d'état civil dont l'authenticité a été remise en cause. Célibataire et sans enfant à charge, il ne justifie pas d'attaches familiales ou personnelles sur le territoire français. Il n'est pas isolé, en revanche, dans son pays d'origine, où vivent notamment son père et ses trois demi-soeurs. Dans ces conditions et alors même que le requérant est inscrit en deuxième année de certificat d'aptitude professionnelle de pâtisserie dans le cadre d'un contrat d'apprentissage, que ses enseignants et son employeur soulignent son sérieux et son investissement, que sa structure d'accueil a émis un avis favorable sur sa capacité d'insertion dans la société française et qu'il pratique le football au niveau régional, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
9. En cinquième lieu, pour les mêmes motifs que précédemment, le préfet de l'Aube, en prenant la décision en litige, n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé au regard de son pouvoir de régularisation. Par suite, le moyen doit être écarté.
10. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. "
11. M. A..., qui se prévaut essentiellement de sa scolarisation en centre de formation des apprentis, de son contrat d'apprentissage et de sa capacité d'intégration dans la société française, ne justifie d'aucun motif exceptionnel ou humanitaire, au sens des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance desdites dispositions doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
12. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour.
13. Il résulte de tout ce qui précède M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 12 novembre 2019. Par suite, il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions à fin d'application application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être écartés.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.
N° 20NC00947 2