Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 avril 2019 et le 15 janvier 2021, M. C... A... et Mme H... A..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 février 2019 ;
2°) de condamner la commune de Pagny-les-Goin à leur verser la somme globale de 58 405 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 21 octobre 2010, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de leur demande indemnitaire.
3°) de mettre à la charge de la commune de Pagny-les-Goin la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Ils soutiennent que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne répond pas aux exigences de l'article R. 741-1 du code de justice administrative.
- leurs conclusions visées par le jugement sont erronées.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- les premiers juges ont méconnu leur office en prenant en compte, dans les causes d'exonération, des évènements postérieurs à 2015 et d'autres antérieurs à la décision illégale du 21 octobre 2010 ;
- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs ;
- les premiers juges se sont fondés sur des faits matériellement inexacts ;
- ils ne se sont pas placés dans une situation irrégulière ;
- leur dommage ne peut être regardé comme étant la conséquence directe et exclusive de leur comportement, ce qui revient à nier l'impact de la décision illégale du 21 octobre 2010 ;
- l'arrêt des travaux est consécutif à la décision du 21 octobre 2010 qui constitue la cause de leur dommage ; aucun permis de construire modificatif n'était nécessaire pour leurs travaux ainsi que l'a relevé le tribunal administratif de Strasbourg dans son jugement du 5 juillet 2012 ;
- en tout état de cause, leur préjudice ne peut être regardé comme étant exclusivement imputable à leur faute, à supposer qu'ils en aient commise une, alors que la décision du 21 octobre 2010 est entachée d'une illégalité pour un motif de légalité interne ;
- l'injonction faite à l'usine d'électricité de Metz (UEM) de cesser le raccordement électrique les a empêchés de pouvoir louer leur immeuble ; ils ont droit à la réparation intégrale de leur préjudice sans que puissent être pris en considération des faits antérieurs ou postérieurs à la décision illégale ;
- l'amende infligée par le tribunal à leur encontre pour procédure abusive n'est pas justifiée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2020, la commune de Pagny-les-Goin, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me B... pour M. et Mme A... et de Me E... pour la commune de Pagny-les-Goin.
1. M. et Mme A... ont déposé, le 26 juin 2008, une demande de permis de construire en vue d'aménager six logements d'habitation dans un bâtiment existant à usage artisanal et agricole situé à Pagny-les-Goin. Par un arrêté du 25 septembre 2008, le préfet de la Moselle leur a accordé ce permis. Le maire de la commune de Pagny-les-Goin a refusé, par un arrêté du 23 juin 2009 délivré au nom de l'Etat, d'accorder le permis de construire modificatif sollicité par M. et Mme A.... Le 25 juin 2009, le maire de Pagny-les-Goin a ordonné aux intéressés de cesser immédiatement les travaux entrepris dans le bâtiment. Par une décision du 21 octobre 2010, le maire de Pagny-les-Goin a enjoint à la société concessionnaire du réseau de distribution d'électricité (UEM) de cesser tout raccordement électrique de leur immeuble, en application des dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme. Par une ordonnance du 5 mai 2011, le tribunal administratif de Strasbourg a suspendu l'exécution de cette décision puis, par un jugement du 5 juillet 2012, devenu définitif, l'a annulée. M. et Mme A... ont vainement demandé à la commune la réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 21 octobre 2010. Par le jugement du 14 février 2019, dont font appel M. et Mme A..., le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement de première instance attaqué a été signée par le président de la formation de jugement, par le rapporteur et par le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature dont serait entachée cette minute manque en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, les requérants font valoir que le tribunal administratif a dénaturé leur demande en mentionnant qu'ils sollicitaient la réparation de leurs préjudices causés par la décision du 21 octobre 2010, alors qu'ils se prévalaient de l'illégalité de cette décision. Toutefois, si les premiers juges ont mentionné dans le jugement attaqué que M. et Mme A... demandaient au tribunal " 1°) de condamner la commune de Pagny-les-Goin à leur verser la somme de 58 405 euros en réparation du préjudice que leur a[avait] causé la décision du 21 octobre 2010 enjoignant au concessionnaire du réseau de distribution d'électricité de cesser tout raccordement électrique ; ", ils ont bien relevé, dans les motifs de leur jugement, que cette décision, annulée par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg, était illégale et donc de nature à engager la responsabilité de la commune. Par suite, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les premiers juges n'ont pas dénaturé leurs écritures.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. En principe, toute illégalité commise par l'administration constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. L'intervention d'une décision illégale ne saurait toutefois ouvrir droit à réparation notamment si les dommages ne trouvent pas leur cause dans cette illégalité, mais découlent directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle la victime s'est elle-même placée, indépendamment des faits commis par la puissance publique, et à laquelle l'administration aurait pu légalement mettre fin à tout moment ou si une décision d'effet équivalent aurait dû légalement être prise.
