Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 avril 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 27 août 2019, Mme D... F..., représentée par la SCP Royaux, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°1800882 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 février 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par la société " Fedex Express FR " ;
3°) de condamner la société " Fedex Express FR " aux dépens et de mettre à sa charge la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- les faits, qui lui sont reprochés par son employeur, ne sont pas fautifs ou ne sont pas constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;
- les sanctions disciplinaires prises à son encontre sont toutes postérieures à son affiliation syndicale ;
- depuis l'arrivée du nouveau chef de centre en octobre 2014, elle est victime de harcèlement moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2019, la société " Fedex Express FR ", venant aux droits de la société " TNT Express International ", représentée par la DLA Piper France LLP, conclut au rejet de la requête, à la condamnation de Mme F... aux " entiers dépens " et à la mise à sa charge d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut à l'annulation du jugement n°1800882 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 février 2019 et au rejet de la demande présentée en première instance par la société " Fedex Express FR ".
Elle soutient que les faits reprochés à Mme F... ne sont pas fautifs ou ne sont pas constitutifs d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement pour motif disciplinaire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me Montenot pour la société " Fedex Express FR ".
Considérant ce qui suit :
1. Venant aux droits de la société " TNT Express International ", la société " Fedex Express FR " a pour activité le transport et la livraison en express de documents et de colis à destination ou en provenance de l'étranger. Elle exploite, à cet effet, environ quatre-vingt-quinze centres de triage et d'expédition sur le territoire métropolitain. Employée depuis le 21 juin 2006 au sein du centre de triage et d'expédition de Reims, sur la base d'un contrat à durée indéterminée, Mme D... F... exerçait en dernier lieu les fonctions d'employée support aux opérations sur la partie " fret international ". Membre titulaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, elle bénéficiait de la qualité de salariée protégée. Le 18 juillet 2017, l'employeur a sollicité l'autorisation de procéder au licenciement pour motif disciplinaire de l'intéressée. Par une décision du 19 septembre 2017, l'inspectrice du travail de la quatrième section de l'unité départementale de la Marne a refusé de faire droit à cette demande. Par un courrier du 17 octobre 2017, reçu le 20 octobre suivant, la société a formé contre la décision de l'inspectrice du travail un recours hiérarchique. Par une décision du 11 juin 2018, la ministre du travail a, d'une part, retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique, d'autre part, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 19 septembre 2017, enfin, refusé d'autoriser le licenciement de Mme F.... La société doit être regardée comme ayant saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 11 juin 2018. Mme F... relève appel du jugement n° 1800882 du 21 février 2019, qui annule cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En vertu des dispositions pertinentes du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. En premier lieu, il n'est pas contesté qu'il existe, au sein de la société " Fedex Express FR ", un système de montée en niveau, allant de 1 à 5, des demandes par courriel émanant de collègues situés à l'étranger et concernant le statut de colis en attente, le passage au niveau supérieur se faisant, en l'absence de réponse, toutes les soixante minutes. Toutefois, si l'employeur fait grief à sa salariée d'avoir totalisé, par son manque de réactivité, entre le 27 avril et le 2 juin 2017, sept demandes de niveau 4 et quatre demandes de niveau 5, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée est seule, dans son service, à assurer le traitement des demandes, tant pour l'activité " import " que pour l'activité " export ", et qu'elle s'est plainte à plusieurs reprises auprès de sa hiérarchie de l'existence de problèmes organisationnels, liés notamment à ses horaires de travail et à la difficulté de traiter en temps utile les courriels reçus avant sa prise de fonctions à 9 heures 30 ou pendant sa pause déjeuner. En l'absence de données statistiques fournies par la société " Fedex Express FR " permettant d'apprécier la quantité des demandes à traiter quotidiennement par la salariée et de comparer leur montée en niveau avec celle des demandes adressées aux services homologues des autres centres de triage et d'expédition de la société situés en France, aucun élément du dossier ne permet d'établir que les faits reprochés à l'intéressée seraient imputables à sa négligence fautive ou à sa volonté de se soustraire délibérément aux procédures applicables dans l'entreprise et aux consignes de sa hiérarchie. Si l'employeur fait valoir que des manquements analogues ont, en partie, justifié le prononcé à l'encontre de Mme F... de sanctions disciplinaires antérieures, les 11 février, 30 juin, 14 octobre et 23 décembre 2016, une telle circonstance, si elle peut être prise en considération pour apprécier la gravité de la faute commise, est, en revanche, sans incidence sur l'appréciation du caractère fautif des faits reprochés à l'intéressée dans la demande d'autorisation de licenciement. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante, présente au sein de l'entreprise depuis le 21 juin 2006, aurait fait l'objet, avant 2016, de critiques particulières pour son manque de réactivité à cet égard. Par suite et alors que le doute doit profiter à la salariée, la société " Fedex Express FR " n'est pas fondée à soutenir que Mme E... aurait fait preuve de négligence fautive dans l'exécution de son contrat de travail du fait de la persistance des réponses tardives données à certains courriels des collègues situés à l'étranger concernant le statut de colis en attente.