6. Par un jugement, devenu définitif, du 5 juillet 2012 le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 21 octobre 2010 par laquelle le maire de Pagny-les-Goin, a enjoint, sur le fondement de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, au concessionnaire d'électricité, l'Usine d'électricité de Metz, de cesser le raccordement au réseau électrique des logements de l'immeuble appartenant à M. et Mme A... au motif que les aménagements intérieurs qu'ils avaient réalisés ne nécessitaient pas d'autorisation d'urbanisme. L'illégalité de cet arrêté du 21 octobre 2010, annulé pour un motif de fond, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
7. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal d'infraction dressé le 25 mars 2009, contre lequel le recours en annulation a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 2 juillet 2013, confirmé par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 3 juillet 2014, qu'en violation du permis de construire qui leur avait été délivré le 25 août 2008 pour la réhabilitation d'un bâtiment existant, M. et Mme A... ont procédé à des ouvertures supplémentaires sur plusieurs façades et rehaussé la façade nord du bâtiment permettant ainsi la réalisation d'un niveau supplémentaire et la création de 25 logements au lieu des 6 initialement prévus. Les intéressés ont été pénalement poursuivis et condamnés, par un arrêt de la cour d'appel de Metz du 13 mai 2015 devenu définitif, à une amende ainsi qu'à la remise en état des lieux pour avoir procédé à ces travaux sans autorisation d'urbanisme et en dépit de l'arrêté d'interruption de travaux. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement qui a annulé la décision du 21 octobre 2010 ne s'oppose pas à ce que, dans le cadre de son office, le juge du plein contentieux apprécie au vu de l'ensemble des éléments versés par les parties l'existence d'un lien de causalité entre l'illégalité fautive censurée par le jugement et les préjudices dont ils demandent la réparation. Le maire pouvait, en sollicitant du juge judiciaire la remise en état des lieux, comme il l'a fait, mettre un terme à cette situation irrégulière à tout moment. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que M. et Mme A..., dont la demande de permis de construire modificatif a été rejetée le 23 juin 2009 en raison de l'importance des modifications apportées au projet initial objet du permis de construire du 25 août 2008, auraient obtenu la régularisation des travaux litigieux. S'ils ont déposé une déclaration préalable, au demeurant le 1er décembre 2019 seulement, portant le nombre de logements de 6 à 20 et l'extension corrélative du parking à laquelle le maire n'a pas fait opposition, il ressort du compte rendu de réunion avec le maire de Pagny-les-Goin du 19 juin 2020 que les façades Est et Ouest comportent de nombreuses ouvertures qui ne sont toujours pas conformes au permis de construire, qu'ils se sont d'ailleurs engagés verbalement à obstruer à l'avenir. Il résulte ainsi de l'instruction que les préjudices dont se prévalent les requérants, notamment les pertes de loyers au cours de la période de novembre 2010 à mai 2011 pour 20 logements, 5 ayant pu tout de même être loués, doivent être regardés comme étant, dans leur ensemble, en lien direct et exclusif avec la situation irrégulière dans laquelle ils se sont placés en procédant à des travaux excédant ceux autorisés par le permis de construire qui leur avait été délivré et qui ont permis l'augmentation du nombre de logements de 6 à 25. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à demander la condamnation de la commune de Pagny-les-Goin à les indemniser.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur le jugement en tant qu'il prononce contre M. et Mme A... une amende pour recours abusif :
9. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".
10. Eu égard au jugement du 5 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé, pour un motif de fond, la décision du 21 octobre 2010 et au fait que le jugement attaqué reconnaît que cette décision illégale est fautive, le recours indemnitaire de M. et Mme A... ne présente pas un caractère abusif. Les requérants sont, par suite, fondés à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il les a condamnés à une amende pour recours abusif.
Sur les dépens et les frais liés à l'instance :
11. D'une part, la présente instance n'ayant pas donné lieu à des dépens, les conclusions présentées par M. et Mme A... sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
12. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Pagny-les-Goin, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme A... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. et Mme A... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Pagny-les-Goin et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 février 2019 est annulé.
Article 2 : M. et Mme A... verseront à la commune de Pagny-les-Goin la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A... et des conclusions de la commune de Pagny-les-Goin est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me B... pour M. C... A... et Mme H... A... et à Me F... pour la commune de Pagny-les-Goin en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
N° 19NC01170 2