4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme F... a, le 17 mai 2017, détourné à des fins personnelles un colis détérioré et non réclamé, en méconnaissance des dispositions du règlement intérieur de l'entreprise et de la procédure de renvoi au " magasin litiges " d'Amiens, dont l'existence a été notamment rappelée par le chef de centre de Reims lors d'une réunion d'encadrement du 16 septembre 2016. Ces faits ont donné lieu à un dépôt de plainte pour vol aggravé le 18 mai 2017. Si la requérante se prévaut d'un usage ou d'une tolérance au sein de l'entreprise permettant aux salariés de bénéficier du contenu des colis non réclamés destinés à la destruction, son existence, au demeurant fortement contestée par l'employeur, n'est pas clairement établie par les pièces du dossier. Par ailleurs, il ressort également de ces mêmes pièces que Mme F..., qui assurait alors le remplacement d'un collègue, en congé du 4 au 20 mai 2015, sur la partie " fret national ", n'a pas signalé à sa hiérarchie la présence de quatre colis, dont deux colis sécurisés contenant des chèques déjeuner pour un montant total de 5 916 euros, n'a pas pris immédiatement les mesures nécessaires pour assurer leur suivi et s'est contentée de les entreposer dans une armoire de travail, dont elle a la clé, où ils sont demeurés pendant deux années jusqu'à leur découverte fortuite par l'employeur le 21 juin 2017. Non contestés par la requérante, les différents faits, qui lui sont ainsi reprochés par l'employeur dans sa demande d'autorisation de licenciement du 18 juillet 2017, sont fautifs.
5. Toutefois, il est constant que le colis retrouvé dans le véhicule personnel de Mme F... par les services de police ne contenait que treize bouteilles d'eau périmées et que, non réclamé depuis septembre 2012, il était destiné à la destruction. Contrairement aux allégations de l'employeur, il n'est pas établi que la requérante en ignorait le contenu au moment du détournement. Au surplus, l'intéressée fait valoir, sans être contredite sur ce point, qu'elle a proposé le colis à plusieurs de ses collègues avant de le prendre pour elle. Par ailleurs, il est également constant que les quatre colis retrouvés dans l'armoire de travail de Mme F... ont été réceptionnés par elle le 19 mai 2015 à la fin de sa période de remplacement et que, relevant du " fret national ", leur traitement n'entrait pas dans ses attributions habituelles. La requérante soutient, sans être contestée par son employeur, avoir informé son collègue de leur présence dès son retour de congé et l'avoir ensuite alerté, à plusieurs reprises, de la nécessité d'en assurer le suivi. Elle fait valoir, en outre, que l'armoire dans laquelle étaient entreposés les colis se trouvait dans un espace de bureau ouvert et était accessible à d'autres salariés de l'entreprise. Dans ces conditions, eu égard, d'une part, à l'ancienneté de Mme F..., d'autre part, au caractère isolé et modique de son détournement, enfin, à la circonstance que la propre négligence de son collègue n'a donné lieu à aucun reproche, ni à aucune sanction disciplinaire de la part de son employeur, les fautes commises par l'intéressée, même prises dans leur ensemble, ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
6. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a retenu le moyen tiré de l'erreur d'appréciation pour annuler la décision de la ministre du travail du 11 juin 2018.
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société " Fedex Express FR " devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à l'encontre de la décision de la ministre du travail du 19 septembre 2017.
8. D'une part, eu égard aux motifs de la décision contestée, la société " Fedex Express FR " ne saurait utilement soutenir que la procédure interne à l'entreprise a été régulière et que la demande de l'employeur est dépourvue de tout lien avec le mandat représentatif exercé par la salariée.
9. D'autre part, en application des dispositions du premier alinéa de l'article R. 2421-11 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation.
10. Si la société " Fedex Express FR " fait valoir que certains éléments déterminants recueillis oralement par l'inspectrice du travail lors de l'enquête, qui s'est déroulée les 30 août et 4 septembre 2017, n'auraient pas été portés à sa connaissance, il ressort des pièces du dossier que l'employeur et la salariée ont de nouveau été entendus, les 6 et 7 décembre 2017, lors de la contre-enquête réalisée dans le cadre de l'instruction du recours hiérarchique. En se bornant à soutenir qu'elle n'a été destinataire d'aucune pièce émanant de Mme F..., la société ne démontre pas que cette contre-enquête n'aurait pas été menée de façon contradictoire et ne contredit donc pas sérieusement les termes du rapport du 9 janvier 2018 sur ce point. A supposer qu'elle n'aurait pas été informée, à cette occasion, de ce que, selon la salariée, les montées en niveau excessives s'expliqueraient pas une charge de travail supérieure à celle de ses collègues, que le colis retrouvé dans le véhicule personnel de celle-ci était destiné à être détruit, que, eu égard à sa faible valeur, les services de police lui auraient reproché de les avoir sollicités abusivement et, enfin, que l'armoire dans laquelle se trouvaient les colis sécurisés était accessible à d'autres salariés, il ne résulte pas des motifs de la décision de la ministre du travail du 11 juin 2018 que ces différents éléments ont revêtu en l'espèce un caractère déterminant. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que lesdits éléments figuraient dans le rapport de contre-enquête du 9 janvier 2018 et dans le compte rendu d'audition de Mme F... du 6 décembre 2017 annexé à ce rapport. Dans ces conditions, il était loisible à la société " Fedex Express FR ", qui ne conteste pas avoir reçu communication du rapport et des documents joints, de prendre connaissance de ces éléments et de présenter ses observations préalablement à l'édiction de la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire ne peut qu'être écarté.
11. Il résulte de tout de ce qui précède que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision de la ministre du travail du 11 juin 2018. Par suite, il y a lieu de rejeter la demande présentée en première instance par la société " Fedex Express FR ".
Sur les dépens :
12. La présente instance n'ayant pas généré de dépens, les conclusions présentées par les parties en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
Sur les frais de justice :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme F..., qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par la société " Fedex Express FR " au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société le versement à la requérante d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1800882 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 février 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée en première instance par la société " Fedex Express FR ", venant aux droits de la société " TNT Express International ", est rejetée.
Article 3 : La société " Fedex Express FR " versera à Mme F... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société " Fedex Express FR " en application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... F..., à la société " Fedex Express FR ", venant aux droits de la société " TNT Express International ", et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
N° 19NC01275 2